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Lin Wang : “En Chine, les années 90, c’était déjà une période de liberté”

30 décembre 2021
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© D.R.

En juillet 2021 se déroulait la 74ème édition du Festival de Cannes. À cette occasion, l’Agence du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID) présentait sa sélection. Alors que tous les films affichaient une co-production française, un seul se démarquait par sa production exclusivement chinoise : Venus by Water, écrit et réalisé par Lin Wang. Cette dernière a accepté d’échanger avec nous sur ce film  dressant le portrait d’une Chine des années 90 moderne et féministe.

Venus by Water est votre premier long-métrage. Il est intégralement filmé en format 4:3, un format qui se rapproche du format original du cinéma. Pourquoi avoir choisi ce format en particulier ?

J’aime l’esthétique du 4:3 et l’intimité qu’il dégage, surtout lorsqu’il s’agit d’un film du point de vue d’un enfant, car je ne pense pas que ce dernier soit capable de voir les choses dans leur ensemble. Il voit uniquement ce qui se trouve en face de lui, il y a une sorte d’intimité tendre à cela. Dès le début, nous avons fait le choix de filmer dans ce format.

 Justement, à travers le point de vue d’une petite fille, nous suivons l’histoire d’une famille de femmes. Pourquoi s’être concentré sur les femmes ?

Le film est inspiré de mon enfance et des souvenirs qui l’accompagnent. À cette époque-là en Chine, les enfants de ma génération ont connu un changement économique durant lequel beaucoup de gens, et en particulier les hommes, partaient gagner leur vie à l’étranger. Les enfants étaient donc confiés aux grand-mères quand les mères travaillaient aussi. Chichi (ndlr : la petite fille du film) étant plus proche des gens de son environnement direct, le film relate son observation sur les femmes qui l’entourent. C’est donc venu assez naturellement de se concentrer sur les femmes, en raison du sujet même du film.

Quelle a été la première scène que vous avez tournée ?

Celle du marché, quand la grand-mère va au travail. C’était le seul moment dans le planning où nous pouvions filmer cette scène. C’était un moyen amusant de commencer la journée de tournage. Mais la scène la plus importante reste celle de Chichi qui marche dans la rue, perdue dans ses pensées. Nous avons tourné la scène du marché le matin et celle de Chichi l’après-midi. C’était la toute première scène emplie d’émotion que nous avons filmé.

Lors de la projection de la sélection ACID au cinéma La Licorne, le 15 juillet 2021, vous avez dit que ce film n’était pas autobiographique mais très inspiré de vos souvenirs. Pourquoi avoir choisi de vous inspirer des souvenirs de votre mère et non pas de témoignages de parfaites inconnues ?

En réalité, il s’agit d’une mémoire collective. Je n’ai pas seulement parlé à ma mère mais aussi à des gens autour d’elle : ses collègues, ses amies, les femmes avec qui elle prenait le thé l’après-midi et avec lesquelles je me suis assise, pour écouter leurs histoires. Il n’y avait donc pas uniquement ma mère. D’ailleurs, la mère dans le film est une figure abstraite de ce qu’est une mère. Elle n’est la mère de personne et pourtant, elle pourrait être celle de tout le monde. Pour ce qui est des autres personnages féminins, je me suis surtout inspirée de personnes prises au hasard sur des photos. J’ai regardé la manière dont elles s’habillaient, se tenaient, pour imaginer les histoires derrière chacune d’entre elles. J’ai collectionné tous ces détails, provenant de l’histoire de femmes venues de différentes générations, afin d’en insuffler les personnages du film.

Vous utilisez beaucoup de gros plans, face caméra, des visages des personnages. Le spectateur ressent les émotions, l’ambiance, les tensions… sans avoir besoin de mots. Était-ce une volonté d’utiliser davantage le silence que les mots pour transmettre les émotions ?

J’étais très attirée par les éléments comme les silences ou le sous-texte. Je souhaitais transmettre quelque chose de manière implicite, sans avoir à le dire. Et je pense que ces zooms sur le visage de l’enfant, sans conversation au préalable, traduisent tout ce qu’elle est capable de ressentir. Même si elle est assise loin des adultes, son esprit est capable de s’en rapprocher et d’imaginer ce qu’ils ressentent. Selon moi, un enfant peut être même plus sensible qu’un adulte à ces choses-là.

