Élénie Sarciat : “Comme en danse, le mouvement permet d’ouvrir des possibilités de choix”
Rencontre post-événement avec la danseuse Élénie Sarciat, grande gagnante des Prix de l’ICART 2021 : tremplin artistique destiné aux jeunes artistes émergents sur le territoire girondin. Elle revient ici sur sa performance et nous confie son rapport au mouvement, avec conviction et sensibilité.
Peux-tu nous raconter ta rencontre avec la danse et nous résumer ton parcours ?
J’ai rencontré la danse de manière assez classique puisque j’ai été inscrite dans une école de ville dès mes 3 ans et demi en danse classique, et l’année suivante je commençais le Modern’jazz. Ma professeure, Séverine Bonnin-Limousin, mettait chaque année en place un ballet classique et une comédie musicale. Rapidement j’ai été mise en avant à travers des rôles, ce qui a accéléré mon intérêt et intensifié ma pratique. J’ai ensuite intégré le Conservatoire de Bordeaux, en cursus classique, pendant mes trois années de lycée. Après avoir obtenu mes diplômes et passé mon bac, j’avais besoin de m’éloigner de la danse ; c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Alain Gonotey qui m’a parlé du Lullaby Danza Project. Une année après, j’intégrais sa formation pendant deux ans en parallèle de mes études. Ces deux années de formation m’ont permis de m’exprimer davantage dans l’espace contemporain et de sortir un peu des catégories qui ne m’appartenaient finalement pas. Je me suis beaucoup plus retrouvée dans l’expression du contemporain et surtout dans cette envie de trouver sa propre identité, sans forcément la nommer. Ces deux années m’ont vraiment changée. J’ai ensuite continué mes études en saisissant des projets et opportunités de stage en Tunisie, en Russie et au Maroc. Sur cette dernière année, j’avais pour désir de me consacrer un peu plus à la danse et c’est quelque chose que je ne compte pas lâcher.
En parallèle de ta formation professionnelle en danse, tu as suivi un cursus en droit puis en sciences politiques et sociales. Comment as-tu conjugué ces deux investissements ?
J’ai commencé à intensifier ma pratique de la danse alors que je n’étais qu’en 5ème, faisant plus de 15h de danse par semaine. Après ça, au conservatoire comme à la fac, j’arrivais à conjuguer ma formation en danse avec mes études grâce à mes horaires aménagés. Ces deux engagements étaient pour moi complémentaires, m’apportant un vrai équilibre entre des études plutôt intellectuelles et un réel engagement du corps. La danse fait partie de moi, et en même temps j’ai besoin de réfléchir, d’apprendre et d’agir sur le monde qui m’entoure. Ce rythme soutenu m’a permis d’être efficace sur des laps de temps réduits, m’a interdit la procrastination et m’oblige à toujours être investie dans quelque chose. Mais lorsque j’étais à Sciences Po’ et que j’avais moins le temps de danser, je sentais que j’étais moins productive, il me manquait quelque chose.
L’exercice de l’improvisation en danse est-il pour toi synonyme de dépassement de soi, d’inconnu, de liberté peut-être… ?
Mon rapport à l’improvisation a énormément changé. Au début c’était quelque chose que je ne pratiquais pas, et forcément cette part d’inconnu me faisait peur. Aujourd’hui, c’est plutôt synonyme pour moi de liberté. Disons que c’est maintenant l’espace où je sens que je peux exprimer des choses que je ne retrouverais pas aussi facilement par l’anticipation. Si je voulais les provoquer, je ne les trouverais pas. La fraîcheur du corps, ce qu’il a appris mais pas forcément digéré de manière intellectuelle, ressort à cette occasion.
Tu es donc la grande gagnante de la première édition des Prix de l’ICART 2021 : tremplin artistique destiné aux jeunes artistes girondins. Qu’est-ce qui a animé ton désir de candidater à cet événement ?
