Pierre Martial : “Ma formation scientifique m’a toujours poussé à expérimenter dans l’art”
Pierre Martial travaille la photographie argentique avec une approche scientifique. Lauréat des Prix de l’ICART Bordeaux 2021 avec sa série REDSCALE réalisée entre 2019 et 2020, il a exposé tout le mois de mai chez Boesner à Bordeaux. Passionné de cinéma et des techniques photographiques ancestrales, il a l’art de créer des scènes par l’image et de nous transporter dans un imaginaire plus réel que nature.
Pourrais-tu nous décrire ton travail et plus particulièrement l’exposition réalisée pour les Prix de l’ICART ?
Mon travail en photographie est axé autour de l’argentique. Bien qu’arrivé après dans ma démarche de photographe, c’est véritablement avec l’argentique que ma pratique s’est professionnalisée. J’ai également recours à des procédés alternatifs anciens comme le cyanotype ou le collodion humide, une technique photographique sur plaque de verre. C’est pour moi une façon de revenir à la photo telle qu’elle a été inventée au départ. J’expérimente aussi la technique de la gomme, qui a également été mise au point au XIXe siècle. Je suis dans une démarche de recherche constante, la pratique de procédés anciens plus ou moins oubliés est vraiment stimulante !
Pour les prix de l’ICART, j’ai voulu proposer une série de photos en redscale, qui n’est pas une technique ancienne à proprement parler. C’est une technique assez simple que tout le monde peut pratiquer. Elle consiste à exposer le côté non émulsionné d’une pellicule négative couleur classique. En résultent ainsi des photographies toutes en nuances de rouge, avec parfois quelques touches de jaune-orangé. Cela reste une technique 100% analogique, il n’y a aucun filtre ou modification apportés en postproduction.
Comment es-tu arrivé à la photographie ?
J’ai un peu anticipé la question. J’ai suivi une formation scientifique avant d’avoir une formation plus artistique. C’est ce qui m’a toujours poussé à expérimenter. Quand j’ai commencé à faire de l’argentique, j’ai cherché à avoir des résultats expérimentaux. Ma créativité naît surtout d’une démarche scientifique, que j’applique à ma pratique artistique. J’ai fait un bac S, suivi d’une prépa scientifique et d’un DUT Mesures Physiques. À ce moment-là, je ne m’intéressais pas vraiment à la photo. Après cette formation scientifique, je me suis réorienté en cinéma à l’Université Bordeaux Montaigne ; j’y ai suivi une licence et un master Recherche en études cinématographiques. C’est à ce moment-là que je me suis découvert un intérêt particulier pour les images fixes en plus de celles animées, et que je me suis mis à l’argentique. J’avais un intérêt scientifique pour l’appareil photo, je voulais savoir comment il fonctionnait exactement, et comment faire pour obtenir un rendu, avec tel ou tel réglage. Je voulais comprendre comment la technique, la science, pouvait servir l’art.
Parle-nous de la photo ci-dessous.
C’est une photo qui a été prise pendant le deuxième confinement, début novembre 2020. Avec le confinement lié à la crise sanitaire, l’activité de photographe (comme bien d’autres) a été très réduite, particulièrement dans le domaine de l’événementiel. J’ai donc profité de ce deuxième confinement pour faire des photos en redscale, dans un rayon de 1km autour de mon domicile puisque c’était la règle. Je me suis ainsi tourné vers les paysages urbains. Inconsciemment, j’ai retranscrit le contexte actuel de crise sanitaire. C’était très instinctif. La contrainte de ne pas pouvoir travailler et me déplacer trop loin m’a amené à revoir sous un autre angle des lieux que je connaissais parfaitement bien. Il m’a fallu chercher de l’inspiration dans ce qui était connu. J’ai choisi de shooter en redscale, je ne sais pas trop pourquoi, et de laisser parler mon instinct.
Sur cette photo, on voit des silhouettes au premier plan, écrasées par le paysage urbain. Cette photo peut être un peu anxiogène car elle est très sombre. La seule chose qui ressort est cette croix verte que l’on identifie tout de suite. Elle apparaît dans ce décor comme un symbole, elle me paraît en tout cas être la photo qui symbolise le mieux la situation.
Qu’est-ce qui t’inspire dans tes réalisations ?
La plupart de mes références sont cinématographiques, puisque j’ai grandi avec le cinéma. J’y allais une fois par semaine étant enfant et adolescent, j’ai regardé beaucoup de films et j’en regarde encore énormément. Avec ma formation en cinéma, j’ai eu beaucoup de cours et de références dans le cinéma. Mes photos de paysages sont assez cinématographiques, je fais des photos qui recréent mon imaginaire. J’ai fait un voyage aux États-Unis en 2017 et mes photos sont la retranscription de mes paysages fantasmés des États-Unis. J’ai notamment utilisé des pellicules de cinéma, comme la CineStill, qui est à l’origine un film Kodak produit pour le cinéma et qui a été reconditionné pour pouvoir être utilisé dans des appareils photos argentiques classiques. Le chef opérateur Benoît Debie est certainement l’un de ceux qui m’inspirent le plus, notamment pour son travail de la couleur. J’aime beaucoup son travail sur les films de Gaspar Noé, ainsi que sur Spring Breakers de Harmony Korine.
En ce qui concerne la photographie, je trouve également une grande inspiration auprès de David Hockney. J’aime particulièrement les collages qu’il a réalisés dans les années 70-80. Mais ma référence picturale première est sans doute Edward Hopper. C’est un peu malgré moi car certaines des photos que je fais me rappellent son travail a posteriori, notamment celle de la pharmacie REDSCALE n°11 que je vous ai présentée.
Quels sont tes projets en cours ?
Depuis quelque temps, je fais surtout du portrait. C’est une pratique que je n’avais pas du tout jusqu’à il y a peu car j’avais un peu peur des gens, du moins de les diriger. Avant le premier confinement, je me suis imposé cette approche de la photo pour sortir de ma zone de confort et c’est maintenant quelque chose qui me plaît beaucoup ! Je me suis donc mis à faire des portraits à la chambre photographique. Avec la crise sanitaire, j’ai aussi repensé mon activité et c’est un des grands points positifs de la situation. Je suis en train de mettre en place un studio photo itinérant. J’ai acheté un triporteur pour être mobile dans Bordeaux et tirer le portrait aux passants et aux touristes. Ce qui m’intéresse surtout est de pouvoir développer les photos sur place et de leur faire découvrir ce qu’était la photo à l’origine. Aujourd’hui tout le monde a un portable, tout le monde fait des photos, mais peu savent comment est né le support physique et ce qu’était la photographie avant le numérique. C’est une démarche initiatique pour développer des photos uniques sur un papier noir et blanc positif. C’est également l’occasion d’échanger autour de mon métier. Je me mets aussi à faire de la formation, toujours dans un but d’échange et de partage. Je propose des formations d’initiation à la photographie argentique une fois par mois. Les cours, sur une journée entière, sont très ludiques et se font pas groupe de trois élèves maximum. J’ai toujours voulu transmettre, mes deux projets en cours sont très liés à ça.
Maintenant j’ai mon atelier/studio/labo sur Bordeaux au 131 Cours d’Albret, “Le Chevalet sans tête”, où l’on peut venir me rencontrer sur rendez-vous. On est trois artistes dans ce magnifique atelier. Je partage l’espace avec Julien, artiste peintre et Odélie, tatoueuse.
Retrouvez le travail de Pierre Martial sur son site Internet et son compte Instagram.
Propos recueillis par Emma Labruyère
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