Fabien Hyvernaud : “On veut être le plus éclectique possible”
Directeur général de Ninkasi Musiques, Fabien Hyvernaud organise la programmation des 19 enseignes Ninkasi et gère l’application de la stratégie musicale au sein du triptyque “bière burger musique” de cette célèbre marque Lyonnaise.
Bonjour Fabien. Tout d’abord, peux-tu te présenter ?
J’ai 38 ans, je suis directeur général de Ninkasi Musiques, qui sous ce nom légèrement pompeux veut dire programmateur des Ninkasi et pas seulement du Ninkasi Kao, la salle de concert de 700 places. Cela veut aussi dire que je m’occupe du management de l’équipe du Ninkasi, du pilotage économique et de l’application de la stratégie musicale de l’enseigne. Je suis arrivé au Ninkasi en 2008, j’y suis resté 7 ans puis j’ai fait un break de 3 ans pour aller au Sucre. Là-bas j’ai été directeur de production et chargé d’une partie de la programmation concert, puis je suis revenu au Ninkasi en octobre 2018 pour prendre le poste de direction.
Quels sont les projets actuels de Ninkasi Musiques ?
Il y a le Ninkasi Musik Lab qui est tout chaud puisqu’on a fait la sélection fin novembre pour la prochaine édition. C’est un dispositif de repérage et de soutien dans lequel les équipes du Ninkasi proposent aux artistes sélectionnés une aide durable à la création et à la rencontre avec le public. C’est vraiment quelque chose qui nous tient à coeur et qui nous occupe beaucoup. De plus, on héberge tous les artistes de la promo 2019/2020 en résidence dans le Kao en ce moment. La prochaine promotion arrive en janvier.
On a pas mal d’autres projets, avec une dizaine d’autres structures. On travaille notamment sur une cité créative basée à Vénissieux. D’ailleurs, avec ces mêmes structures, on travaille sur la reprise de l’ancien IKEA de Lyon pour en faire un énorme lieu de diffusion. Bien sûr, on a toujours notre projet de lieu dédié à la création et les 19 Ninkasi qui proposent des dates musicales. Cette année, la nouveauté du Musik Lab c’est la résidence : les artistes sélectionnés ont donc gratuitement l’accès à la salle du Ninkasi Kao avec du matériel, des techniciens et un coach. Tout cela leur permet de bosser leurs placements sur scène, l’ordre de leur morceaux, l’intensité qu’ils y mettent etc. C’est un moment de création et de travail approfondi. On ne cherche pas forcément à propulser des artistes mais surtout à soutenir l’émergence, on veut vraiment mettre en avant les artistes de la région. On a d’autres moyens d’apporter ce soutien, comme les concerts dans les enseignes où l’on travaille au maximum avec des associations locales, mais le Ninkasi Musik Lab c’est vraiment le cœur de nos projets, la partie d’utilité publique.
Avec qui travailles-tu pour mettre en place tous ces projets ?
J’ai une équipe assez réduite quand on se dit que le Ninkasi c’est quasiment 1700 dates par an. Cette équipe contient une administratrice, un chargé de communication, deux personnes à la technique, un DT, un régisseur adjoint, une personne à la billetterie et une DJ. On travaille également avec beaucoup d’associations (Mediatone, Sound Like Hell, etc) et aussi avec des sociétés comme Les Derniers Couchés par exemple, qui sont de gros producteurs de concerts. Quand c’est moi qui produit des dates sans passer par une activité locative, je travaille directement avec les tourneurs. On essaye vraiment de travailler en écosystème avec le Kafé, mais un grand nombre d’événements va être co-produit avec des structures ou acteurs lyonnais.
Comment fais-tu pour bien choisir et mettre en place une programmation ?
En ce moment c’est un peu compliqué mais d’habitude on sait qu’il faut prévoir 4 mois d’avance au Kafé et un semestre d’avance au Kao, même si je prends beaucoup de dates en dernière minute. J’ai forcément plus d’affects avec certains styles, pour ceux que j’aime le moins mais qui restent dans le cadre des musiques actuelles, je donne carte blanche à d’autres structures qui seront donc plus performantes que moi. Pour la découverte des artistes, c’est beaucoup de hasard.
