0 Shares 15824 Views

Décryptage – Le thème des Sabines, du mythe à la peinture

Emma Gontier 19 avril 2021
15824 Vues

Zoom tiré du tableau "Les Sabines" de Jacques-Louis David

Cette fois-ci nous nous attaquons au thème vu et revu des Sabines dans la peinture et l’histoire de l’art. À travers six œuvres nous allons voir comment ce mythe romain en est arrivé à être un des thèmes récurrent des plus grands peintres de l’histoire.

L’Enlèvement des Sabines fait partie de la légendaire histoire de la construction de Rome. Alors que Romulus vient de finir la fondation de la ville de Rome il n’a plus qu’une préoccupation : la peupler. Lui et ses quelques compagnons ne suffiraient pas. Sa première idée fut de transformer la ville en lieu d’asile pour les hors-la-loi, les bannis, les meurtriers ou même les esclaves fugitifs. On est d’accord que niveau sureté dans la ville on était pas au top. Romulus fit alors face à un nouveau problème, la ville manquait cruellement de femmes. Hors les habitants de Rome que l’on vient juste de citer n’inspirait vraiment pas confiance à leurs voisins (on les comprend) et ceux-ci refusèrent alors catégoriquement de marier leurs filles à ces Romains. Romulus monta alors un stratagème pour enlever les femmes de leurs voisins : les Sabins. Ils organisèrent une fête en l’honneur d’un dieu : Consus et y invitèrent les peuples voisins. Au signal de Romulus, qui était de s’enrouler dans sa cape, (Romulus cette drama-queen), les romains se saisirent des femmes et des filles des Sabins et éloignèrent les hommes. Les romains prirent alors ces femmes pour épouses. Mais les Sabins n’étaient certainement pas décider à abandonner et attaquèrent le Palatin quelques 3 ans plus tard. Ils devaient pas être si pressés que ça… Mais au moment où tous allaient s’entretuer, les Sabines désormais romaines s’interposèrent pour empêcher leurs époux de tuer leurs familles. Cet épisode est selon la légende l’acte de création du Forum en tant qu’espace d’échange non violent. Les Sabines en incitant les hommes à jeter les armes auraient ainsi participé à la création d’un espace d’échange politique neutre.

La question que tout le monde se pose maintenant : Mythe ou Réalité ? 

Les historiens et les spécialistes sans en avoir une parfaite certitude, pensent que le mythe pourrait être la réalité et les témoignages archéologiques ne permettent pas de le démentir.

Les peintres depuis en grande partie le 17ème siècle, se sont saisis de ce thème. Certains des plus grands d’entre-eux ont peint ce fameux épisode de l’enlèvement des Sabines. En effet le thème se prête particulièrement bien à la peinture : la théâtralité de la scène est immense et la puissance de la résistance des femmes est le support parfait pour un tableau marquant et monumental.

1- L’Enlèvement des Sabines de Poussin 1638 – Classicisme

Dans le tableau de Poussin on sent véritablement le classicisme. Le tableau cherche de la profondeur, les vêtements et les bâtiments trouvent des inspirations dans l’antique. On veut donner à celui qui va regarder le tableau exactement ce qu’il attend. Poussin se place en sympathisant des Sabines et utilise des couleurs très saturées, une théâtralité chaotique et des mouvements très intenses.

l’enlèvement des Sabines 1639 Poussin

2- L’Enlèvement des Sabines de Rubens 1640 – Baroque

Voici l’interprétation de Rubens de l’enlèvement des Sabines. On reconnait bien évidemment le coup de pinceau si caractéristique de l’artiste. Les couleurs sont comme à son habitude assez impressionnantes et la lueur rouge pourpre qui tombe sur le tableau nous plonge dans une ambiance assez sombre et tourmentée. Dans ce tableau la pâleur de la femme au centre et ses yeux dirigés vers le ciel rappelle une apparition. Sa robe dorée accentue encore cette impression, la couleur symbolise aussi la pureté morale de la femme en contraste à celle de l’homme. Cependant, le style vestimentaire et les coiffures des femmes sont beaucoup plus modernes et bien moins inspirés du fantasme antique.

