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Fanny Cohen : “L’enjeu est de transformer ce public virtuel en public dans les salles”

Théâtre national de la danse - Chaillot © Patrick Berger

Fanny Cohen, secrétaire générale au Théâtre National de Chaillot, nous livre sa vision des enjeux numériques pour le spectacle vivant en temps de crise sanitaire. Entre utilisation des plateformes numériques, des réseaux sociaux, expériences immersives et renouvellement de la création chorégraphique, comment s’adapter au contexte actuel ?

Pouvez-vous présenter le Théâtre national de la Danse et ses missions en tant que théâtre national ?

Depuis le mois de décembre, un décret a officialisé le fait que Chaillot soit dédié à l’art chorégraphique. Parmi les cinq théâtres nationaux en France, Chaillot est le seul théâtre consacré à la danse. Nos missions sont notamment la diffusion de spectacles, l’accueil en résidence d’artistes ainsi que le développement de l’action culturelle et artistique auprès de publics scolaires ou éloignés des pratiques culturelles.

Quelle est la programmation de votre structure ?

Didier Deschamps, directeur général de Chaillot programme tous les ans une saison de spectacles chorégraphiques ouverte sur l’international, mettant en avant les compagnies nationales (les CCN sont régulièrement invités) et permettant la découverte de chorégraphes émergents. Nous avons une offre diversifiée qui propose au public des œuvres de compagnies très confirmées et à la fois des compagnies plus émergentes.

Le Covid-19 a bouleversé l’organisation et le maintien des représentations.
Comment avez-vous pu maintenir une activité ?

La crise sanitaire nous a obligés, comme tous les lieux culturels, à nous adapter. Nous avons dû annuler de très nombreuses représentations, et en reporter un certain nombre. L’exercice est complexe, d’autant plus qu’un an après le début du Covid, nous n’avons toujours pas de visibilité sur le calendrier d’ouverture. Malgré le contexte, Didier Deschamps a souhaité maintenir ouverts les plateaux et les studios pour les artistes afin qu’ils puissent poursuivre leur travail de création. Il est vital pour les artistes de poursuivre leur activité dans de bonnes conditions.

Vous êtes-vous réunis avec d’autres scènes pour organiser un réseau d’entraide et de bonnes pratiques concernant le développement d’outils digitaux ?

En ces temps actuels, il y a de nombreux échanges très réguliers avec les autres théâtres. Bien sûr, il y a des échanges de bonnes pratiques lorsque l’on cherche des solutions sur certains sujets. On s’adresse aussi à nos collègues pour savoir ce qui a été mis en place. Il y aussi des échanges réguliers entre les services de communication dans le milieu culturel. Les échanges sont assez diversifiés, très riches et stimulants de par les spécificités de chacun. Au delà de ces spécificités, on a des convergences qui nous permettent d’optimiser les solutions que l’on peut trouver.

La pandémie, malgré son impact négatif sur l’économie, n’est-elle pas un moyen de repenser l’offre culturelle ?

Avec la crise sanitaire, l’offre culturelle est en effet remise en question dans sa forme mais dans une certaine limite. Nous sommes un lieu de spectacle vivant et le spectacle, par nature, suppose l’expérience sensible et directe avec le spectateur. L’offre numérique ne peut pas se substituer au cœur de métier qui est ce rendez-vous en présence physique avec un public. Elle s’inscrit en complémentarité avec ce que l’on fait. Toutefois, cette période de confinement et de crise a permis d’accélérer notre stratégie numérique et digitale, cela a été une opportunité pour nous. Les captations audiovisuelles de spectacles nous permettent d’avoir un regard et une offre complémentaires pour les publics ne pouvant pas venir au théâtre car géographiquement éloignés. C’est une manière d’offrir un accès au spectacle que l’on n’aurait pas autrement.

La culture a plus que besoin d’être présente auprès de tous pour nous permettre de continuer à rêver.
Comment maintenir ce rêve tout en maintenant l’accessibilité à une éducation artistique et culturelle de qualité ?

