Myriama Idir : “Activiste, hip hopiste et Queen Zulu”
Experte en art urbain, commissaire artistique, conceptrice d’événement, reconnaissable à son look, Myriama Idir est une curatrice singulière. Elle nous emmène au cœur de sa programmation elle-même pensée comme action culturelle auprès des publics.
Quel est ton parcours ?
Issue de la scène graffiti et de la danse Hip Hop, j’ai été touchée par la déferlante du mouvement avec l’arrivée de l’émission “H.I.P H.O.P”, présentée par Sydney sur TF1 en 1984. Depuis, cette mouvance ne m’a pas quittée. Mélomane et curieuse, j’ai pratiqué les disciplines en faisant mes premiers pas dans la danse. J’ai co-animé l’émission Boom Bap sur Radio Campus entre 1994 et 1998.
En parallèle, je suis passionnée par la mode et le design, c’est avec les grandes marques streetwear que je me suis familiarisée avec cette esthétique. Mon premier achat était une paire de Air Max 90, lorsque j’étais au lycée. Mon père s’en souvenait car je lui en parlais du matin au soir !
Sportive, je faisais du basket-ball et de l’athlétisme. La culture NBA et Chicago Bull ce qu’on appelle la “génération streetball” avec Michael Jordan comme chef de file, m’ont amenée à collectionner des sneakers et des objets cultes.
Tenir un spray dans les mains, être témoin de contrôles fréquents, faire de la danse dans les hall d’immeubles ou autres espaces publics à en avoir des égratignures aux genoux, sont des expériences marquantes. Elles ont construit ma passion, puis mon expertise.
Mon mode de vie influence en permanence ma manière de penser la scène artistique contemporaine. À cela, il faut ajouter un parcours universitaire singulier, rythmé par plusieurs cursus dans différentes régions de France. C’est mon lifestyle.
Quelles sont tes activités principales ?
Je crée des parcours en tant que commissaire artistique en art urbain contemporain, ce qui me permet aujourd’hui de proposer mes services en tant qu’experte à des institutions culturelles et à des chefs d’entreprises.
Chargée de projets pour la Cité Musicale à Metz pendant dix ans, j’y ai conçue deux événements : la East-Block Party, et un cycle d’expositions intitulé Z.U.C – Zone Urbaine Créative, en référence à la labellisation territoriale des quartiers sensibles ( Z.U.P – Zone à Urbaniser en Priorité, Z.U.S – Zone Urbaine Sensible, Z.E.P – Zone d’Éducation Prioritaire, etc.) et dont l’objectif est de rendre visible l’image positive et créative de ces quartiers. Fascinée par l’esthétique de rue, cela me tient à cœur de véhiculer une image positive des gens qui habitent ces territoires en valorisant leurs créativités et les artistes qui y résident, notamment en invitant des photographes qui portent un regard sur l’histoire de ce mouvement, comme Martha Cooper, Henry Chalfant ou encore Yoshi Omori. Je constate que la photographie est révélatrice d’artistes qui aiment autant que moi le mouvement hip-hop et le graffiti, avec un regard affûté sur la mode, le lifestyle et l’expérience du terrain. Pour la première édition j’ai invité Arnaud Oliveux et Darco FBI, au showroom de Carhartt pour aborder la relation entre le street art et le marché de l’art, déjà en 2009 !
Je conçois mes parcours en liant exposition et médiation. En effet, j’ai besoin de proposer des actions culturelles empreintes de mon regard personnel et bienveillant, pour favoriser la découverte des nombreuses esthétiques existantes.
Tu as collaboré avec des grands noms et des institutions. Peux-tu nous présenter tes dernières réalisations ?
Actuellement, on peut venir découvrir mon travail de commissaire dans le cadre de l’événement Constellations, parcours Street Art, conçu avec la ville de Metz, du 24 juin au 4 septembre 2021. C’est une balade qui explore la scène art urbain et aussi art numérique avec des œuvres immersives, sur une quinzaine de lieux différents. Le parcours est dessiné par le tracé des transports en communs du réseau METTIS de Metz. Le patrimoine architectural et naturel de la ville est mis en valeur, notamment avec une fresque végétale.
À cela s’ajoute une exposition co-signée avec Valériane Mondot de la Taxie Gallery qui s’intitule Sketch : de l’esquisse au graffiti, à l’Arsenal Metz, du 3 juin au 12 septembre 2021, et en partenariat avec Gares & Connexions.
Comment pourrais-tu définir ta sensibilité artistique ?
J’ai grandi avec cette première déferlante Hip Hop. Tout allait vite, créateurs de mode, danseurs, graffeurs, dj, collectionneurs se fréquentaient aussi bien lors de “jams” que des soirées et vernissages. Globe-trotteuse et électron libre, mes sneakers m’ont emmené de New-York à Berlin, en passant par la Suisse.
S’il fallait me définir, je parlerais d’activiste, de « hip hopiste » et « Queen Zulu ». D’ailleurs, je suis membre de la Zulu Nation introduite par Dee Nasty, le pionnier du mouvement Hip Hop en France.
Il me paraît particulièrement important de partager les croisements entre photographie et art urbain, en invitant Jamel Shabazz, Maï Lucas et Silvio Magaglio, pour ne citer que ces acteurs majeurs de la scène. La démarche de Zoé Léonard me parle aussi beaucoup. Cette autodidacte, qui expérimente photographie et militantisme depuis le début des années 80, a notamment capturé, dans sa série Analogue is a land art project, des tags et marques du temps laissés sur des petits magasins de quartiers aux Etats-Unis.
La photographie est le fil conducteur de tes propositions, mais tes activités sont foisonnantes…
L’espace public, avec ses fresques et ses graffitis, me questionne tout le temps car j’y vis en permanence. La pratique du skate me permet d’appréhender l’architecture urbaine de manière fonctionnelle. J’ai donc installé une rampe dans le grand hall de l’Arsenal, dans l’exposition Art on Board, avec un atelier de customisation de casquettes au Centre Pompidou Metz. Mon appréciation de l’environnement public se nourrit aussi de danseurs qui s’approprient des espaces urbains comme des studios à part entière. Donc oui parfois c’est pas facile de me suivre !
Ta passion s’appuie-t-elle sur une théorie ?
Ma passion est devenue expertise grâce à mon parcours universitaire, nourrie par l’histoire de l’art, l’archéologie et la géographie, mes réflexions évoluent avec les rencontres, les expériences.
Je peux parfois trouver une filiation dans l’esthétique relationnelle développée par Nicolas Bourriaud : l’Art est un ensemble de pratiques à penser dans les rencontres, lesquelles ont pour but de produire des outils nous permettant de comprendre l’évolution de l’Art lui-même et de nous sentir proche des œuvres. Ce besoin de proximité avec les publics et les habitants s’exprime dans le regard des œuvres qui sont présentées. Pour transmettre une médiation, la forme du militantisme permet d’amener une meilleure compréhension, ainsi qu’une acceptation de cette culture en perpétuel mouvement qui, parfois, échappe à une simple lecture institutionnelle.
Propos recueillis par Fanny Tobia
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