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Aude Quéré : “Chaque livre amène avec lui sa problématique”

9 décembre 2020
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© Ça relie à Paris

Rencontre avec Aude Quéré, relieuse et restauratrice de livres anciens. Elle nous fait découvrir cette profession artisanale ancestrale et ce qu’elle représente aujourd’hui en France.

Bonjour Aude, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Aude, je suis relieuse et restauratrice de livres à Paris dans mon atelier “Ça relie à Paris”, à ICI Montreuil. J’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans le tourisme d’affaires avant de me reconvertir. Aujourd’hui, mon travail se divise en trois activités différentes : la reliure, la restauration de livres anciens et je donne également des cours de reliure.

Quelle formation as-tu suivie pour exercer ton métier ?

J’ai passé un CAP de reliure dorure via le Greta (ndlr : groupement d’établissements publics de formation continue pour adultes) en intégrant directement la deuxième année, puisque j’avais déjà pratiqué la reliure auparavant.

Pourquoi t’être tournée vers la restauration et la reliure ?

J’ai toujours trouvé une certaine magie dans la transformation des choses, un peu comme quand on sort de chez le coiffeur. À l’origine je voulais faire de la restauration de tableaux mais les études étaient trop longues et il n’y avait pas de formation pour adulte. J’ai toujours aimé les livres et lire, je me suis donc naturellement tournée vers la restauration de livres. Puis je me suis vite rendu compte qu’il était impossible de pratiquer la restauration de livres sans avoir fait de reliure, donc mon chemin s’est tracé naturellement.

© Ça relie à Paris

En quoi consiste ton travail de relieuse ?

La reliure est un métier très ancien datant du Moyen Âge dont les techniques ont évoluées avec le temps. Celle utilisée aujourd’hui date du XIXe siècle. L’objet principal de la reliure est la consolidation d’un livre existant, si elle a pu devenir un art avec les reliures à décors, sa finalité est la préservation de l’écrit. L’écriture était le savoir-faire le plus précieux du Moyen Âge que seuls quelques initiés pratiquaient. La production d’un livre était un processus long et rare qu’il fallait protéger. La base sera un livre broché par exemple, c’est-à-dire un livre cousu dont la couverture est en papier, en opposition aux livres de poche qui sont collés. On va placer du carton à l’avant et à l’arrière à la place de ce papier que l’on recouvrira d’une toile (les couvertures d’origine seront donc à l’intérieur), le livre aura également un dos arrondi au lieu d’un dos droit et des pages de garde seront ajoutées.

Peux-tu nous parler de la restauration des livres anciens ?

La reliure et la restauration ne vont pas nécessairement de pair, ce sont deux métiers différents. Le restaurateur essaie de garder le maximum de matière existante que l’état du livre lui permet, alors que le relieur procède à une refonte du livre. La restauration concerne le plus souvent des livres anciens que les propriétaires souhaitent garder, il y a donc des règles précises à respecter. Si un livre date du XVIe siècle, il faut le restaurer selon les codes de l’époque et non le transformer en un livre du XXIe siècle. Pendant longtemps, les restaurateurs faisaient un travail un peu hasardeux et utilisaient des matériaux de mauvaise qualité, comme des colles chimiques qui attaquent le papier après plusieurs années, or en restauration, tout doit être réversible. Heureusement depuis les années 60, une déontologie s’est créée, les techniques se sont précisées et les matériaux se sont améliorés. Finalement, on peut dire que la restauration est plus un métier d’avenir que la reliure car le nombre de livres anciens nécessitant des restaurations augmente et c’est un métier en constante évolution.

Livre datant de 1655 avant et après restauration

© Ça relie à Paris

La troisième partie de ton activité consiste en des cours de reliure, à qui s’adressent-ils et comment se déroulent-ils ?

Mes élèves sont tous différents, les âges vont de vint-cinq à soixante-dix ans et ils peuvent être totalement néophytes comme ayant une petite expérience. Les horaires que je propose font que les retraités comme les personnes actives peuvent participer, je prends trois personnes maximum par cours et ainsi je peux me concentrer sur chacun. Je ne suis pas une adepte des “livres blancs” qui sont destinés à l’apprentissage et à l’exercice de la reliure, ils s’apparentent trop à un cours magistral, tout le monde fait la même chose et au même rythme, je ne trouve pas ça intéressant pour l’élève. Je leur propose plutôt d’amener leur propre livre et donc leur problématique, il y a forcément plus de “danger” pour moi puisque je dois faire attention à l’œuvre mais les élèves repartent satisfaits et fiers d’eux puisqu’ils ont travaillé sur une pièce qui leur tenait à cœur.

Qu’est-ce qui te plaît dans ta profession ?

J’aime devoir réfléchir, chaque livre amène avec lui sa problématique, j’aime travailler avec mes mains et transformer un objet pour lui rendre sa beauté. Les travaux manuels ont également l’avantage d’être une échappatoire apaisante, lorsque j’arrive à l’atelier et que j’ai un problème qui tourne dans ma tête, je sais que je vais être concentrée sur mes livres toute la journée et que je n’y penserai pas, c’est comme une parenthèse enchantée. C’est l’effet que j’avais lorsque je prenais des cours de reliure et c’est également l’effet que retrouve mes élèves. Du côté de la structure, je travaille seule, je n’ai pas de patron ni d’employé, cela confère une certaine liberté et ayant fait du salariat, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.

© Ça relie à Paris

Aujourd’hui quel est l’état de la profession en France ?

Très mauvais, avant on distinguait trois catégories d’ateliers de reliure en France, les gros ateliers industriels, les ateliers semi-industriels et les personnes seules. Dans les ateliers industriels, les salariés avaient le statut d’ouvrier. Une femme par exemple, était affectée à la couture à son entrée dans l’usine et en ressortait à l’âge de la retraite en ayant fait la même chose toute sa vie. C’était réellement une industrie. Ils travaillaient le plus souvent avec les administrations et les grosses bibliothèques mais les bibliothèques ont réduit leur train de livres et la masse salariale des ateliers étant importantes, beaucoup ont fermé. Aujourd’hui, il doit en rester un ou deux en France. En-dessous ce sont les ateliers semi-industriels, où dix personnes sont employées au maximum. Lorsqu’ils sont bons commerciaux, ils arrivent à trouver des marchés auprès des administrations et des bibliothèques mais c’est souvent la compétitivité des prix qui prime sur la qualité du travail. La grosse majorité des ateliers sont donc des personnes seules. Aujourd’hui beaucoup d’ateliers se féminisent et se rajeunissent, car la reliure devient un métier plus artistique qu’artisanal. Ces personnes font de la reliure traditionnelle tout en expérimentant d’autres choses à côté car le travail de reliure n’est pas assez important pour en vivre de façon stable, mais peu proposent des cours.
Même si les métiers anciens reviennent à la mode, il y a un décalage entre ce qui est à la mode et ce qui fonctionne, beaucoup de personnes rentrent dans ma boutique et me disent que ce que je fais est génial, qu’il faut continuer, mais ne reviennent pas avec un livre à relier ou à restaurer et préfèrent se tourner vers du “made in China”.

Vous pouvez retrouver les informations pour les cours de reliure sur le site internet de Ça relie à Paris.

Propos recueillis par Mathilde Quéré

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