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À la rencontre de Mahn Kloix

29 novembre 2021
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©Fabio Calmettes

Graphiste de formation, Mahn Kloix intervient dans la rue à travers des techniques multiples et innovantes dont la peinture de fresques suspendues. On vous emmène à la rencontre de cet artiste engagé dont l’œuvre fait écho.

Qui es-tu, d’où viens-tu ?

Je m’appelle Mahn, j’ai grandi en Bourgogne, loin de l’art urbain… J’ai eu une adolescence roots, plutôt préoccupé par les problématiques environnementales et sociales, j’ai ensuite suivi un cursus dans les arts graphiques et j’ai pas mal voyagé pendant quelques années. J’avais besoin de voir le monde tel qu’il est. Vaste et aussi merveilleux que brutal. Ce n’est qu’à mon retour en France en 2011 que je me suis installé à Marseille, que j’ai commencé à m’exprimer dans la rue.

Quel a été ton parcours, comment as-tu commencé à peindre dans la rue ? 

Tout a commencé à Istanbul en juillet 2013, au moment des soulèvements de la place Taksim. Beaucoup de gens étaient descendus dans les rues pour manifester leur désaccord avec un projet de destruction du parc Gezi. C’était aussi dans le fond une protestation contre la politique du gouvernement, la répression fut vive et je me suis retrouvé à voir tous ces jeunes qui courraient dans les rues fuyant les forces de l’ordre et leur gaz lacrymogène. L’émulation était très forte dans le pays, la plupart des gens que je rencontrais parlaient des ces événements. J’ai à ce moment-là commencé à dessiner ces gens qui se soulevaient contre le gouvernement.

De retour en France, je me suis documenté sur les autres mouvements de protestation contemporains. Occupy Wall Street, les Indignés, les Printemps arabes… J’ai alors découvert une série de portait de Peter Hapak pour Time magazine, en une du magazine les « protester » élus personnes de l’année. J’ai fait quelques croquis puis j’ai envoyé au photographe mon projet de replacer les portraits in situ à New York, Athènes, Tunis etc… Il m’a autorisé à croquer ses photos.

J’ai commencé par chercher les protestataires représentés dans la série. À partir de leurs noms j’ai retrouvé la plupart d’entre eux sur Facebook, Twitter, Linkedin… Presque tous m’ont donné leur accord pour que je les dessine et colle leur portrait dans la rue. Certains acceptaient aussi de me rencontrer sur place. J’ai lancé un kisskissbankbank pour financer une partie de mon projet. J’ai été aidé par Yuvany Gnep qui était alors anthropologue, elle a préparé les interviews, photographié, filmé, retranscrit, traduit… On a traversé New York, Oakland, Madrid, Tunis et Athènes en quelques semaines, collé des centaines d’affiches, rencontré plein de gens. C’était passionnant. Toutes nos rencontres étaient alors partagées sur le journal La Marseillaise. Le projet est aujourd’hui visible en vidéo.

Tu réalises de plus en plus de fresques suspendues, pourquoi ce choix, peux-tu nous en dire plus sur cette pratique ?

J’adore les défis. Les défis personnels et les défis techniques aussi. L’idée de travailler sans nacelle, juste avec des cordes ça a quelque chose de brut, plus physique et un peu animal qui me plait. C’est plus dur et plus long mais très excitant. Je ne pourrai pas faire ça toute ma vie alors j’en profite.

Que cherches-tu à exprimer à travers ton travail ? Tu as dit dans une interview, “Ma thématique, aujourd’hui, ce sont les minorités opprimées”, comment penses-tu faire entendre ces voix ?

Le coeur de tout mon propos est de dire que chacun peut faire évoluer le monde qui l’entoure. Chacun peut, sans être quelqu’un de puissant. Quand je dis que ma thématique aujourd’hui ce sont les minorités opprimées c’est plus un constat qu’un choix, j’ai surtout choisi de montrer des gens debout qui ne se laissent pas dominer.