Les médias sont également très importants pour ça, ainsi que Spotify qui diffuse les dernières sorties, les tops albums etc. Quand des artistes m’intéressent, il peut aussi m’arriver d’aller regarder les nombres d’écoutes et le nombre de fans sur Facebook pour éviter de faire des concerts à 12 personnes. J’ai la chance d’avoir un lieu comme le Ninkasi Kafé où je peux programmer des groupes à l’affect. Il y a des groupes que je suis super content d’avoir proposé qui auraient fait 50 entrées au Kao à 20€ l’entrée mais qui en ont fait 300 au Kafé car c’est gratuit. J’aime beaucoup le rock et le jazz, j’essaye donc de faire jouer pas mal d’artistes de ce style. Il y a bien sûr des groupes qui jouent sur la scène du Kao en location que je n’aime pas du tout, mais il n’y a pas écrit Fabien Hyvernaud sur l’enseigne. On veut être le plus éclectique possible et faire en sorte que n’importe qui ou presque puisse monter sur scène.
Quel a été ton parcours pour aboutir à ce métier ?
J’ai toujours eu des groupes depuis que je suis jeune, je les faisais tourner et jouer. À côté de ça, j’ai aussi bossé en tant que bénévole dans plein d’associations, à tirer des bières, pousser des caisses, faire la billetterie, coller des affiches. Je ne me suis pas trop perdu dans les études puisque je me suis très vite orienté vers quelque chose de spécialisé dans la culture, un DEUG “Métiers de la culture”. Après cela, j’ai fais une licence pro à l’IUT d’Issoudun sur la communication et la commercialisation des produits culturels, spécialisé dans les métiers du disque. Ça ne m’a pas trop servi vu que je n’ai jamais bossé dans les métiers du disque, mais ça m’a permis d’avoir une petite expérience en tant qu’attaché de presse. À côté de ce cursus, j’ai toujours programmé dans des lieux, que ce soit associatifs ou privés. Après ça, j’ai eu une petite activité de tourneur qui a été un échec assez cuisant, donc je suis vite retourné dans la programmation. Sur un coup de fil je me suis retrouvé à devoir remplacer un copain au Batofar à Paris, ce qui a été ma première expérience professionnelle en programmation. J’ai alors commencé à faire la programmation punk, hardcore, hip hop et d’autres musiques actuelles sur cette scène parisienne. De fil en aiguille, j’ai finalement décidé d’aller travailler au Ninkasi.
Comment vois-tu la profession évoluer ?
On croit beaucoup aux questions d’écosystème, voire même de vortex. On ne peut plus travailler en silo chacun de son côté en jugeant l’autre, on est plutôt du genre à regarder chez l’autre pour pouvoir faire bouger son projet et trouver des synergies. Par exemple, pour notre projet de cité créative, on ne fait pas ça tout seul : c’est une idée de gens qui sont venus nous chercher, tout comme nos autres futurs projets. Rien que dans le Ninkasi Musik Lab, au sein du jury, c’est une dizaine de personnes issues d’horizons différents, de labels, festivals, prestations techniques, médias, tourneurs, studios d’enregistrement etc. J’espère vraiment que le métier va tourner là-dessus. En tout cas, nous c’est le chemin qu’on va prendre. C’est fini l’entre-soi.
Pour toi, quelles sont les qualités les plus importantes pour faire ce travail ?
Je pense qu’il faut faire preuve d’une ouverture d’esprit à toute épreuve, c’est à dire être ouvert à l’autre, aux critiques. Il faut être extrêmement curieux artistiquement pour voir ce qui se fait ailleurs et susciter des rencontres. Le Ninkasi est un lieu où on parle de convivialité, et ça ne marche pas quand on se regarde le nombril. On est là pour échanger et c’est une qualité. La stratégie Ninkasi ce n’est pas trois chefs qui décident de ce qui va se passer sur l’année, c’est une vraie concertation avec tout le monde.
Plus d’informations sur les projets du Ninkasi sur le site.
Propos recueillis par Mathieu QUENOT
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