Erick Benzi : “La musique n’a pas changé depuis le Moyen Âge”
Auteur-compositeur, interprète, musicien, arrangeur, producteur et réalisateur, Erick Benzi a travaillé avec de nombreux grands artistes de renom tels que Jean-Jacques Goldman, Johnny Hallyday et Céline Dion. Dans le cadre de notre conférence art et culture pour la fin de notre 3e année à l’ICART, avec Romane et Louis, nous avons choisi d’aborder le thème de la musique et la politique. Ainsi, j’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Erick Benzi pour avoir son point de vue à travers son expérience professionnelle et artistique. Un grand merci à lui pour sa participation.
La musique peut-elle être un instrument politique selon vous ?
La musique est un vecteur d’émotions. Utilisée dès l’origine à communiquer et se connecter au Divin. À partir du moment où les humains ont commencé dans leur crétinerie à différencier le Divin unique et lui donner une existence différente pour chacun, alors la parole est devenue politique. La parole. Pas la musique. Qui elle, reste un vecteur d’émotions. On berce un bébé ou on galvanise des troupes de soldats pour aller se faire trucider avec de la musique, parce c’est un amplificateur d’émotions. Ce n’est pas la musique qui est politique. La preuve ? On écoute Bob Marley ou Kassav’, avec une envie de danser, et de faire la fête, alors que les textes sont éminemment politiques, revendicateurs et porteurs de message. Inversement, des tas de morceaux de heavy metal, de punk, parlent de choses insipides ou légères. Je fais la différence, car pour moi, les chanteurs qui se disent “engagés” utilisent la musique et son pouvoir amplificateur comme une astuce pour faire passer un message. Pas par amour de la musique. Même si certains croient qu’ils font les deux.
Aujourd’hui, en 2021 pensez-vous que la musique est toujours politique ?
La musique n’a pas changé depuis le Moyen Âge. Il y avait les troubadours et les trouvères, les fous du roi, qui se permettaient l’impertinence, et que l’on laissait faire jusqu’à un certain point. C’est ce qui se passe avec le rap. Un nouveau moyen d’expression pour une classe particulière, qui fait tout son possible, une fois que le succès démarre, pour s’intégrer au show-business traditionnel. Et on invite des Joey Starr ou des Orelsan chez Ruquier pour le frisson. Même Brassens, était obligé de reconnaitre son incapacité à militer activement. Il en a même fait une chanson : Tant qu’il y a des Pyrénées.
Ce qui a changé, à mon avis, c’est que la mondialisation permet au plus grand nombre d’écouter de la musique de tout pays, sans comprendre les paroles, et donc de remettre la musique dans une fonction émotive, de plaisir ou tristesse, de relaxation ou d’excitation, juste à sa place. Du coup, l’engagement des artistes devient encore plus factice. Parce que ce sont les médias et la communication qui expliquent par les réseaux que tel ou tel artiste est “engagé”. Le public ne peut pas s’en rendre compte lui-même. Il y a eu des belles choses portées par des artistes. Le Band-Aid en 1984 pour l’Éthiopie. La chanson We are
the world… On a les Restos du Cœur.
Mais peut-on réellement parler de politique ? Rien n’a changé après eux. Le monde est toujours le même. Les vrais artistes “engagés” le font souvent pour des causes en dehors de leur métier. Ils utilisent juste leur notoriété, pas leur musique. Ce qui est flagrant en revanche, c’est que depuis quelque temps, le décalage du mode de vie d’un artiste “engagé” populaire, donc plutôt aisé puisqu’il est populaire, avec sa base de fans, ne passe plus à l’ère des réseaux. Un peu comme l’église qui prône la pauvreté comme une vertu, tout en s’enrichissant par les dons des fidèles. Le résultat, c’est que plus un artiste s’engage en politique, ou supporte un candidat, plus il est conspué. Et le candidat perd généralement. Hillary Clinton avait tous les artistes avec elle. Ça ne fait plus recette.
Pour vous que signifie un artiste engagé ? Peut-il avoir un impact sur son public / la société ?
Ça ne signifie rien pour moi, ou alors une imposture. Il faut voir ce qu’on entend par engagement. Un artiste raconte des histoires. Au mieux, il sait faire comme la plupart des politiques, il dénonce. Une injustice, un mode de vie, un faux espoir… Il décrit ce qu’il voit, ce qu’il ressent, mais n’apporte aucune solution concrète, applicable, par sa musique, comme pourraient le faire certains politiques. Il parle et ne convainc personne, il rameute juste autour de lui des gens qui pensent déjà la même chose. Il rassemble. C’est peut-être ça sa fonction première. Louise Michel se retournerait dans sa tombe. Ou bien n’importe quel résistant de 17 ans qui à combattu pendant la guerre. Ou mère Teresa ou l’abbé Pierre.
