Léa David, directrice de salle de cinéma : “La phase de colère est passée, je suis juste déçue”
Gérante d’une salle de cinéma à Clermont dans l’Oise, Léa DAVID a 24 ans et nous explique aujourd’hui les tenants et aboutissants d’un métier qui a du mal à survivre au COVID19.
Bonjour Léa, peux-tu nous expliquer ton parcours ? Comment en es- tu arrivée à diriger ce cinéma ?
Bonjour Victor ! En sortant d’un Bac L que j’ai eu très laborieusement, je me suis orientée vers une licence d’art du spectacle option cinéma où j’étais totalement épanouie. Pendant ma dernière année de licence, j’ai effectué un stage dans le fameux cinéma. Ce stage m’a beaucoup plu car j’ai pu découvrir l’envers du décor. Je connaissais très bien ce cinéma car j’y allais depuis toute petite. Après quelques péripéties, j’ai postulé pour en devenir la directrice et mon dossier a été appuyé par le staff ; je me suis donc retrouvée directrice de cinéma à 20-21 ans.
Tu ne te voyais plus continuer au-delà de la licence ?
Non, avoir décroché ce poste est une bonne chose pour moi car je ne voulais plus d’études théoriques. J’avais besoin d’être sur le terrain après y avoir goûté lors de mon premier stage !
L’intégration n’a-t-elle pas été trop dure ?
Au début, c’était un peu compliqué mais j’ai la chance de travailler avec Dominique qui a été un excellent formateur, il est profondément humain. Je le considère comme mon deuxième papa et, encore aujourd’hui, nous travaillons de concert.
Quelles sont tes missions pour le cinéma ?
J’ai beaucoup de casquettes. Je suis à l’accueil, je m’occupe de la vente des tickets mais le plus gros de mon travail reste la programmation. Je choisis les films, je fais le programme en fonction des semaines, j’organise et anime les ciné-débats. Je suis aidée par mon programmateur, un peu plus un distributeur en soit, et je lance les films, je nettoie le matériel, je gère la salle. J’ai évidemment toute la gestion du budget mais c’est la partie la moins intéressante de mon travail. On peut vraiment dire que je suis multitâches.
Étant donné que tu t’occupes de la programmation, comment est-ce que tu gères chaque choix de film ?
Je travaille très longtemps en amont pour travailler très vite en aval. J’organise les copies de film que je veux pour telle semaine, j’appelle mon programmateur puis je m’arrange avec lui. Tout est affaire de compromis car mon programmateur gère une trentaine de salles. On arrive toujours à s’accorder au final. Il y a certains films dont je suis la seule salle à les diffuser dans l’Oise donc parfois c’est assez compliqué de les obtenir.
Ce sont plutôt des choix du cœur ou de la raison ?
Je ne suis honnêtement plus objective. Au début, je faisais en fonction du public mais j’ai appris à le connaître désormais. Nous sommes un cinéma d’art et essai donc j’ai l’obligation d’en diffuser un par semaine. Je suis tout autant friande d’Art et Essai que de blockbusters hollywoodiens. Je peux allier plaisir de diffusion et succès, comme pour les films Star Wars. En revanche, je diffuse les Fast and Furious et autres Tuches parce que je sais pertinemment que ça va cartonner, soyons honnêtes. Notre but, en tant que service public n’est pas de faire de l’argent dans l’absolu, même si j’ai quand même cet objectif en tête.
Que penses-tu des services de streaming et de VOD ?
Je ne suis pas virulente, du moins pas autant que certains de mes collègues. J’aime beaucoup certaines productions Netflix comme Mariage Story par exemple. Mais tous les films Netflix du monde ne valent pas une séance dans une salle de cinéma. Par contre, avec la période du COVID, je tiens à balancer mon coup de gueule au nom de tous les exploitants de salles. Pendant 1 an, nous avons communiqué autour du film Mulan. Nous leur avons fait de la pub, et au final ils l’ont diffusé sur Disney+. Je trouve cela profondément malhonnête parce que, finalement, on a travaillé pour la concurrence.
Tu as évoqué la crise du coronavirus, ton travail sera-t-il impacté par cette crise ?
Évidemment ! C’est une crise qui touche le cinéma de plein fouet. Après le premier confinement, les films sortaient tous en même temps c’était l’apocalypse. Et maintenant ça va être encore pire ! On a 1 an de films à rattraper, ça va être un bouchon monstrueux à la sortie. Les salles plus modestes, comme la mienne, vont devoir faire des choix au risque de devoir décevoir certains.
Néanmoins, je reste optimiste. je sens que le public va retourner au cinéma. Les musées vont rouvrir alors qu’on se balade librement alors pourquoi pas les cinémas dans lesquels nous sommes assis, dans le noir, avec un masque en train de tous regarder dans la même direction.
Là ou nous pourrions avoir peur c’est dans l’avenir de la production cinématographique. Beaucoup de boîtes de productions ont dû puiser dans leurs capitaux. Mais en France, le CNC nous sauvera la mise heureusement. Les gros blockbusters financeront ainsi mes films d’Art et Essai préférés ! C’est d’ailleurs pour ça que je diffuse de gros films dans mon cinéma.
Le cinéma est touché, c’est une certitude. Peut-on en dire autant de ton travail ?
Encore une fois, j’ai la chance d’être rattachée à la communauté de commune et je n’ai pas peur, à l’instar de mes collègues, de perdre mon emploi. Cette épée de Damoclès n’est pas au-dessus de ma tête. Et puis, j’ai tout de même un peu de travail à faire. Il faut absolument que je fasse tourner les machines pour éviter les problèmes, comme une voiture en somme. Je planifie les événements à venir malgré tout, j’ai des dossiers administratifs à traiter. Toute la partie fun est mise de côté. J’ai perdu mon boulot, je ne vois plus personne et c’est très dur. On a l’impression d’être constamment confinés depuis quasiment un an. Mais, je le répète, j’ai la chance d’avoir la sécurité de l’emploi contrairement à beaucoup de mes pairs.
Après tout, la culture reste “non-essentielle” n’est-ce pas ?
Cette annonce a fait l’effet d’une bombe et j’en ai littéralement pleuré de rage. Je trouve ça aberrant de dire que la culture n’est pas essentielle. Il suffit de voir les chiffres de dépression. Je suis profondément écœurée de me dire que nous sommes dirigés par des personnes qui jugent la culture dispensable. Je vois que les lycéens et la jeunesse n’ont plus accès à rien. Les cinémas ne sont pas des clusters, c’est avéré, mais on va les laisser fermés. Par contre, les métros et les bureaux de votes seront toujours fonctionnels. Les écoles sont ouvertes parce qu’autrement, les parents ne peuvent pas travailler et c’est la fin de l’industrie. On ferme ce qui ne ramène pas d’argent. Derrière le non-essentiel, c’est surtout le “ça ne ramène pas assez d’argent”.
Pour finir sur une note pleine d’espoir et de d’optimisme, quel film attends-tu le plus à la réouverture des cinémas ?
Je suis une énorme fan de James Bond, donc le dernier de Daniel Craig m’intrigue depuis bien trop longtemps. Et évidemment Kaamelott parce qu’Alexandre Astier. Voilà, son simple nom est un argument de vente pour moi !
Espérons que leurs sorties arrivent au plus vite sur nos écrans dans ce cas ! Encore merci Léa pour ta sincérité et ton enthousiasme. Nous te souhaitons évidemment le meilleur.
Propos recueillis par Victor Ribeiro
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