Bleu Nuit : “Le monde ne retient que les grandes histoires, pas les plus belles”
Bleu Nuit, c’est le bruit entre les mots, la mélancolie d’un ciel hivernal, les coups de pinceau bruts sur une toile. Le producteur et interprète Pierre-Alexandre Pesty, de son nom d’artiste Bleu Nuit a sorti son premier album Teintes le 30 mai 2021. Inspiré du courant “abstract” aux États-Unis, il est l’un des seuls artistes à opérer cette expérimentation sur la scène française.
Salut Bleu Nuit, est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Pierre-Alexandre Pesty, et mon nom d’artiste c’est Bleu Nuit. Je fais du rap, du hip-hop principalement, et je m’inspire du courant qu’on appelle abstract en ce moment aux États-Unis.
C’est quoi ton rapport à la musique, comment as-tu commencé ? Le rap a-t-il été une évidence pour toi ?
J’ai commencé sérieusement à faire de la musique il y a à peu près 2 ans, au début du premier confinement. J’ai toujours plus ou moins écrit, mais je n’écoute pas forcément que du rap. Le rap m’attire surtout dans son format car c’est très proche de la poésie ; j’en écrivais moi-même au début, pas forcément pour rapper ensuite. J’ai toujours écouté beaucoup de musique, notamment avec ma famille ; ma mère écoute pas mal de jazz et ça influence beaucoup ce que je fais, j’essaye de rester ouvert.
J’ai commencé à écrire aux alentours de la 5eme, principalement de la poésie, ça m’a suivi. J’ai rencontré Eryl au lycée, et il y a 3 ans on a commencé à vraiment se rapprocher : c’est lui qui m’a appris a produire mes morceaux, en le regardant faire. Il m’a boosté, il m’a appris, il m’a poussé à faire de la musique, maintenant je produis tout mais c’est grâce à lui.
Dans ta musique on ressent beaucoup l’influence de la scène underground américaine ; je pense à Earl-sweat-shirt, Navy Blue, MIKE et tant d’autres ! T’inspires-tu d’eux dans ta musique, est-ce que tu essaies de représenter cette scène en France ?
Ils m’influencent beaucoup dans ce que je fais parce que je les écoute un peu tous les jours au final. Avec Eryl on essaie juste de se faire plaisir en faisant de la musique. J’ai sorti un album parce que j’en avais envie, sans forcément pensé où ça me mènerait. Je dirais pas qu’on cherche à représenter quoi que ce soit, c’est juste la musique qui nous plaît et qui nous touche, c’est celle qu’on aime faire et on n’a pas envie de faire autre chose pour l’instant.
Il y a un grand rapport à la couleur dans toute ta direction artistique, de ton nom d’artiste jusqu’au nom de l’album, est ce que tu peux essayer de me dire ce que t’évoque la couleur bleue ?
Je pense que c’est une couleur avec laquelle on vit beaucoup, et à laquelle on est très habitués. C’est aussi par rapport au jazz, il y a tout un univers qui tourne autour du bleu : Kind of blue de Miles Davis, le label Blue note, ou encore “Blue Train” de John Coltrane… Le bleu représente une espèce de mélancolie qui m’a toujours beaucoup touché et c’est ce que je voulais retranscrire quelque part. Teintes, c’est mon premier album et si tout tourne autour de la couleur et du bleu, des nuances de bleu, c’est par rapport à mon nom d’artiste : c’est l’album qui parle de moi, c’est une introduction à qui je suis, à quoi j’aspire, à quoi ressemble ma musique. C’est d’ailleurs pour ça que l’album commence par “Bleu” et finit par “Nuit”.
Ça se retrouve aussi sur la cover du projet : on a l’impression d’y voir des sortes de démons ou des pensées déconstruites, est-ce que c’est toi qui contemple tes failles ?
C’est complètement l’idée, c’est un ami à moi qui a fait cette toile ; son nom d’artiste c’est Taxi, j’aime son univers plein de monstres sans réelles précisions, on dirait une espèce d’ambiance informe, beaucoup plus apte à l’imagination et à l’émotion pure. Cette toile c’est le bleu, des nuances de bleu, on peut y voir mes défauts, mes échecs, mes réussites, c’est Bleu nuit face à lui-même dans ce qu’il est face au monde.
Un aspect que je trouve important dans ce style de musique, c’est que les chansons ne sont pas parfaites. Elles ont des impuretés, un peu comme la toile ou il y a des collages un peu mal faits, des dégradés pas forcément propres, quelque chose d’assez irrégulier parce que ça apporte un côté plus humain, plus réel. Comme tu disais en quelques sorte, c’est une manière d’utiliser les failles, les creux, les échecs pour en faire quelque chose de beau.