Mais si l’on considère que parler de valeurs, et dénoncer l’abject est un engagement, alors tout le monde peut, à un moment ou un autre être un artiste engagé. Quel impact ont les chanteuses actuelles qui se revendiquent féministes, sur le mouvement #Metoo ? Elles sont juste un relais de la pensée actuelle, elles n’ont rien bouleversé. Mais ce n’est pas leur fonction. Ce n’est pour moi pas la fonction d’un artiste. La fonction d’un artiste est de divertir, en premier lieu, de rassembler ensuite autour de valeurs, assez traditionnelles de bienveillance, des gens déjà sensibilisés à ça. Et pour ce qui est de dénoncer, il est aussi champion du monde. Le Rap en est l’exemple parfait. Mais aucun impact dans les cités sur le trafic, quand il ne prône pas l’inverse. Même à l’époque hippie, où les artistes militaient contre la guerre du Vietnam, et proposaient un autre mode de vie, ils ne faisaient que reprendre les thèmes des idéologues en vogue. Le public qui adhérait à la cause avait lu Kerouac et consorts, et ils ont tous fini actionnaires chez Apple.
On remarque d’ailleurs qu’un artiste est scruté dans sa vie privée pour analyser ses actes, et reçoit l’approbation si ses “actes” sont conformes à ses dires. “Tu es ce que tu fais”. Ce qui pose la question de l’exigence du public sur la “probité” exemplaire que devrait avoir un chanteur, personnage public. Alors qu’il n’est juste qu’un autre être humain. Pas un héros. On a vu la dérive avec Bertrand Cantat, Polanski… On voit l’exigence à géométrie variable du public français, prompt à dénoncer le sectarisme, mais se ruant sur les films de Tom Cruise, parce que ce sont des bons divertissements, alors qu’il est par ailleurs engagé avec la Scientologie. Un impact affectif, oui. Un symbole d’une période de vie, en général l’adolescence, oui. Un impact politique durable, je ne crois pas.
Pensez-vous avoir travaillé avec un/des artiste(s) ou sur une chanson engagée ?
J’ai travaillé avec des grandes gueules, que j’aime beaucoup par ailleurs. La plupart ont payé à un moment ou un autre le fait de trop l’ouvrir. Pagny, Noah, Maurane, Bruel, Renaud, et même Johnny… Mais les artistes sont des grands enfants. Comme on leur demande souvent leur avis sur tout, ils se sentent obligés de le donner. Même si leur compétence est nulle dans le domaine. Certains sont plus malins, et ont flairé le piège. Goldman, Cabrel… Leur parole en public est plus réservée, plus rare, et plus réfléchie. ils dénoncent dans leurs chansons, avec poésie souvent, des postures, des regrets, ou des injustices, mais libre à l’auditeur d’y mettre quoi que ce soit. Il n’y a pas de mode d’emploi. Il m’est arrivé d’écrire moi-même des chansons pour ces artistes (Bienvenue chez moi, Sans moi, Qui sait…) qui fleurent le militantisme gentillet et l’espoir d’un monde meilleur. Mais ce ne sont que des chansons, pas des pamphlets. Et ça reste encore et toujours du divertissement.
Seriez-vous d’accord pour dire que certains artistes peuvent être associés à une classe sociale ? Quel est votre ressenti par rapport à cette question à travers votre expérience professionnelle et aujourd’hui ?
Oui. Ils sont associés. Soit par leur origine, et/ou, soit par leur discours uniforme et ciblé s’ils en font un fond de commerce. N’oublions pas aussi toute une frange d’artistes moins connus du grand public, mais qui se revendiquent chanteurs à texte, et qui hantent les théâtres subventionnés et les petites salles de banlieue, avec un public restreint mais très fidèle. Pas de radios ni de télés pour eux, mais ils existent bien dans leur monde parallèle. Prompt à dénoncer le système du showbiz dont ils sont exclus, mais rêvant secrètement de remplir le Zénith. Mon ressenti est toujours le même. Personne n’a réellement envie d’être exclu du grand succès populaire. Surtout avec l’égo surdimensionné qu’il faut avoir pour faire artiste sur scène. L’association à une classe sociale à tendance à compartimenter le public. Et, in fine, tous ces artistes rêvent de rassembler tout le monde. J’ai fait un post sur l’égo des artistes, à découvrir ici.
Mot de la fin
Je me rappelle une discussion avec Maxime le Forestier, qui me racontait être devenu à ses débuts un étendard Hippie avec les chansons de son premier album, militantes à souhait. Mais plus le temps passait, plus un certain public exigeait de lui des chansons engagées, alors qu’il ne rêvait que de faire juste des chansons. Il a fallu une coupure et une remise en question, avec un trou dans sa carrière, pour revenir avec des chansons sans l’étiquette “engagée”.
Retrouvez les conseils, des anecdotes ainsi que toutes les vidéos de formations d’Erick Benzi sur son site Internet.
Et sur Youtube : La Masterclass de Benzi ; Instagram : @erickbenzi ; Facebook : Erick Benzi
Propos recueillis par Hélèna Lucot
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