Vous avez également affirmé que vous partagez avec votre équipe, le même rapport à la famille. Comment cela a-t-il rejailli sur le film et les personnages ?

Je pense que chacun a pu mettre un fragment de soi dans ces personnages, ou a pu y voir quelque chose qui relevait de son domaine de l’intime. L’un des assistants directeur par exemple, a pleuré lors de la scène du mariage. Il a ressenti la même chose que ce que le personnage de la cousine a vécu. L’équipe du film partageait une certaine sensibilité et je pense que cela transparaît à l’écran. C’était une collaboration très intime.

Il n’y a pas de bande-son dans le film, seulement les bruits de la vie quotidienne. Avez-vous écouté de la musique durant l’écriture du scénario ou sur le tournage ?

Je n’ai pas écouté de musique pendant le travail d’écriture du film, seulement les sons naturels de mon environnement. On a très vite pris la décision de ne pas utiliser de musique dans la bande-son, et je pense qu’on peut trouver une certaine beauté dans son absence. Les bruits de notre environnement sont le genre de détails que les spectateurs-observateurs pourront pleinement ressentir. C’est d’ailleurs ce que fait l’enfant dans le film, ses sens sont grand ouverts. À la place de mettre de la musique, j’ai donc préféré que les sons naturels soient ce qui donnent une valeur ajoutée au film.

Quelles étaient vos inspirations pour le choix des couleurs, des images et des cadrages ?

Mon moodboard était constitué de vraies photos des années 90, aux couleurs vives. Je voulais faire apparaître cette vivacité des couleurs dans le film. Le travail sur les costumes et le travail de pré-production ont permis d’achever cette vision. Mais c’est seulement une fois les couleurs appliquées aux costumes et accessoires que la véritable atmosphère du projet s’est dégagée. Même si le tournage était encore très lointain, le coloriste , le producteur et moi-même nous retrouvions dans une salle pour peindre et parler de l’atmosphère de chaque scène, afin de comprendre l’intériorité des personnages. Je ne connais pas les détails du travail de coloriste mais la personne qui en était en charge a réellement donné vie aux scènes du film.

L’histoire se déroule en 1992, vous n’étiez alors qu’une enfant. Avez-vous lu des journaux de l’époque pour recontextualiser l’intrigue, au-delà de vos simples souvenirs ?

Tous les faits que l’enfant et les adultes expérimentent dans le film sont historiques. À l’époque, les gens partaient faire leur vie à l’étranger, candidataient pour des postes de bureau, les entreprises jusque-là gouvernementales se privatisaient… Lorsque la réforme économique a eu lieu, certaines personnes démissionnaient des usines et certaines usines étaient démantelées ou revendues à d’autres. Ces événements constituent donc la toile de fond du film. L’inspiration provient des souvenirs d’enfance des gens de ma génération, qui étaient très jeunes à ce moment-là, trop jeunes pour avoir conscience du changement qui était en train de s’opérer.

Le film aborde le sujet de la tradition, je pense notamment au thème du mariage. Le poids de la tradition a-t-il évolué et les femmes sont-elles plus libres de faire leurs propres choix selon vous ?

En Chine, les années 90 représentaient déjà une période de liberté. Dans le film, la cousine se marie avec un homme de son plein gré. C’est la mère qui émet des doutes quant au choix de sa fille d’épouser un homme qui semble plus riche et qui n’est pas le père du bébé. Les années 90 constituent un moment charnière, où les gens ont commencé à se sentir libres. Avant cela, si on prend l’exemple de mes grands-parents, on se mariait avec une usine et on connaissait le montant de sa pension pour le restant de sa vie. On connaissait son avenir pour les 50 prochaines années. Mais dans les années 90, la population a soudainement fait face à tout un panel de possibilités. Vous pouviez aller à l’étranger, épouser qui vous voulez, faire vos propres choix… Et je pense qu’il s’agit là de la source d’inspiration de ma génération et des expériences auxquelles nous avons accès.

Votre film a fait partie de la sélection de l’ACID au Festival de Cannes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est un véritable honneur et on aime la connexion particulière avec l’ACID, qui a été fondé en 1992, date à laquelle le film prend place ! C’était également notre premier long métrage, pour lequel nous avons reçu beaucoup d’attention. On y voit un bon présage pour le futur, plein de nouvelles opportunités !

 

Propos recueillis par Manon Rodriguez et traduis par Alexis Wilmouth

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