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Ashton Eyal Nijinski et Don Quichotte : une fête russe à l’Opéra

Hélène Kuttner 18 décembre 2021
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© Julien Benhamou

Pour cette fin d’année, l’Opéra de Paris nous propose un magnifique duo de ballets, l’un moderne avec trois chorégraphies contemporaines, l’autre classique signée Rudolf Noureev. Originalité inspirante d’Eyal et Nijinski ou magie d’un conte fabuleux ? Les deux sont à recommander d’urgence pour une fin d’année en beauté.

Ashton/Eyal/Nijinski

© Yonathan Kellerman

Véritable bijou de danse et de modernité, ce spectacle qui réunit trois chorégraphes débute par Rhapsody de Fréderick Ashton sur une composition de Rachmaninov. La danse néo-classique du chorégraphe britannique nourri aux influences d’Anna Pavlova, de Léonide Massine et de Nijinski s’épanouit dans une explosive modernité par le biais d’un décor futuriste aux couleurs primaires, explorant la virtuosité par une rapidité d’enchaînements fulgurants et une danse parfaite. Vitesse, bravoure, gaieté, le thème de Paganini qui file comme un turbo permet aux jeunes danseurs une démonstration brillante et pétaradante de joie et de lumière.

© Yonathan Kellerman

L’Israélienne Sharon Eyal subjugue par son talent et sa capacité à renouveler son art chorégraphique. L’Après-midi d’un faune de Nijinski sur une musique de de Debussy, qui avait défrayé la chronique en 1913, provoquant dans le public de véritables bagarres, se mue ici en Faunes, mi-humains, mi-bêtes, apparaissant dans une crépuscule de lumière blafarde. Monstrueuses et asexuées, ces silhouettes animales se contorsionnent, s’exhibent, de métamorphosent sur une transe pulsionnelle tandis que les harmonies de Debussy passent du majeur au mineur. Inhabituelles et sensuelles, les sonorités  des hautbois, clarinettes et bassons et cors ensorcellent les huit danseurs et nous transportent dans un autre monde, intra-utérin ou post-mortem. Une oeuvre saisissante.

© Yonathan Kellerman

Le Sacre du Printemps de Nijinski, créé pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev, est revisité aujourd’hui par la chorégraphe Dominique Brun qui tire la substance essentielle, comme archaïque, de cette ode païenne à la Terre. Oeuvre à la tonalité primitive, quasi-bestiale, elle raconte le sacrifice d’une jeune fille dans une communauté pré-chrétienne sur la musique hallucinante d’Igor Stravinsky. Dans des décors naïfs et kitsch d’une campagne rêvée, aux contrastes primaires, des paysans trépignent et attendent en cercle la révélation de l’élue, poings serrés, tête rentrée, épaules voutées de malheureux soumis à la volonté du Ciel ou d’une divinité qui leur offrirait une belle moisson de blé. Piétinements, tremblements, rotations internes des genoux, les danseurs soumis à un rythme harassant sont magnifiques de bravoure hallucinée. On est transporté littéralement dans un conte cruel et d’un autre temps.

Don Quichotte

© Julien Benhamou

Il est étonnant qu’une telle merveille de ballet, qui puise sa beauté dans autant de traditions et de savoir faire, ait pu être mise aux oubliettes durant de longues années. Quelle bonne idée donc de représenter cette oeuvre tirée de l’Espagnol Cervantes, d’abord chorégraphiée par Marius Petipa, puis magnifiée avec une exigence de virtuosité folle par Noureev dans les années 60 ! Se débarrassant des scories du folklore, Noureev en fait un véritable conte de fées, nourri de comédie dell’arte et d’humour, pétillant, festif, provocant, dans des décors somptueux signés Alexandre Beliavev et des costumes d’Elena Rivkina. Don Quichotte, vieux fantôme de ses propres rêves de gloire et d’exploit, se fait ici vite dépassé par les amours coquines et passionnées du barbier Basilo et de Kitri la fille de l’aubergiste. Autour de ce couple, des personnages haut en couleurs, tirés de la farce italienne, organisent fêtes et fanfaronnades, danses espagnoles et beuveries campagnardes, tandis que le malheureux Sancho Pança tente désespérément de ramener son maître à la raison. Dans ce ballet, aucun temps mort ni repos, les danseurs sont soumis à un tempo haletant où pas de deux, variations, sauts, jetés, arabesques, entrechats et pirouettes en tous genres se succèdent en un festival permanent qui éblouit littéralement le spectateur. Parmi les couples d’Etoiles, Valentine Colasante (Kitri) et Paul Marque (Basilo) font une démonstration exceptionnelle de leur talent, avec une virtuosité, une générosité et un sens de la comédie qui déclenchent l’ovation du public. Les danseurs de l’Opéra de Paris, encore une fois, font la preuve d’un niveau de prestation mondialement reconnu pour porter à la scène, avec une imparable technique, les oeuvres les plus prestigieuses du répertoire.

Hélène Kuttner

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