Il y a peu de temps tu présentais ton premier solo show à paris “Jeux de mains”, après avoir longuement travaillé le portrait, que représentait pour toi ce nouveau travail ?

Il y a beaucoup de poésie dans mon travail et j’essaie aussi d’évoquer des idées via les postures de mes sujets. Avec les mains je peux travailler une multitude de postures et d’idées. Et s’absoudre des portraits c’est aussi s’absoudre des noms et des histoires. Car chaque portrait c’est une histoire, des recherches, des échanges avec les gens que je peins… J’ai échangé avec la plupart des gens dont j’ai peint le portrait, c’est long, c’est rempli de sens au delà de l’image. Peindre des mains c’est plus simple, le processus est beaucoup plus léger et pour autant je peux exprimer des choses fortes et proches des thématiques qui me sont chères. La résilience, l’homosexualité, la compassion… Cela me permet de ne me concentrer que sur mon dessin. Et puis je crois que l’espace public se prête particulièrement bien pour les portraits et les histoire que je véhicule, alors qu’un salon privé, car c’est bien la destinée d’un dessin ou d’un toile, n’est pas forcément propice aux même discours. Avec les mains je peux parler de profondeur humaine de manière plus évasive, avec différents degrés de lecture.

De manière plus général, quel a été ton meilleur et ton pire souvenir dans la rue ?

Je crois que mon meilleur souvenir c’est ma première fresque sur corde. Nous sortions à peine du 1er confinement, c’était une nouvelle aventure, je ne savais pas si j’allais réussir et avant même que je ne finalise la fresque elle était sur insta avec le nom de la personne que je venais de peindre. Pour l’histoire elle s’appelle Nûdem Durak, c’est une chanteuse Kurde qui vit en Turquie. Le gouvernement turc a voulu faire un exemple avec elle, car la musique est très importante dans la résistance en Turquie : quand la police arrive, les manifestants chantent et dansent. Ils l’ont choisie car elle chantait dans les manifestations et devenait très célèbre – et c’est une femme libre, qui prend la parole. Elle est en prison. Un comité de soutient a vu la fresque sur Insta, m’a contacté, j’ai ensuite échangé avec son frère qui lui a amené les photos de la fresque en prison. Ces échanges n’ont pas de prix pour moi.

Le pire ? Disons le plus drôle pour moi date d’il y a 2 semaines. J’ai fait une fresque à Antibes aux abords d’un collège. J’y ai abordé les problématiques auxquelles fait face la génération qui arrive, dont l’acceptation de l’homosexualité, l’environnement, les flux migratoires… On m’avait prévenu qu’un petite mamie avait préparé des poèmes pour chaque participant du festival, nous avons longuement discuté, elle voulait tout savoir des thématiques abordées, était très ouverte d’esprit… La discussion était plutôt agréable jusqu’à ce que nous arrivions aux migrants, son regard est parti au loin, son débit de paroles s’est accéléré et elle est partie dans un monologue sur le grand remplacement. J’ai débattu tant bien que mal mais elle était habitée par tous les mécanismes des adeptes des théories du complot. Elle a fini par être tellement insistante que j’ai du lui dire que ce qui me faisait le plus peur sur Terre c’était elle !

Ton spot idéal ?

La place Rouge.

Quelle musique tu écoutes quand tu travailles ?

De l’électro, ça m’aide à me concentrer. De Boards of Canada à Vitalic en passant par Alt-J.

Une découverte artistique, un compte Insta à nous partager ?

Judith de Leeuw je suis fan de son travail, visible ici. 

Quel est ton prochain projet ?

Le M.U.R. de Bourges, je vais y parler de la prise de Kaboul par les Talibans.

Suivez l’actualité de l’artiste sur son compte Instagram, ici. 

Propos recueillis par Clara Journo

À lire également sur Artistik Rezo : La fresque monumentale en soutien au peuple Ouïghour de Mahn Kloix par Clara Journo

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