“Deleuze/Hendrix”, une pièce de Preljocaj à l’affiche du CENTQUATRE-PARIS
Deleuze/Hendrix © JC Carbonne
Angelin Preljocaj (né en 1957) a fait salle comble au CENTQUATRE-PARIS pour les représentations de sa pièce Deleuze/Hendrix. Huit danseurs de son ballet ont proposé des tableaux sur une bande-son qui mêle des extraits de cours du philosophe Gilles Deleuze (1925-1995), enregistrés au début des années 1980, et des succès musicaux du célèbre guitariste Jimi Hendrix (1942-1970).
La pièce Deleuze/Hendrix a été créée pendant la pandémie. Angelin Preljocaj a souhaité rendre hommage à des personnalités qu’il admire et qui ont bouleversé leurs domaines respectifs, notamment pendant une période foisonnante qui s’étend de la fin des années 1960 au début des années 1980. Le chorégraphe s’inspire de Jimi Hendrix qui a révolutionné le son de la guitare électrique, et de Gilles Deleuze, fondateur et contributeur de l’Université libre de Vincennes où toute personne – étudiante ou pas – pouvait assister à son enseignement.
Chorégraphier sur la voix de Deleuze
“Vous ne voulez pas fermer la porte ? Vous ne voulez pas fermer les fenêtres ?”, demande le professeur. Du bruit, ça s’agite. Par les enregistrements audio, le CENTQUATRE-PARIS est transposé dans un amphi de la Fac de Vincennes. Le philosophe, Gilles Deleuze, commente l’Éthique de Spinoza (1632-1677). Les extraits de cours ne renvoient pas à des leçons inaugurales classiques ; Gilles Deleuze est un professeur accessible et simple, parfois drôle qui partage son savoir, ses réflexions. Les interventions succèdent aux sons de guitare de Jimi Hendrix, et les danses se métamorphosent.
Deleuze traite de thèmes sérieux comme l’existence. Il évoque également les degrés de puissance du corps, l’essence singulière et cite Spinoza : “Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels.” À ses propos, les danseurs du ballet Preljocaj qui pourraient illustrer des “parties extensibles” s’éveillent, s’étirent. La voix donne le ton et approfondit les mouvements. Nous assistons à une gymnastique de l’esprit, aux évolutions de la pensée, à des digressions. La danse s’inscrit dans le tâtonnement, la recherche.
Preljocaj a voulu chorégraphier sur la voix de Deleuze. Depuis ses années de jeunesse, il voue une admiration au philosophe. Le langage du chorégraphe est la danse, Deleuze et Hendrix constituent la matière à sa créativité. Dès que les morceaux musicaux de Jimi Hendrix entrent en scène, c’est l’étincelle.

© JC Carbonne
Au son de la musique rock
Les danseurs ont un niveau d’excellence et l’un d’eux, Baptiste Coissieu, est charismatique par sa gestuelle et son allure. Il tient un rôle central dans la pièce. Avec Hendrix, la sensualité des corps devient débordante. Au son de la musique rock, des moments de fulgurance apparaissent : les danseurs se cherchent, s’unissent, forment des duos ou un groupe. La pièce se constitue en harmonie. Hendrix électrise la scène, sa voix se révèle aussi envoûtante. Sur ce rock inventif, la danse devient hypnotique et s’affirme dans l’audace. Mais elle semble plus segmentée, à l’écoute du philosophe.
Les moments Deleuze demandent une attention parfois soutenue. Si de la dissonance transparaît, les danseurs réinventent des propositions par leurs interprétations et interactions. La danse s’impose comme une expérience en mouvement et des silences invitent à une pause.
La guitare rock résonne sur une intervention du philosophe. Celui-ci questionne : “Qu’est-ce que les gens jugent important ?”
Après des battements de mains sur les corps, des pas, la voix de Deleuze se fait entendre : “Formidable !”, dit-il comme en écho à la pièce. Cette réaction fait rire le public.

Angelin Preljocaj © Didier Philispart
Deleuze/Hendrix est proche de l’univers intime de Preljocaj, il ne s’agit pas d’une commande institutionnelle. Le chorégraphe a choisi de se focaliser sur ce qui l’a influencé : la connaissance, la philosophie, le génie musical de Jimi Hendrix et bien sûr la danse et son potentiel créatif. La pièce est une composition où interagissent des tableaux dansés et sonores, une atmosphère. Nous assistons à des références foisonnantes, des instants décalés ; Preljocaj amène à la réflexion et parvient à donner de l’esprit à la danse.
Fatma Alilate
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