“Une vie allemande” et “L’Ile des esclaves” : doublé gagnant au Poche-Montparnasse
Belle rentrée au Théâtre de Poche Montparnasse avec deux créations, l’une signée Didier Long et l’autre Thierry Harcourt. Dans Une vie allemande, la grandiose actrice Judith Magre campe la secrétaire particulière de Joseph Goebbels dans une pièce tirée de son interview filmée. Puis L’Ile des esclaves, pièce en un acte de Marivaux, affiche sa lumineuse actualité grâce à un quintette d’acteurs en verve parfaitement dirigés. Deux réussites théâtrales.
Une vie allemande
Brunhilde Pomsel avait trente et un ans en 1942, et travaillait comme secrétaire à la radio allemande. Durant trois ans, elle fera partie du secrétariat privé du Ministre de la propagande nazie, Goebbels, qui lui confie des tâches administratives et la paye royalement. Après la guerre, dans Berlin libéré par les troupes russes, elle sera envoyée dans un camp de concentration pour purger une peine dont elle ne se sentira pas coupable, avant de réintégrer une radio allemande nationale. Quelques mois avant de mourir à 105 ans, la vieille dame a accepté de se confier à une équipe de journalistes autrichiens pour parler de sa vie. De ce documentaire télévisé tiré de trente heures d’entretien, le dramaturge britannique Christopher Hampton a saisi la brûlante parole, entre vérité, naïveté, mensonges ou omissions, d’une femme ordinaire, nazie pour la forme, qui dit avoir tout ignoré du sort de la déportation des Juifs.
Judith Magre, assise à un bureau où elle trie des photographies, buste endimanché en chemisier impeccable, incarne cette héroïne complice de monstres, dont elle accompagne, de son débit musical, irrégulier, peuplé d’hésitations et de silences, le chemin de vie. Tour à tour gamine d’une famille désargentée, adolescente volontaire et ambitieuse, camarade d’une Juive allemande et travaillant pour des commerçants juifs à Berlin, Brunhilde fait partie de la majorité de la population, comme « mise sous cloche comme un gigantesque camp de concentration », noyée sous une propagande mensongère et la menace policière. La comédienne est magistrale de sobriété et de finesse dans un rôle qui est sur le fil du rasoir de l’Histoire.
L’ile des esclaves
Très peu souvent représentée, mais farouchement moderne et provocante, cette pièce en un acte de Marivaux, que l’on étudie souvent au lycée, est aujourd’hui mise en scène et interprétée de manière lumineuse, simple et efficace, de telle sorte que le sens, la fantaisie, l’humour mais aussi la radicalité du propos s’en trouvent magnifiés. L’intrigue farfelue jette quatre personnages, deux nobles et leurs deux serviteurs, sur une île maléfique où les rôles sont soudain inversés. Pour purger les méfaits de la violence et de la domination, un philosophe, joué subtilement par Hervé Briaux, impose à chacun un examen de conscience. Dans cette ile où tous les compteurs sont remis à zéro, il demande à Cléanthis (savoureuse Chloé Lambert) de décrire face à sa maîtresse Euphrosine (Julie Marboeuf) les travers de cette dernière, comme Arlequin (Pierre-Olivier Mornas) doit reconnaître la violence du traitement infligé par son maître Iphicrate (Frédéric Rose).
Il leur faut donc inverser les rôles, selon Marivaux qui dresse avant la Révolution une morale républicaine basée sur le respect et la tolérance. Dans un beau décor de Jean-Michel Adam, Les comédiens traduisent cette fable avec beaucoup de drôlerie et d’élégance, chacun brillant également en faisant valoir les droits de son personnage. Un spectacle décidément à recommander à tous.
Hélène Kuttner
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