Cette ré-interpretation du thème nous laisse dans une certaine étrangeté car on s’attendrait à retrouver les toges et les robes légères de la tradition de antique imaginé. Rubens se place aussi du coté des Sabines en montrant une grande brutalité et des visages féminins tordus de peur et de terreur. On garde comme chez Poussin une représentation traditionnelle dans la forme très théâtrale et mouvementée, ce qui n’est pas inattendu chez un artiste baroque.

l’enlèvement des Sabines 1640 Rubens

3- Les Sabines de Jacques-Louis David 1799 – néo-classicisme

Peut-être le tableau le plus connu de ceux qui sont présentés ici, il est voulu comme une suite à celui de Poussin. Ce n’est pas ici l’épisode de l’enlèvement des Sabines mais celui du moment où les Sabins attaquent Rome et que celles-ci s’interposent. Au niveau de l’action centrale et de la torsion des corps on peut retrouver une partie des inspirations de David, Persée et Phinnée de A.Carrache par exemple ou le Martyre de saint André du Dominiquin . La virtuosité de la touche est bien entendu incroyable et presque photographique. La partie interessante du tableau de David est sa prise de position sur l’évènement qui montre des femmes fortes, qui se battent pour leurs opinions. David peint ce tableau peu après la révolution française et cela se sent, on identifie facilement la femme du centre à Jeanne D’arc, une française qui se battait pour le liberté et ce n’est pas une coincidence, a travers ce tableau David se place en sympathisant des révolutionnaires.

Les Sabines 1799 Jacques-Louis David

4- La trilogie des Sabines de Charles Christian Nahl  1870 -1871

On sent chez Nahl un traitement réfléchi du thème, en effet c’est une commande d’un riche industriel. Il choisit d’en faire une trilogie qui conte le mythe du début à la fin en suivant deux personnages. Ce traitement assez inhabituel est en réalité assez agréable et nous permet de mieux identifier les personnages. Dans les tableaux de Nahl, sa prise de position pour les romains est assez évidente, non pas seulement en les plaçant en héros, mais en peignant les femmes se donnant sans véritable bataille aux romains. Celles-ci semblent se jeter dans leurs bras. Pour lui, les romains conquérants et raffinés offrant un mariage à des femmes tribales donnent une opportunité attractive aux femmes qui ne résistent pas.

L’Enlèvement, 1870, Charles Christian Nahl

La Captivité, 1871, Charles Christian Nahl

L’Invasion, 1871, Charles Christian Nahl

5- L’enlèvement des Sabines de Picasso 1962 – Cubisme

Ici la scène est revisitée sous l’angle cubiste. La position du guerrier à droite est directement tirée de l’œuvre de David. C’est assez étonnant de retrouver un thème aussi vu et revu dans un traitement classique chez Picasso mais plutôt agréable. On retrouve bien entendu le style de l’artiste avec cette palette si identifiable. On reconnait ses inspirations passées que ce soit David ou Poussin. Picasso voulait clairement ré-interpréter le tableau de ses ainés. Comme souvent chez Picasso on a cette lueur engagée comme avec Guernica, il se place du coté des Sabines qu’on voit terrifiées et enlevées avec une brutalité étalée.

L’enlèvement des Sabines, 1962, Picasso

6- Petit Chaperon Rouge visite le Grand Louvre de Anton Solomoukha 2001

L’artiste à mis en scène et pris en photo cette oeuvre. On y voit beaucoup de similitudes avec l’enlèvement des sabines. Il traduit le mythe dans une grande modernité. Il se moque de l’hyper-sexualisation de la scène notamment par Poussin. Dans cette oeuvre Solomouckha base sa réflexion essentiellement sur l’opposition au traditionalisme artistique. Il tourne au ridicule un thème particulièrement célèbre en rejetant le médium, mais aussi la gravité et la théâtralité grandiloquente du thème.

Petit Chaperon Rouge visite Le Grand Louvre 2001 Anton Solomoukha

Propos de Emma Gontier

Articles liés

« Les Misérables », une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet
Spectacle
349 vues

« Les Misérables », une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet

Plus de quarante ans après la première création en français, l’opéra d’Alain Boublil et de Claude-Michel Schönberg revient au Théâtre du Châtelet dans une nouvelle version et une mise en scène de Ladislas Chollat. Quarante interprètes dont des enfants...

“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14
Agenda
105 vues

“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14

L’histoire est inspirée de l’affaire de Johann Christian Woyzeck (1780-1824) à Leipzig, ancien soldat, accusé d’avoir poignardé par jalousie sa maîtresse, Johanna Christiane Woost, le 21 juin 1821. Condamné à mort, il a été exécuté le 27 août 1824....

La Scala présente “Les Parallèles”
Agenda
100 vues

La Scala présente “Les Parallèles”

Un soir, dans une ville sans nom, Elle et Lui se croisent sur le pas d’une porte. Elle est piquante et sexy. Lui est hypersensible et timide. Il se pourrait bien que ce soit une rencontre… Mais rien n’est moins sûr, tant ces deux-là sont maladroits dans leurs...