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Charlotte Debraine : “Je fais ce métier pour générer des étincelles”

© Charlotte Debraine

Diplômée en 2013 du Bachelor ICART, Charlotte Debraine est aujourd’hui responsable artistique et administrative à la Fondation pour l’art contemporain Jean Marc et Claudine Salomon. Elle revient ici sur son parcours et nous partage son expérience professionnelle en tant que femme dans le marché de l’art.

Bonjour Charlotte, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Je m’appelle Charlotte Debraine, j’ai bientôt 30 ans et j’ai été diplômée du Bachelor ICART en 2013 .Je suis rentrée à l’ICART un peu par hasard, je n’en avais jamais entendu parler lorsque j’étais au lycée. À l’école j’avais le profil de la bonne élève et donc je me suis dirigée vers un bac S dans lequel je me suis un peu perdue. En terminale, tous mes choix favoris ont été refusés et je me suis retrouvée acceptée dans mon neuvième choix, une licence LLCER Russe à Paris IV. Je suis arrivée à Paris très heureuse et admirative parce que je rêvais de la FIAC, du Louvre, d’Orsay, je rêvais de la culture. Seulement, j’ai été très déçue de la formation dans laquelle j’étais. Puis un jour dans le train, j’ai retrouvé l’un de mes anciens camarades de lycée qui a commencé à me parler de l’ICART, l’école où il était, et je me suis tout de suite mise à en rêver. J’étais très enthousiaste à l’idée de commencer enfin une formation que j’avais véritablement choisie et dans laquelle j’avais trouvé ma place. Ce qui m’intéressait c’est qu’on avait des stages dès la première année, ce qui n’est pas le cas en formation universitaire, où souvent les stages commencent en 4ème et 5ème années et durant l’été. Quand on sait que le marché de l’art s’arrête durant les mois de juillet et août… Ce n’est pas très pertinent.

Que retiens-tu de tes expériences en tant que stagiaire ?

Quand je suis rentrée à l’ICART en première année, je pensais devenir brocanteuse et avoir ma petite boutique ou être bouquiniste sur les quais de Seine. Finalement, j’ai découvert un univers que je ne connaissais qu’en surface. J’étais dans l’optique de me spécialiser dans le marché de l’art et l’ancien donc dès la rentrée, j’ai cherché mon stage et j’ai été prise dans un très gros cabinet d’expertise dans le quartier Drouot. J’ai énormément appris, même si le stage n’était pas très évident humainement. En deuxième année, j’ai continué à vouloir être en expertise mais cette fois-ci je me suis orientée dans les maisons de ventes. Après avoir découvert les cabinets d’expertise, je voulais voir pour qui on travaillait. J’ai intégré deux maisons de ventes, Artcurial où je suis restée cinq mois, puis Sotheby’s où je suis restée trois mois. À Artcurial, j’ai vu une manière de travailler à la française alors que chez Sotheby’s c’était très anglo-saxon. C’était intéressant de découvrir les deux systèmes. Grâce à l’ICART et à ces stages, il y a eu des rencontres et aussi des envies de se faire quelques sous… À ce moment-là, des foires d’art proposaient aux étudiants de venir aider lors de l’événement. J’ai commencé en première année avec le Salon du Dessin de Paris et j’ai adoré. La deuxième année je les ai recontactés mais ils avaient déjà complété leur équipe et la directrice des stages de l’époque m’a dit : “Vous savez il n’y a pas que l’ancien, il y a aussi le contemporain”. Je ne comprenais rien au contemporain mais elle a insisté, j’ai accepté et c’était génial. Dans l’ancien il y a toujours un aspect très propre, quelques fois un peu snob. Dans le contemporain on trouve des dessins à 500€ comme à 150 000€, il y a une variété de publics, être jeune et être une femme était plus facile. La directrice du salon m’a proposé d’effectuer mon stage de troisième année avec eux, j’ai accepté et au final j’y suis restée quatre ans.

© Charlotte Debraine

Est-ce qu’il est difficile, en tant que femme, de se faire une place dans le monde de la culture ?