Et bien avant tout, le fait de trouver l’opportunité d’un moment de scène cette année. Ensuite, l’envie d’avoir un projet très concret, là encore liée à l’année qu’on est en train de vivre. C’est aussi le premier concours de toute ma vie, puisque j’ai souvent refusé de participer à des concours en danse. En effet, dans ma vision de la danse, ce n’est pas quelque chose qui peut être jugé, je ne me situe pas dans la performance. J’avais donc écarté cette chose-là mais j’avais cette envie de me mettre dans une situation d’enjeu, de challenge. Je suis aussi dans un moment où j’ai besoin de m’affirmer et de me présenter en tant que danseuse, que ce soit pour moi, mes proches, comme auprès du réseau bordelais.
Tu as performé sur le thème de l’improvisation, avec comme contraintes l’espace circulaire, une musique et un mot tous deux piochés au hasard. Quel fut pour toi le réel enjeu de cette participation ?
Je pense que ce qui me tenait le plus à cœur et donc me faisait le plus peur, c’était de réussir à être dans l’instant et non pas dans la volonté de réaliser et projeter quelque chose. J’avais l’envie de m’exprimer avec ce qui se passait dans l’instant. Je craignais de trop vouloir montrer “qui je suis, ce que je sais faire” au risque de passer à côté du moment présent. Je souhaitais pouvoir me dire que je dansais ce que j’étais à cet instant T, en me détachant de tout enjeu qui serait venu brouiller cela. J’ai donc occulté toute attente de ma part.
Au-delà de la technique, saurais-tu exprimer en quelques mots ce que tu as ressenti et engagé corporellement lors de cette performance ?
Les sensations que j’ai pu ressentir ont été assez progressives. Il y a eu beaucoup de frustration au début, je voulais prendre le temps des choses, mais mon corps ne me laissait pas le faire. Je me suis sentie bousculée par la musique. Elle ne me parlait pas et pourtant elle est venue m’emporter là où je suis allée. J’ai senti que je luttais avec elle. Je suis parvenue ensuite à m’en détacher et j’ai réussi à me perdre dans l’espace, dans mon esprit. Une fois perdue dans l’espace, j’ai pu extraire quelque chose de plus authentique. J’ai ressenti beaucoup de joie et de liberté.
Tu as intitulé l’une de tes dernières improvisations “Rien est figé“ et ta quête de mouvement perpétuel est palpable. Quel est ton principal moteur pour échapper à l’inertie et te rapprocher du vivant ?
Cette idée “rien est figé” constitue l’idée principale d’une réflexion autour de l’identité, notamment inspirée du livre d’Amin Maalouf, Les identités meurtrières. Pour résumer sa vision, dans laquelle je me retrouve, c’est que finalement en tant que personne nous n’avons pas une seule identité mais plusieurs, qui évoluent sans cesse au fil de nos rencontres et de nos expériences. Notre identité n’étant pas seulement celle que l’on peut raccrocher à notre origine, à nos parents. Cette vision permet de prendre du recul sur le besoin de catégoriser les choses et les personnes. Tout ce que l’on est, est toujours en train d’évoluer et tout ce que l’on vit constitue qui nous sommes. Par ailleurs, ma profonde révolte interne, mon réel combat, est de lutter contre la théorie des milieux, le déterminisme. J’aimerais pouvoir combattre certaines inégalités, c’est pourquoi je travaille sur la migration, afin de donner à chacun la possibilité de choisir sa vie. Comme en danse, le mouvement permet d’ouvrir des possibilités de choix, de changer certaines places.
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un jeune danseur qui se lance et rêve de pouvoir vivre de sa passion ?
C’est marrant, j’en parlais justement hier. Je pense que la chose importante lorsque l’on est danseur et que l’on souhaite aller loin, c’est d’être humble et de toujours questionner ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. La danse te l’apprend, de manière générale tu comprends vite que tu peux toujours progresser, que même si tu réussis certaines choses, tu peux toujours aller plus loin. Ensuite, je soulignerais l’importance d’être curieux, ouvert, d’avoir envie de tout découvrir ; pour ensuite faire ses choix, mais d’aller partout avec beaucoup d’humilité, de naïveté et de curiosité. Il n’y a que comme ça qu’on peut apprendre. Il faut se laisser traverser par l’inconnu, par les nouvelles choses qu’on découvre, par l’émotion et le trouble qu’elles peuvent susciter.
Retrouvez Élénie sur ses pages Instagram et Youtube.
Propos recueillis par Joséphine Roger
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