Sabine Weiss : œil témoin de son époque
Figure de l’école humaniste, Sabine Weiss est décédée à l’âge de 97 ans. Son travail, au service de l’autre, traduit un profond amour de la vie et des gens. Elle laisse une œuvre considérable.
Née en 1924, la photographe française est la dernière représentante de ce courant majeur français d’après-guerre, parmi lesquels on trouve Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat. D’origine suisse, elle avait été naturalisée française en 1995 et était installée à Paris depuis 1946. Bien que prolifique, il aura fallu attendre longtemps avant de pouvoir apprécier la richesse et la diversité de son œuvre. Sabine Weiss a tardé à en révéler les trésors, occupée qu’elle était à voyager.
Se considérant avant tout comme témoin de son époque, elle se revendiquait « photographe-artisan », plutôt qu’artiste. Une chose est sûre : son œuvre est éclectique. Elle pouvait tout faire : repérage, prise de vue, développement de pellicules, classement, prospection, gestion de sa carrière, car Sabine Weiss était farouchement indépendante. Elle tenait à sa liberté.
N’écartant aucun support, elle a aussi bien travaillé pour les magazines chics que pour des marques ou des particuliers. Elle est allée partout, des échoppes parisiennes (ses premiers clients) aux yachts pour des séances de shooting, en passant par la morgue où des endeuillés lui ont demandé un dernier souvenir.
Après avoir tiré le portrait de Miró pour Vogue, elle a croisé Robert Doisneau qui est aussitôt tombé sous le charme de ses portraits d’enfants. Il la fait entrer dans son agence. Pour autant, elle ne souhaitait pas être cantonnée au courant humaniste. Même si c’est l’être humain qui est au centre, elle a effectivement abordé tous les domaines de la photographie : reportage, illustration, mode, publicité, portraits.
L’art de capturer l’émotion
Parmi les plus belles œuvres : celles issues de son travail personnel, en marge de ses commandes officielles. De scènes de rue prises sur le vif demeurent quelques pépites : un cheval qui rue sur un terrain vague, des baisers furtifs ou langoureux, des enfants en guenilles… Sabine Weiss aimait photographier le quotidien.
Au gré des rues du vieux Paris et des terrains vagues arpentés avec son mari, peintre, elle fait des rencontres, braque son objectif sur ceux que l’on ne veut pas voir : mendiants, vieillards, gitans, enfants… Son regard bienveillant, presque empathique, dénonce les injustices. Misérables, marginaux, pensionnaires d’un hôpital psychiatrique en goguette : elle ne porte jamais de jugement. « La sensibilité des personnes doit sauter aux yeux », a-t-elle déclaré dans La Croix.
Si certaines images sont empreintes d’une certaine mélancolie, il s’en dégage une joie, aussi. Dans ce qu’elle nommait « mes images de morveux », elle accroche les sourires, illumine les bouilles crasseuses, saisit le mouvement de la vie. Elle sonde les âmes, transfigure les gens ordinaires.
Entre réalisme et poésie
L’apparente sobriété de ses clichés cache un sens assumé du cadrage et de la lumière. Ses jeux d’ombres et ses flous témoignent d’une grande maîtrise technique. Sabine Weiss a l’art de capter les instants fugaces, les moments suspendus. Une attitude, une expression ou un objet disent beaucoup. Bien que dépouillée, chaque image est savamment composée.
Lauréate du Prix Women in Motion 2020 pour la photographie, décernée par Kering et Les Rencontres d’Arles, Sabine Weiss a fait l’objet de quelque 160 expositions à travers le monde. Elle a été la vedette des dernières Rencontres d’Arles. En attendant la rétrospective prévue au printemps prochain à Venise, et sans doute d’autres projets d’envergure, quatre ouvrages récents retracent son parcours.
Émotions, Éditions de La Martinière, oct. 2020, 256 p., 39 €
À 96 ans, Sabine Weiss revenait sur son parcours prolifique, à travers une sélection de 200 photographies noir et blanc. De ces clichés connus, et d’autres moins, affleure toujours l’émotion. Avec un texte introductif signé de Marie Desplechin. Coup de cœur des libraires.
Sabine Weiss, préface de Virginie Chardin, Actes Sud, Centre national de la photographie, juin 2021 144 p., 13 €
Le goût de la rencontre, le souci de la technique et une curiosité vive et constante pour l’observation des gens (anonymes ou personnalités publiques) apparaissent comme les fils conducteurs d’une œuvre très riche. Monographie de poche publiée suite à l’exposition hommage aux Rencontres d’Arles 2021.
Les Villes, la rue, l’autre, Sabine Weiss, Éditions Xavier Barral, 2018, 176 p., 42 €
Cet ouvrage couvre la période 1945-1960, les années précaires de l’après-guerre. Qu’il s’agisse de Paris, de Moscou ou de New-York, ses photos montrent l’individu versus la foule des métropoles. Cet ouvrage accompagnait l’exposition éponyme qui s’est déroulé au Centre Pompidou en 2018.
Sabine Weiss, Éditions de La Martinière, Jeu de Paume, 2016, 192 p., 35 €
Réalisée à l’aide des archives personnelles de Sabine Weiss et à l’occasion de l’exposition présentée au Château de Tours, ce catalogue retrace le parcours et le métier de cette femme d’exception, à travers photographies et documents originaux.
Site officiel de l’artiste ici
Sarah Meneghello
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