Je pense que c’est partout comme ça malheureusement, mais on commence enfin à en parler vraiment aujourd’hui. Quand j’étais étudiante je n’en avais pas forcément conscience, je pensais que c’était normal mais avec tout ce qui est sorti ces deux dernières années, on se pose beaucoup la question avec mes anciennes camarades. Oui, j’ai été victime d’une sorte de harcèlement lorsque j’étais stagiaire. Un jour, mon maître de stage m’a certifié que je n’y arriverais pas car, je cite : “Vous n’êtes qu’une femme”. On m’a souvent fait comprendre qu’en tant que femme, je ne pouvais pas y arriver. À 19 ans c’est dur de recevoir des injures et d’entendre dire que tu seras assistante toute ta vie.

Quelle est l’expérience vécue lors d’une vente que tu n’oublieras jamais ?

Lors d’une vente 18 ème siècle chez Sotheby’s, nous avions accès à des objets incroyables et des ventes de prestige. Il y avait un sublime bureau dos d’âne en vernis bleu marin d’origine estampillé Migeon. Je n’en avais jamais vu comme celui-ci. Il est resté près de mon bureau pendant trois mois. Le voir partir en ventes aux enchères a été un crève-cœur. Une autre anecdote, toujours chez Sotheby’s, fut l’année de la vente du dessin Le Cri, de Munch. Un jour, je descends au local photo et le chef du laboratoire photo me dit : “Tiens, retourne le cadre qui est par terre”. Je l’ai retourné et c’était le fameux dessin vendu plus de 85 millions de dollars. J’ai eu plus de dix minutes pour le contempler, alors qu’il se trouve aujourd’hui chez l’un des plus grands collectionneurs au monde et qu’on ne le verra peut-être plus jamais.

Tu as travaillé pour la foire d’art contemporain dédiée au dessin, Drawing Now, pendant quatre ans. Quelles étaient tes principales missions ?

Je suis rentrée en tant que stagiaire pour aider la directrice, Carine Tissot, à gérer les relations avec les exposants. Au fur et à mesure, je suis devenue responsable à part entière des relations exposants. Cela consiste, dans un premier temps, à la réception des dossiers de candidatures des galeries qui veulent participer à la foire, les traiter, les enregistrer, puis préparer la présentation aux jurys qui valident la candidature ou non des galeries. Dans un autre temps, c’est tout le suivi des galeries, de leurs projets artistiques, des artistes et de leurs problématiques techniques comme les montages de stands, la couleur de ces derniers, la moquette, le nombre de spots… Je me chargeais aussi de la partie communication qui consistait à repérer toutes les informations à mettre dans le catalogue du salon. Pour finir, je gérais l’arrivée et le départ des exposants sur la foire ainsi que toute la partie comptabilité, qui malheureusement n’est pas négligeable puisque c’est ce qui fait que le fondamental fonctionne.

Comment gérais-tu la pression avant le début de l’événement ? Faisiez-vous face à des changements de dernière minute ?

C’est ça qui est génial avec l’événementiel. Plus l’événement approche, plus on se découvre des capacités de résistance au stress assez incroyables ! Puis plus l’événement arrive, plus l’adrénaline monte. On était une équipe très bien organisée, pour chaque tâche on avait un rétroplanning à respecter pour justement éviter ces moments de panique. Pourtant, même en anticipant, il y avait toujours des changements de dernière minute. Les imprévus, c’est ce qui fait aussi le métier. Mais on était une équipe très soudée. Plus l’événement arrive, plus l’équipe se rapproche de ce qui pourrait ressembler à un cercle familial : on mange ensemble matin, midi et soir, on décompresse ensemble, on vit vraiment ensemble.

Avec le contexte actuel de nombreuses foires ont tenté l’expérience en ligne, en réalisant des éditions entièrement virtuelles. Qu’en penses-tu ? Quel est l’avenir des foires d’art selon toi ?

