Rencontre avec l’artiste française Hélène Kelhetter
Hélène Kelhetter, sélectionnée pour la Biennale de Dakar 2022, travaille depuis 2017 sur l’histoire coloniale française. Elle interroge la “Grande Histoire” qui se révèle au travers des histoires personnelles d’interlocuteurs choisis – artistes, artisans, commissaires d’exposition, essentiellement originaires du continent africain. Ces rencontres et dialogues se traduisent plastiquement par des associations de différents médiums comme la sculpture, la céramique, le dessin et l’ébénisterie.
Je m’appelle Hélène Kelhetter. J’ai 27 ans. En 2017, pendant la seconde partie de mes études aux Beaux-arts de Reims, je me suis prise de passion pour la question décoloniale. Nous sommes une génération qui a enfin le courage d’endosser et de parler frontalement des crimes du passé – et en tant que française blanche, je prends part à ce tourbillon d’événements et de questionnements. J’ai décidé de faire du fait colonial le cœur de mon mémoire, Plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, dont le titre est inspiré d’une citation de Charles Baudelaire, et de mon travail.
J’ai eu la chance d’être l’assistante de l’artiste Chourouk Hriech pendant quatre ans. C’est elle qui, franco-marocaine, m’a ouvert les portes du continent africain. Au rendu de mon mémoire, Chourouk m’a dit : “Voilà pour la théorie, maintenant je t’emmène en pratique !”. Elle m’a alors prise avec elle pour le Salon urbain de Douala de 2017, où elle était l’invitée de Marilyn Douala Manga Bell, fondatrice du Salon et directrice du centre Doual’art et Cécile Bourne-Farrell, la commissaire d’exposition.
La Pharmacopée africaine
Sur place, j’ai retrouvé une connaissance marseillaise, Aude Christel Mgba, alors assistante de commissariat. Nous avons décidé de travailler ensemble sur un projet de film qui aborderait la problématique des restitutions du patrimoine camerounais et pourrait s’insérer dans le propos curatorial plus large que développe Aude Christel avec Embodied Ghost. Je suis ainsi retournée au Cameroun en 2019 pour un séjour itinérant de presque deux mois. Après plusieurs semaines dans l’Ouest du pays, nous arrivons à Douala où je tombe gravement malade à cause notamment de la Malarone (ndlr : médicament antipaludique aux nombreux effets secondaires). Intolérante à ce médicament conventionnel, je me suis tournée sur les conseils du cousin d’Aude, Paul Evouna, employé à la Maison de l’Artemisia, vers un traitement de décoction de plantes qui a réussi à stabiliser mon état.
Tout mon séjour a été rythmé par la rencontre des plantes et des gens qui en parlaient. On m’a appris les bienfaits – relatifs mais bien réels – du citron, de l’aloe vera, du beurre de cacao, du moringa, des graines de papaye… Quand on emprunte les bus de l’Ouest camerounais, où il y a peu de dispensaires et encore moins d’hôpitaux, de nombreux vendeurs ambulants montent dans les véhicules et présentent toutes sortes de remèdes plus au moins frauduleux – notamment pour la vigueur sexuelle ou les hémorroïdes. Le bus suit et rit. Ces conteurs distribuent contre 1000 franc CFA, des petits fascicules où sont répertoriées plusieurs tisanes. J’en ai acheté un pour le feuilleter sur la route – et ce bout de papier est fortuitement devenu l’une de mes sources principales d’inspiration pour mon travail personnel. J’ai traité le sujet dans une première vidéo présentée à Doual’art pour l’exposition collective Patrimoines contemporains, contenant des dessins numérisés de plantes apparaissant sur la voix de l’homme du bus.
J’ai ensuite voulu faire advenir cette œuvre en 3D. Je me considère artiste visuelle et céramiste – et l’union de la science des plantes médicinales et de la céramique, artefact artisanal ancestral, s’est faite naturellement dans mes compositions. La céramique habille les racines des plantes et accompagne leur pousse. Pendant le confinement, j’ai cultivé nombre de ces plantes chez moi. J’ai pu les voir grandir dans cette temporalité lente, de la graine à la feuille, au fruit. C’est intéressant de voir “son travail” pousser.
J’ai candidaté à la Biennale Internationale de Sculpture de Ouagadougou – BISO 2021 et ai été retenue avec le projet des Muettes (2020-2021). Pourquoi “Les Muettes” ? Parce que les plantes conservent en elles le secret de la vie et de la guérison, mais il est encore difficile aujourd’hui de s’en faire l’interprète. À Ouagadougou, mes céramiques se font hôtes de plantes médicinales semblables à celles du Cameroun. Je me félicite d’avoir réussi à faire danser les plantes dans les céramiques et les céramiques avec les plantes, sur des socles que j’ai fabriqué avec l’aide d’artisans ébénistes et menuisiers installés dans le Sous-bois, à proximité de pépinières. Ces socles étaient comme des troncs d’arbres, inspirés des fromagers de l’Institut français de Ouagadougou où s’est déroulée une partie de ma résidence.
Biennale de Dakar 2022
Pour la Biennale de Dakar 2022, je suis en collaboration avec l’artiste et ébéniste Aboubakry Ba. Nous proposons des vues de notre propre studio photo, dont les modèles sont Abou et quelques-uns de nos amis parisiens, eux aussi Baye Fall. Nous avons assemblé dessins de la Grande Mosquée de Touba, photographie contemporaine, mobilier d’art, éléments de costume en céramique et de technologie comme les portables, les tablettes, les écouteurs, très présents dans le vécu diasporique et donc hyperconnecté des afropéens immigrés. Ces compositions en grand format, quasi votives, sont redessinées au crayon à huile pour apporter une dimension supplémentaire, une texture, une unicité à l’œuvre – et les encadrements sont réalisés en bois de récupération par Abou. J’ai hâte d’y être et de présenter mon travail pour la première fois au Sénégal !
Plus d’informations sur le compte Instagram de Hélène Kelhetter
Plus d’informations sur la Biennale de Dakar 2022 ici
Propos recueillis par Louise Thurin
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