Les sept péchés capitaux selon Brecht à l’Athénée
Le metteur en scène Jacques Osinski a choisi cette perle musicale et chorégraphique écrite par Brecht sur une partition de Kurt Weill pour ouvrir la saison de l’Athénée Louis Jouvet après le long sommeil sanitaire. Une forme cabaret modernisée en forme de road movie américain que le chef Benjamin Levy dirige avec grâce avec l’Orchestre de chambre Pelléas.
Un pirate allemand
En 1933, alors qu’Adolphe Hitler parvient enfin au pouvoir en Allemagne, Bertolt Brecht fuit un régime de dictature qui a brulé ses livres et parcourt l’Europe avec sa jeune épouse, la comédienne Hélène Weigel. La brève période qu’il passe cette année à Paris, alors que le nazisme lance une menace à l’Europe, lui permet d’écrire un conte en forme de parabole, sept tableaux pour dépeindre les sept péchés capitaux. L’histoire de deux soeurs au même prénom, Anna 1 et Anna 2, l’une chanteuse, l’autre danseuse, avec leurs parents et leurs deux frangins, tous incarnés par des chanteurs hommes. Fable faussement morale sur les dérives d’une Eglise coercitive, le livret raconte le voyage des soeurs en partant de Louisiane vers la Californie à la recherche du succès et de l’argent. Très ironique sur le capitalisme et l’appât du gain qui rend les « petits bourgeois » dépendants d’une nouvelle morale matérialiste. Kurt Weill, l’alter ego musical de Brecht, en compose la musique si particulière, surfant sur les tonalités et les rythmes, mêlant jazz et tango, tradition et modernité des gammes qui se fichent des harmonies.
Un conte onirique mais acide
Jacques Osinski, entouré de ses fidèles collaborateurs, a choisi une simple structure métallique sur un plateau noir et des artistes qui s’habillent à vue dans une ambiance aux lumières subtilement contrastées. Le décor, léger, permet aux spectateurs la plus grande visibilité et les conduit aussi à s’immiscer dans l’intimité des scènes. En bas, la famille mange et boit grossièrement autour d’une simple table, commentant et critiquant leurs deux filles mais les encourageant à rapporter de l’argent. En haut, l’écran imposant projette des vidéos de Yann Chapotal, images virtuelles d’autoroutes vibrantes de voitures lancées à toute vitesse et de buildings américains, symbolisant la toute puissance de la liberté. Manuel Núñez Camelino, Camille Tresmontant, Guillaume Andrieux et Florent Baffi campent avec une bonhommie roublarde la famille des deux soeurs, choeur de petits bourgeois affolés par leur progéniture indécente.
La jeune et talentueuse mezzo-soprano Nathalie Pérez prête son timbre clair et chaud au personnage d’Anna la cantatrice, grande soeur raisonnable et aimante qui protège et chaperonne sa petite soeur délurée. Sa diction, la musicalité de son timbre et la finesse de sa tessiture font de sa prestation une véritable régal. Cette adepte du Lied est aussi excellente quand elle interprète les « songs » de Weill comme Yukali ou Je ne t’aime pas, aux mélodies envoûtantes. Noemie Ettlin, féline danseuse au corps élastique, est la petite soeur qui doit se vendre pour manger. Sa rage, son énergie contrebalance la douceur sage de sa soeur. Dans la fosse, Benjamin Levy fait résonner son petit orchestre avec précision, rythme et lyrisme. Un peu trop joli pour du Brecht ? Ne boudons pas notre plaisir car la soirée est délicieuse.
Hélène Kuttner
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