Rencontre avec le jeune artiste franco-vietnamien très prometteur, Bao Vuong
C’est à la galerie A2Z-Art située au cœur de Saint-Germain-des-Près que nous rencontrons le jeune artiste franco-vietnamien très prometteur, Bao Vuong. Son exposition Coming through nous interpelle par sa beauté mais aussi par la force qui se dégage des œuvres.
Quel est votre parcours ?
Pendant 5 ans j’ai étudié aux Beaux-arts entre Toulon et Avignon, puis je suis arrivé à Paris en tant que jeune artiste. À mes 27 ans, ma mère me raconte notre traversée pour arriver jusqu’en France. C’est ainsi que j’ai voulu partir au Vietnam afin de renouer avec ma culture et j’ai commencé à travailler sur le thème de la mémoire mais d’une façon un peu différente que celle que vous pouvez retrouver dans mon exposition Coming through. Malheureusement, j’ai rencontré des difficultés avec le gouvernement communiste vietnamien qui a censuré mon exposition, je suis donc rentré en France.
Lors de mon retour en France j’ai retenté ma chance mais cette fois-ci en retirant les personnages de mes œuvres afin que le visiteur soit mis sur le bateau et soit “l’étranger”, cela est plus universel. La peinture à huile est venue assez naturellement ainsi que la couleur noire. Pour moi, le monochrome est quelque chose de très abstrait qui invite à une introspection, une méditation et même à une certaine intellectualisation. La série que vous pouvez voir a été faite en honneur à ma mère.
Avez-vous été inspiré ou marqué par d’autres artistes ?
Je suis très touché par les autres domaines artistiques du type la musique, le théâtre, la littérature… mais je suis très surpris quand je vois des personnes qui ressentent des émotions devant mes œuvres car personnellement je n’arrive pas à en avoir lors de visites d’expositions, peut-être parce que c’est mon métier.
L’un des artistes qui m’a particulièrement marqué est Christian Boltanski mais je ne peux pas vous dire la raison exacte, c’est venu naturellement. Ce qui m’a marqué chez cet artiste que j’ai connu, se sont ses installations, sa capacité de montrer l’invisible, le manque, l’absence. Avec de simples objets, il réussit à créer une histoire, une mémoire qui s’efface…J’adore les installations, c’est ce que je préfère et j’en ai donc fait lors de mon premier solo show mais aussi lors d’un groupe show dans la galerie A2Z-ART. C’est intéressant de travailler sur quelque chose qui n’existe pas dans notre mémoire mais dans la mémoire collective et fait donc partie de nous.
Grâce à l’art, j’ai pu raconter et parler de ce non-dit et cela m’a fait du bien mais cela a aussi aidé ma famille. Il faut se construire grâce à ces histoires sombres.
Pourquoi avoir choisi le noir pour la plupart de vos œuvres ? Qu’est-ce que cette couleur représente pour vous ?
Je me suis mis à la place de ma mère, ce qu’elle a pu ressentir, l’angoisse la tristesse de quitter son pays. Souvent, lorsque l’on traverse un moment très difficile, on se met dans un type de blockout, un moment de vide pour pouvoir affronter cela, car comme ma mère me l’a dit : “on attendait la mort.” On a mis 11 mois pour arriver en France, il y a eu beaucoup de péripéties, de dangers. Mon père était avec nous mais il s’était blessé avant de partir. Ma mère s’est retrouvée à devoir s’occuper de 3 personnes dont 2 enfants de 1 et 2 ans.
Votre histoire personnelle est très présente dans votre œuvre. Y a-t-il un message que vous souhaitez véhiculer à travers votre travail ?
J’utilise la beauté, l’esthétique pour raconter mon histoire. Mais quelque part, mon histoire peut aussi être celle des autres. Chacun est libre de voir le récit qu’il souhaite dans chacune de mes œuvres.
Comment ressentez-vous les terribles nouvelles que nous recevons sur les traversées des migrants aujourd’hui ?
Cela me touche tout particulièrement. C’est pour cela que j’utilise les installations comme moyen fort, pour provoquer des réactions différentes et plus puissantes. J’ai la chance de saisir cette émotion et de pouvoir en faire quelque chose, c’est une force que je redistribue d’une façon différente. Ce qui est important, c’est comment l’art réussit a redonner de l’humanité à des choses qui en perdent. C’est pour cela que pour moi l’art est activisme et que c’est important que l’art soit utilisé ainsi pour ne pas oublier.
Le changement climatique va apporter des migrations de masse et je suis en préparation de cela avec ce thème où j’utilise l’eau qui est souvent le point commun de mes œuvres et qui me suis dans mon travail .
Avez-vous déjà pensé à la suite de votre parcours ? À travers d’autres thèmes ?
Je travaille bien cette série. J’ai d’autres projets au Vietnam mais c’est toujours en rapport avec la mémoire, la famille, avec les objets émotifs. Dans la culture asiatique, il y a le culte des anciens, cela se caractérise en envoyant des objets en papier aux personnes qui sont décédées en les brûlant. Des objets dont on pense qu’ils pourraient avoir besoin. J’ai ainsi pensé : “pourquoi n’envoie t-on jamais de la culture, ou des œuvres d’art”. Donc l’idée et de créer un lieu en papier où il y aura des objets culturels que l’on pourra brûler.
On doit souvent vous parler de Pierre Soulages, est-ce que cela vous valorise ? Ou cela n’a aucun sens pour vous ?
Cela me va très bien comme comparaison, c’est un compliment même, une certaine porte d’entrée. Les personnes ont besoin de mettre des étiquettes et c’est normal.
Ce sont surtout ses écrits qui m’inspirent encore plus que ses tableaux. Mais au point de vue intention ça n’a aucun rapport. Les personnes s’en rendent généralement compte en découvrant mon travail. C’est un certain héritage qui me permet d’avancer ou d’exprimer une certaine continuité.
Propos recueillis par Margaux Depaquit
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