Balzac au cinéma : Pari(s) réussi pour Giannoli
En transposant à l’écran le chef-d’œuvre des “Illusions perdues”, Xavier Giannoli signe une fresque magistrale sur Paris et l’arrivisme de la presse. Un film extrêmement puissant dans sa narration mais également dans sa mise en scène.
Naissance du capitalisme moderne, début de la désinformation. Nous sommes en plein cœur des années 1820, Paris est le théâtre d’un monde bercé par le mensonge et la corruption. Rencontres, joies, douleurs… de son ascension à sa chute, nous suivons les aventures difficiles du jeune poète Lucien, des rêves d’écriture plein la tête, se heurtant à la dure réalité de la vie en ville. Dans ce monde d’illusions, les maîtres du jeu sont les journalistes répondant à la seule règle du plus offrant.
S’attaquer à cette montagne de la littérature romantique était un pari quelque peu onéreux. Pourtant, la narration se déploie aisément et Giannoli n’hésite pas à innover dans sa mise en scène. Le film est porté par une voix off très bien construite, s’alliant parfaitement avec le visuel [Xavier Dolan en excellent narrateur]. Elle est utilisée en surplomb de l’action [à la manière de Scorsese dans Casino] et permet de faire éloge à la prose balzacienne. Rythme et vigueur sont ainsi apportés au film. Les reconstitutions, décors et costumes sont à la hauteur du budget alloué à Giannoli. Une sensation romanesque de bout en bout, pouvant être identifié à une forme de classicisme, qui fait penser à Miloš Forman et son magistrale “Amadeus”.
“Illusions perdues” est un un miroir assez féroce de notre époque contemporaine et le moyen pour son réalisateur d’aborder des thématiques très actuelles. Ayant lui-même était journaliste il fait ici résonner son propre parcours et se permet quelques petits clins d’œil.
Nous ne pouvons finir cet article sans parler de la multitude de rôles proposés dans ce long métrage. Des rôles très denses, bien construits, portés par un casting quatre étoiles qui permettent au film de briller aussi par ses personnages. Benjamin Voisin, le petit prodige du cinéma français, que l’on a pu retrouver dernièrement chez Ozon, incarne Lucien de Rubempré avec une très belle justesse et une grande légèreté, lui apportant jeunesse et goût du pouvoir. Etienne Lousteau, un journaliste libéral parisien se liant d’amitié avec Lucien, est lui porté par un Vincent Lacoste agréablement différent des rôles auxquels ont peu l’identifier d’habitudes. Il est ici plein de vigueurs, dans un rôle plus mature et complexe, qui lui permet de déployer son indéniable talent de comédien. Cécile de France, que nous avons trouvé un peu absente, incarne Louise. Enfin, et surtout, Jeanne Balibar est époustouflante presque effrayante de justesse. Son charisme à l’écran porte le personnage de la Marquise d’Espar à son sommet.
“Il n’y a pas d’art plus balzacien que le cinéma” Xavier Giannoli
Il est vrai, faire sonner la plume de Balzac à l’écran a quelque chose de magistrale. “Illusions perdues” est un bijou de mise en scène, véritable bol d’air frais pour le cinéma français.
Propos de Nina Quentel
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