Tu utilises pas mal de samples dans tes productions ; comment se déroule ton processus de création ?
J’ai un petit home studio dans ma chambre avec un sampler, deux enceintes, une platine et un PC, une carte son, un micro. La plupart du temps j’essaye d’être le plus spontané possible, j’essaye de trouver un instant qui m’a marqué. Je passe aussi beaucoup de temps à écouter de la musique. Je ne me force jamais ; si j’entends une boucle qui me plaît j’essaye d’en faire quelque chose, j’essaye d’écrire au même moment si possible pour avoir quelque chose de spontané. Je ne me pose pas trop de question et je fonce là ou mes envies me mènent. Je veux juste que le morceau ressemble à ce que j’imagine. Je laisse vieillir les chansons, je regarde comment elles rendent, si je pense qu’il faut revenir sur un texte, je le fais.
Tu sembles très inspiré par les gens qui t’entourent, tu parles beaucoup de tes amis, de ta famille aussi. La musique est-elle une manière pour toi de t’exprimer sur tout ce que tu ressens vis-à-vis de tes proches ?
Avant tout j’essaye de rester sincère aux maximum dans ma musique, j’ai envie de pouvoir mettre de l’émotion dans ce que je fais, j’essaye de raconter des choses que j’ai ressenti pour de vrai, et les proches c’est tout ce qu’on a à la base. Je ne suis pas quelqu’un qui m’exprime beaucoup, il faut savoir me lancer. Il y a plein de choses que je dis dans mes chansons qui me font du bien et c’est vrai que ça sert à ça aussi : la musique c’est toujours un peu un exutoire.
Dans l’album tu dis à un moment “être rancunier c’est pour les faibles, et je n’ai pas prévu d’en faire partie, quitte à souffrir le nécessaire” : qu’est-ce que ces mots signifient exactement pour toi ?
Dans la vie il faut avancer, en tout cas il faut essayer de se le dire, parce que quand on stagne on s’en rend pas forcément compte, c’est un travail plus dur et plus courageux de pardonner un maximum de monde plutôt que de passer sa vie dans la haine, même si ça veut dire souffrir un peu plus de temps en temps des fois ; c’est pas grave, c‘est la vie.
On sent que tu essayes vraiment d’être la meilleure version de toi-même, d’essayer de propager l’amour autour de toi. Est-ce que c’est ta manière à toi de trouver la résilience ?
J’ignore si je cherche la résilience à travers cela, j’ai juste envie d’être une bonne personne dans la vie. Je n’ai pas des ambitions de malade, je n’ai pas envie de faire des choses qui vont changer la face du monde. C’est une philosophie de vie, je pense que c’est important d’essayer d’être la meilleure version de soi-même, il faut même juste donner l’exemple, c’est comme ça qu’on donne envie aux gens de se dépasser chaque jour. C’est en quelque sorte une manière de trouver le bonheur, juste savoir qu’on ne stagne pas, qu’on apprend des choses, qu’on essaie de comprendre un peu l’univers dans lequel on vit, saisir la place qu’on a dans le monde.
J’ai commencé par le bleu et je vais finir par la nuit : tu en parles beaucoup dans l’album, tu as même tendance à la personnifier… C’est quoi ton rapport à la nuit ?
La nuit, je trouve ça plus beau que le jour. J’aime beaucoup la nuit, je crois que c’est pas mal lié à l’enfance. Petit je ne voulais pas dormir, je voulais faire des choses ! Le monde est plus beau la nuit, nos sens sont davantage en éveil.
Je la personnifie parce qu’elle a quelque chose de vivant, très froid, l’impact qu’elle a sur la société, sur les gens, sur la vie, et c’est assez beau au final. J’ai même gardé juste “La Nuit” comme nom de beat-maker.
“Pour vous c’est quelques chansons de rap mais c’est toute ma vie” : tu disais ne pas avoir vraiment d’ambition tout à l’heure, mais où aimerais-tu emmener ton univers musical par la suite ?
C’est toute ma vie, parce qu’a part écouter de la musique et en faire je ne fais pas grand choses ou du moins, je n’apprécie pas faire grand chose. J’ai pas spécialement d’ambition, avec Eryl on fait ça parce qu’on aime bien, et on va continuer parce qu’on aime toujours. Je ne sais pas à quoi va ressembler ma musique plus tard ; je fais ce qui me plait, là maintenant.
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Propos recueillis par Arthur Bobée
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