L’enjeu de cette crise est de maintenir le lien avec le public et pour maintenir ce lien, un des principes qui nous a guidés est de produire des contenus de qualité et exigeants artistiquement tout en restant accessibles. C’est en réponse à cela que nous avons mis en place une nouvelle stratégie digitale sur les réseaux sociaux, avec la production de contenus ludo-éducatifs qui permettent à la fois de rendre accessible notre activité et la création chorégraphique en adoptant les codes du digital.

David Coria, performance pour le lancement de TikTok à Chaillot – Théâtre national de la Danse – Chaillot

Vous avez participé au challenge TikTok fin décembre, est-ce que cela vous a permis de toucher de nouveaux publics ? 

TikTok est la plateforme créative la plus téléchargée en 2020, qui connaît un réel engouement du public, cherche à développer et requalifier ses contenus, d’où cette opération de semaine culturelle qui impliquait un certain nombre de musées. Nous étions le seul théâtre à y participer. Chaillot a eu 100 ans en 2020, c’était l’occasion de renouer avec le populaire tel qu’il existe aujourd’hui. D’autre part, TikTok est connu pour ses challenges de danse. Il semblait donc évident que le Théâtre national de la Danse soit présent et propose des contenus chorégraphiques sur cette application. Le but est de créer des contenus avec des codes adaptés aux internautes présents sur TikTok, tout en gardant notre identité et nos contenus très qualitatifs tel qu’on le fait au théâtre de manière physique.
Nous avons pu toucher une cible assez jeune et nous avons eu plus 100 000 vues sur le live réalisé au mois de décembre. On entre dans une autre dimension. À titre de comparaison, notre plus grande salle, la salle Vilar, peut accueillir 1 200 personnes. Cela nous a permis d’avoir une visibilité assez forte et avec une diffusion à l’échelle européenne. C’est une nouvelle manière de communiquer et de se faire connaître par les plus jeunes ; l’enjeu est désormais de transformer ce public virtuel en public dans les salles. Cela ne remplace pas le travail important fait par les équipes de la direction du développement et des publics mais nous misons sur une complémentarité des outils de médiation.

Élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, performance pour le lancement de TikTok à Chaillot – Théâtre national de la Danse – Chaillot

Comment avez-vous utilisé les plateformes Numeridanse et data-danse pendant le premier confinement ?

Lorsque que le premier confinement a été mis en place, il a été important de créer les conditions permettant de rester actifs ; la valorisation des contenus vidéos et audiovisuels est apparue comme intéressante à développer.
Nous avons essayé de mettre un coup de projecteur sur les vidéos et les films que nous avions à disposition (déjà disponibles sur la plateforme Numéridanse) en créant une communication événementialisée et éditorialisée. Nous avons affiné les mots clés mis en avant sur nos réseaux sociaux pour faire ressortir des contenus et créé des rendez-vous pour le spectateur (évènements Facebook live), et produit des contenus spécifiques sur Instagram avec le hashtag #jedansealamaison.
Nous avons demandé à des artistes habitués de Chaillot de nous envoyer une capsule filmée depuis chez eux, ce qui a été très bien suivi et a permis aux artistes de témoigner de leur quotidien pendant le confinement. Une rubrique autour de la librairie du Théâtre, qui dispose d’un fonds exceptionnel sur la danse, a également été créée pour présenter certains ouvrages. Nous avons aussi mis en avant nos collections de films courts comme notre collection Vues sur les marches, en plus des vidéos de spectacles et des interviews d’artistes qui racontent l’histoire de Chaillot. Les sites data-danse et Numeridanse ont été des outils formidables pour faire connaître et faciliter la diffusion de nos contenus au public.

Dispositif Chaillot chez vous

Vous avez mis en place sur votre site le dispositif #chaillotchezvous.
Comment avez-vous procédé ?

