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Tarantino et Clint Eastwood par Marc Godin

Juliette Labati 21 décembre 2021
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Interview avec Marc Godin à l’occasion de la sortie de ses deux beaux livres richement illustrés : Quentin Tarantino, le cinéma dans le sang et Sur la route de Clint Eastwood. On y retrouve des témoignages et interviews qui nous permettent de comprendre et redécouvrir ces légendes qui ont marqué l’histoire du cinéma.

Bonjour Marc, vous avez une actualité très riche avec la sortie de ces deux ouvrages sur Clint Eastwood et Quentin Tarantino. Critique de cinéma reconnu, d’ou tenez-vous cette passion pour le 7e art ? 

J’ai commencé à aller au cinéma vers cinq ou six ans. C’est très vite devenu une passion, une religion, une maîtresse dévorante, et j’ai consacré une grande partie de ma vie à fréquenter les salles obscures, où les metteurs en scène du monde entier me prennent dans leurs bras, me bercent, me racontent des histoires. Une vie par procuration…

Quel a été l’élément déclencheur pour écrire sur Clint Eastwood et Tarantino ? Avez-vous une “connexion” particulière avec ces deux monstres du cinéma ? 

Les deux livres sont des commandes. J’ai découvert Tarantino sur la Croisette, lors de la projection de Reservoir Dogs. Je suis tombé raide dingue. J’ai déchanté deux ans plus tard avec Pulp Fiction, et je suis plus que dubitatif sur son cinéma. J’adore la forme, mais j’ai des doutes sur le fond, sur ce qu’il veut dire et son côté remixeur me gonfle souvent. Quant à Clint Eastwood, j’ai grandi avec ses films. C’est un de mes héros. J’ai découvert Dirty Harry adolescent et je ne m’en suis jamais remis. Son parcours est dingue, les films de Sergio Leone, les Don Siegel, puis le passage derrière la caméra avec les films qu’il enchaîne régulièrement comme Woody Allen. Sa filmo est simplement démente : Impitoyable, American Sniper, Million Dollar Baby, Sur la route de Madison… J’ai été touché au cœur par Cry Macho, où il nous dit clairement au revoir. Comment allons-nous faire sans lui ?

Vous avez d’ailleurs eu l’occasion de vous entretenir avec Quentin Tarantino en 1994 (interview que l’on retrouve dans le livre), l’année ou il reçoit la Palme d’or à Cannes des mains de Clint Eastwood pour Pulp Fiction. Quel regard avez-vous aujourd’hui sur cette interview vis-à-vis de son évolution ? 

Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. À l’époque de Pulp, il était déjà cet espèce d’ado bravache et mégalo, fou de ciné et passionné.

On a souvent reproché à ces deux réalisateurs la présence de scènes violentes dans plusieurs de leurs films. Selon vous qu’est ce qui les différencie sur ce point ? 

Si je n’ai pas vraiment de problème avec la représentation de la violence à l’écran, ce que montre Tarantino m’interpelle. Dans Les Huit Salopards, est-ce bien raisonnable de donner à voir une femme qui se fait cogner, casser le nez, massacrer, gerber du sang sur le visage, puis pendre, pendant trois interminables heures, le tout sous les rires des spectateurs ? Mon problème avec Tarantino, c’est qu’il fait de la violence un truc très cool, fun et drôle et ce depuis Pulp Fiction. C’est irresponsable, insupportable. Autant, ça ne prête pas à conséquences dans Kill Bill, autant cela m’interpelle dans Once upon a Time in… Hollywood. Dans le final, Tarantino explose deux femmes dans un déluge de coups, défonce les crânes et fait sortir la viande de l’emballage, suscitant une nouvelle fois les rires des spectateurs devant cette violence mi-dégueulasse, mi-cartoonesque. La violence de Quentin Tarantino envers les femmes est pour le moins suspecte, mais ici, dans son premier film depuis 25 ans sans son producteur fétiche, le célèbre philanthrope Harvey Weinstein, il prend pour héros un cascadeur soupçonné d’avoir assassiné sa femme. Un tueur de femmes incarné par le sex-symbol uber-cool, Brad Pitt, qu’il filme comme un modèle de fidélité et de droiture, n’est-ce pas un poil problématique ? Je m’interroge.

C’est tout le contraire chez Eastwood. Regardez Impitoyable, où il montre les conséquences de la violence sur une poignée d’hommes abimés, meurtris, ou American Sniper dans lequel les soldats US sont transformés en fantômes, traumatisés par l’expérience de la guerre.

 

La musique occupe une place importante dans leurs films, est-ce que ça fait partie de leur marque de fabrique ? 

Vous avez raison. Chez Tarantino, qui remixe et compile le cinéma de ses ainés, la musique prend une place prépondérante et ses B.O. sont des petits bijoux de tubes cool, parfois oubliés, avec des extraits de B.O. de Sergio Leone ou de Bernard Herrmann. Clint Eastwood est également fou de musique, de country et de jazz. Il a signé des films sur des musiciens (Bird, Honkytonk Man), mais il compose parfois la musique de ses films. Comme Chaplin ou John Carpenter.

Est-ce que le fait qu’ils soient tous les deux politiquement incorrect explique aussi en partie leur succès respectif ? 

Le public aime la différence, et il est gâté avec ces deux personnalités. Quentin Tarantino est le cinéaste de la violence, du cool et de l’ironie. Il a changé l’histoire du 7e art pour le meilleur et pour le pire. Quant à Clint, il est pour moi le dernier des grands classiques, l’héritier de John Ford, je ne le vois pas particulièrement comme un auteur politiquement incorrect.

Quand vous allez au cinéma ressentez-vous l’influence de ces deux hommes dans les réalisations actuelles ? 

Tarantino a beaucoup copié/collé et malheureusement pour nous, des centaines de tacherons ont essayé de le plagier, sans vraiment y arriver. Les films de Guy Ritchie, le Tarantino du pauvre, font vraiment pitié. Clint est vraiment unique, mais parfois un film se révèle très eastwoodien. Je pense que Manchester by the Sea aurait pu être réalisé par Clint.

Pensez-vous que leur parcours d’acteur a été un atout pour leur carrière de réalisateur ? 

Le parcours d’acteur de Quentin Tarantino est une blague. D’ailleurs, après un passage raté au théâtre, il a arrêté sa “carrière”. Quant à Clint, le réalisateur n’existerait pas s’il n’avait pas commencé par jouer. Il a appris son métier de réalisateur en restant sur le plateau de la série TV Rawhide ou en regardant filmer Sergio Leone et Don Siegel.

Qu’est ce qui fait la singularité de vos livres selon vous ?

Ça, c’est au lecteur de le dire. Ou à vous. Dans le Tarantino, co-écrit avec Denis Brusseaux, on sent peut-être mes doutes. Mais le Clint est vraiment une lettre d’amour. J’espère que les deux livres donnent envie de (re)voir les films de ces cinéastes passionnants.

Actuellement disponibles en librairies et en ligne (29,90 €).

Vous pouvez commander Sur la route de Clint Eastwood ici et Quentin Tarantino, le cinéma dans le sang par là.


Propos recueillis par Juliette Labati

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