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La Cerisaie en demi-teinte à la Comédie Française

Hélène Kuttner 21 novembre 2021
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© Brigitte Enguérand

Entourée de ses camarades comédiens, Clément Hervieu-Léger signe une mise en scène du chef-d’oeuvre de Tchekhov fidèle et claire, mais qui manque de passion et de férocité. Un beau spectacle mais qu’on aurait aimé plus convaincant.

Une pièce testamentaire

Anton Tchekhov a 44 ans quand il compose sa dernière pièce en 1904. Il se sait fragile, tuberculeux, et s’éteindra peu de temps après dans un sanatorium en Allemagne. On évoque La Cerisaie comme une pièce testamentaire car elle contient tout ce qui dans ses précédentes pièces était en action : l’évolution sociologique et politique de la Russie qui connait les prémices de la révolution, l’essoufflement d’une aristocratie désœuvrée et l’essor d’une bourgeoisie d’affaires revancharde, née de la fin du servage et des moujiks qui vont prendre le pouvoir. Du coté des idées nouvelles, socialisme et nihilisme gagnent les jeunes gens tandis que l’administration des provinces se fait de plus en plus sclérosée. Le metteur en scène a conçu avec Aurélie Maestre une vaste chambre aux murs en lattes de bois vert clair pour figurer l’intérieur et l’extérieur d’une datcha que viennent investir, de retour d’un voyage à Paris, Lioubov Andreïevna et sa fille Ania après cinq ans d’absence.

Fidélité au texte

© Brigitte Enguérand

Florence Viala interprète Lioubov, femme fantasque et tragiquement blessée par la noyade de son petit garçon, qui revient sur ses terres avec sa fantaisie et sa générosité inconsciente. Les dettes s’accumulent, lui dit Lopakhine, le fils d’un ancien serf qui s’est enrichi avec le commerce. Il faut vendre, ou louer des datchas aux estivants en abattant les arbres de la cerisaie. Le réel sonne de manière bien vulgaire aux oreilles de la maîtresse de maison qui semble s’étourdir de souvenirs et d’anecdotes au sujet de son histoire d’amour. C’est Loïc Corbery qui campe Lopakhine, à l’inverse de la brute épaisse à laquelle on associe souvent ce personnage d’arriviste. Elégant dans un imperméable clair, nerveux et romanesque, il s’exprime avec fougue et colère, signifiant son incompréhension totale face à l’entêtement de Lioubov et de son frère Gaev, qu’Eric Génovèse incarne tel un gros chat mélancolique. Cette résistance face au réel et à la puissance de l’argent, Douniacha la bonne, que joue la piquante Anna Cervinka, et Varia la fille adoptive, incarnée avec sensibilité par Adeline d’Hermy, ne la comprennent guère, pas plus que Trofimov, l’éternel étudiant qui refuse la corruption par l’argent et ne croit qu’aux idéaux du travail et la valeur morale. Jérémy Lopez est ici aussi convaincant que dans les démons de Dostoievski, fiévreux et d’une pureté dangereuse.

Les cerisiers absents

© Brigitte Enguérand

Toutes les scènes se déroulent donc dans cet espace unique de chambre mémorielle qui s’ouvre en arrière fond sur la scène du bal, exutoire de l’Acte III. Point de fleur blanche sur des cerisiers en été, le jardin n’est figuré que par un tableau encadré au mur, ce qui confère au spectacle un sentiment de pesanteur où les sentiments de nostalgie et de tristesse priment. Rebecca Marder qui joue Ania, Sébastien Pouderoux en malheureux et amoureux Epikhodov, Nicolas Lormeau qui interprète Pichtchik, Veronique Vella, qui alterne avec Julie Sicard dans le rôle de Charlotta la gouvernante, et Michel Favory qui campe un imperturbable Firs, le serviteur sans âge, sont tous irréprochables dans leur rôle. Le texte est là, bien vivant, mais on a peine à entendre les arbres qu’on arrache et le rouleau compresseur du changement d’époque dans cette cerisaie qui sera vendue. Et qu’on aime tant.

Hélène Kuttner

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