Hamlet sous le signe des Beatles
Sur la scène du Théâtre de la Tempête, l’acteur et metteur en scène Gérard Watkins s’empare de la pièce de Shakespeare pour la retraduire entièrement et en confie le rôle titre à une comédienne incandescente, Anne Alvaro, dans une ambiances sixties où les guitares s’emballent. Musical et lumineux, voici un Hamlet qui fera date.
Sous les pavés le royaume
Une scénographie inspirée plante d’emblée le décor de cette fable psychanalytique et romantique. Au premier plan, une lande de terre danoise semée de graviers noirs et d’herbes mauvaises. Derrière, des canapés et meubles vintage dessinent l’univers frelaté d’une royauté pervertie par l’alcool servi au bar qui fait figure de trône. Les Beatles entonnent leur songs fanfaronnantes à la gloire du Royaume d’Angleterre et les comédiens, saisis d’une énergie redoutable, nous embarquent, chantant et dansant, au coeur du labyrinthe psychanalytique d’Hamlet. Car le spectre du paternel d’Hamlet va parler aux gardes, qui vont le répéter à son fils. De cet écho, de cette apparition va découler une révélation, celle terrible qui conduira à la tragédie finale. Mais pour l’heure les dés ne sont pas encore jetés, les gardes sont sapés comme des soldats de plomb et chantent avec les trompettes du groupe anglais.
Mélancolie des apparences
Quand à Ophélie, elle se pavane langoureusement les yeux dissimulés sous d’épaisses lunettes en verre fumé, vêtue d’une mini-jupe écossaise et d’un pull ajusté, en compagnie de son frère Laertes qui savoure quelque drogue illicite, alors que leur père Polonius discute avec Claudius, l’oncle d’Hamlet, qui vient de s’emparer du trône du Danemark et d’épouser une veuve, Gertrude. Mais un oeil noir les regarde, cerne le comportement badin de l’oncle meurtrier, la complicité de sa propre mère, et la frivolité luxuriante de tout ce petit monde qui s’accomode de la violence et de la jalousie. C’est Anne Alvaro, grande comédienne, qui joue Hamlet, longue silhouette brune et coupe à la garçonne. Sa voix rocailleuse et suave, ses yeux d’ébène, son corps souple confèrent au personnage une présence magnétique. En s’opposant au théâtre de simagrées et de pantomimes dessiné par les mensonges et les calomnies des autres personnages, Alvaro Hamlet est un diamant brut qui distille un texte dont chaque mot, chaque phrase se trouve chargé de sens et d’affects.
Humour et poésie
Fidèle mais très inspirée de slam et de poésie chantée, la riche et flamboyante traduction de Gérard Watkins, qui interprète un piètre Claudius, ne se prive pas de nombreux jeux sur les mots et les sonorités, comme le faisait le grand William, mais fait aussi un détour par Freud et Lacan pour la psychanalyse. Et les comédiens, tous formidables d’investissement et d’inventivité, font claquer ce texte d’une belle manière, novatrice et rythmée. Julie Denisse, reine survoltée et effarée, Solène Arbel, Ophélie virginale devenue hystérique, Fabien Orcier, Polonius tué par le ridicule, Basile Duchmann, Laertes dont le dandysme se transforme en folie, Salomé Ayache, Gaël Baron, Mama Bouras et David Gouhier, complices affectueux du héros, ils sont tous remarquables et singuliers. Et malgré quelques longueurs, il y a dans ce spectacle un réel parti pris de clarté de la pièce dans sa complexité même et le baroque de ses influences. Une mosaïque de mots, de notes et de situations, tragiques et burlesques, crues ou poétiques, que les tirades d’Hamlet, à qui Anne Alvaro prête son immense talent, concentrent en quelques phrases. Hamlet absurde et tragique, ridicule et naïf, comme la vie.
Hélène Kuttner
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