Au premier confinement j’avais fait des visites virtuelles de musées mais je ne trouve pas ça très pratique et il y a surtout quelque chose que je trouve tragique, c’est que l’art est une expérience humaine et non virtuelle. Une foire est un événement organisé pour acheter, et acheter une œuvre sans l’avoir vue c’est compliqué. Une foire c’est aussi de la découverte, Si on n’a plus cette possibilité de découverte, je trouve ça difficile pour le public de succomber à l’achat. Je pense que les foires se mettent au virtuel parce qu’elles n’ont pas le choix, pour qu’on ne les oublie pas et montrer une forme de résistance. Sur la question de l’art et de la frontalité d’une œuvre, le virtuel ne la remplacera pas. Toutefois, je trouve que cette crise a permis à de nombreuses structures de se questionner sur la diffusion et l’accessibilité au public. À la Fondation Salomon, nous nous sommes également mis au numérique. Depuis mars 2020, nos conférences sont organisées en simultané sur zoom ou uniquement en visioconférence. Cela nous a permis de maintenir une offre culturelle. La chose inattendue est que j’ai eu des inscriptions au cycle d’art contemporain de personnes qui n’habitent pas la région et qui, en temps normal, n’auraient pas pu venir chez nous pour une soirée. Certes les expositions virtuelles ne remplaceront jamais la présence d’une œuvre mais si on pense aux guides, enseignants et médiateurs qui n’ont pas forcément le budget pour emmener toute une classe dans un musée, avoir cette offre en ligne permet d’aller sur d’autres discussions et d’autres territoires, et d’être là sans être là.

© Fondation Salomon

Aujourd’hui tu travailles pour la Fondation Salomon à Annecy, en tant qu’assistante des Fondateurs. En quoi consiste ton métier?

Nous sommes une toute petite équipe de trois personnes. Il y a le président fondateur, Jean Marc Salomon, Xavier Chevalier, le régisseur technique et responsable de la collection Salomon, et moi-même qui suis responsable artistique et administrative. Pour stéréotyper, tout ce qui touche à un ordinateur c’est pour moi et tout ce qui touche à un tournevis et un escabeau, c’est pour Xavier. On est en binôme et très complémentaires. Lorsqu’on organise une exposition, je me charge de l’échange avec les galeries et les artistes. Je traite aussi les fiches de prêts, les assurances. J’organise également les sorties culturelles et les voyages que l’on réalise avec les Amis de la Fondation, ainsi que les ateliers découvertes. Pour les ateliers, j’endosse la casquette médiation et pédagogique, je fais le lien avec les programmes scolaires. Pour la programmation artistique de la Fondation, nous sommes trois à décider. On s’installe autour de la table, on discute et on défend chacun des artistes que l’on a envie de voir exposés. On est vraiment dans un échange au quotidien. Comme nous sommes trois, la communication est essentielle.

© Fondation Salomon

Quel serait le top 3 des artistes qui t’inspirent aujourd’hui ?

L’artiste que nous avons exposée en 2020, Nazanin Pouyandeh, qui est représentée par la galerie Sator. J’étais très heureuse de pouvoir montrer son travail à Annecy. Il y a d’autres artistes comme notre lauréate de cette année, Kubra Khademi, qui est d’ailleurs exposée à la galerie Eric Mouchet en ce moment. C’est une artiste afghane qui a quitté son pays d’origine car elle y était en danger et son travail aussi. Il y a quelque chose d’assez essentiel, vital, qui ressort de ses dessins, ainsi qu’un côté féministe. J’aimerais beaucoup exposer Anaïs Lelièvre, une jeune artiste représentée par la galerie La Ferronnerie. J’aime aussi énormément le travail de Damien Deroubaix que je suis depuis plusieurs années et que nous avons exposé l’an dernier à la Fondation. J’étais très contente de faire sa connaissance. C’est assez jouissif quand on suit un artiste via les réseaux, les newsletters, les expositions, de pouvoir ensuite l’exposer car on rentre vraiment dans le dialogue avec lui.

© Fondation Salomon

Que pouvons-nous te souhaiter pour 2021 ?

Un déconfinement, une réouverture de la culture! C’est difficile de souhaiter des choses en ce moment… Peut-être de ne pas perdre la motivation, moi j’appelle ça le feu sacré. On utilise souvent ce terme pour la cuisine mais je trouve que c’est pareil pour la culture. C’est des métiers de passion et si on n’est pas passionné, je pense qu’on n’arrive pas forcément à surmonter les moments difficiles. C’est peut-être ça que je me souhaiterais, ainsi qu’à tout le monde et surtout aux étudiants. Il ne faut pas perdre la motivation, ne pas écouter ce qu’on nous dit tous les jour. On est essentiel car la culture reste l’une des seules choses qui anime les humains.

© Charlotte Debraine

 

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Propos recueillis par Rebecca Chevalier Bartoloni

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