Le ministère de la Culture a créé une plateforme permettant de rendre visible tous ces contenus en ligne. Cette proposition du ministère permettait au public de se retrouver dans ce foisonnement de l’offre culturelle. Très vite, les artistes et les structures se sont adaptées et ont fait de ce moment une opportunité pour réinventer leur contenu à proposer au public.

Beaucoup de vos contenus de spectacles déjà produits sont diffusés et accessibles gratuitement. Avez-vous pensé à aller vers un modèle économique avec des lives payants ?

C’est une réflexion qui nous occupait pendant cette période de crise pendant laquelle le public était confiné. Il était de notre responsabilité et cela relevait de nos missions de service public de proposer ces contenus gratuitement. D’autre part, la question de l’offre payante s’inscrit dans une problématique plus globale de l’offre en ligne de captations de spectacles vivant. Aujourd’hui, les plateformes de diffusion sur lesquelles on peut visionner des spectacles proposent des contenus gratuits. Les pratiques de consommation audiovisuelle et de SVOD ne sont pas vraiment tournées vers le spectacle vivant mais plutôt vers l’offre cinématographique et audiovisuelle. L’offre payante est une réflexion en cours. Il est difficile pour le spectacle vivant de faire émerger un modèle économique en tant que tel. Certaines institutions ont lancé leurs plateformes récemment. Le bilan de cette initiative sera très intéressant à observer.
Pour un théâtre et comme pour toute structure, la production de ces lives a un coût important. En général, les productions audiovisuelles sont portées par des producteurs indépendants qui mobilisent des dispositifs de soutien automatiques ou sélectifs du CNC. Les chaînes de télévision sont associées à ce type de financement. Développer une offre de captation de manière significative pour un théâtre n’est pas un choix anodin. Cela suppose des moyens de production conséquents et il y a des enjeux de droits d’auteurs. C’est un sujet sur lequel on réfléchit beaucoup. Cette période de crise et d’accélération des contenus digitaux a fait avancer la réflexion sur le modèle économique et le type d’offre que l’on pourrait proposer.

Comment renouveler le spectacle de danse et faire de celui-ci une expérience, tout en étant en ligne ?

La danse s’exprime avant tout à travers un médium vivant. C’est un art où le corps et l’expérience sensible sont au cœur de la relation avec le spectateur. Le média numérique n’est pas le vecteur privilégié pour vivre cette expérience du spectacle vivant, et il ne peut remplacer l’expérience vivante du spectateur dans une salle. Mais les contenus en ligne s’inscrivent en complémentarité, ils permettent d’archiver et de revoir le spectacle et ils donnent la possibilité au public de voir des spectacles qu’il aurait manqué. Toutefois, certains artistes intègrent dans leur processus de création le numérique et les nouvelles technologies. Ils produisent des contenus spécifiques où le numérique devient un outil créatif. L’expérience immersive, dès lors qu’elle est partie intégrante de l’expérience artistique, devient une œuvre en tant que telle.

Chaillot Fabrique – Frédéric Cellé © Laurent Philippe

Quels sont vos projets en cours en termes de création artistique ?

Nous accueillons des artistes qui viennent répéter leur pièce. Un certain nombre de pièces prévues en 2020 n’ont pas pu rencontrer leurs publics. Les artistes ont besoin de lieux pour travailler. Ils viennent au théâtre pour répéter, pour faire des filages de leurs spectacles ou des captations. Ainsi, Acqua Alta d’Adrien M et de Claire B, a été capté et retransmis sur Arte ; Le lac des cygnes d’Angelin Preljocaj a été également capté et sera retransmis ultérieurement sur France TV. Parallèlement, les équipes de développement des publics et de médiation culturelle poursuivent le travail avec les scolaires, soit en numérique avec des temps d’échanges avec les scolaires, soit sur place lorsque cela est possible. Enfin, nous préparons la saison prochaine qui réserve de belles surprises artistiques.

Retrouvez toute la programmation du Théâtre National de Chaillot sur leur site.

Propos recueillis par Violette Dehoze

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