Ibrahim Ballo : “Ma démarche artistique constitue le lieu de ma libération”
Ibrahim Ballo est un artiste peintre malien. En résidence à la Cité des Arts jusqu’en janvier 2021, nous avons cherché à comprendre comment il vivait son confinement et comment son art en était le témoin.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis né, je vis et travaille à Bamako au Mali. Je suis diplômé en arts plastiques de l’Institut National des Arts (INA), Bamako en 2012, j’obtiens en 2017 un master en arts plastiques au Conservatoire des Arts et Métiers (multimédia) de Bamako.
Comment décririez-vous votre univers artistique ? Quelles sont vos inspirations ?
J’ai grandi dans un environnement de tisserands. Au Mali, le tissage fait partie des activités les plus présentes et vivantes. Aujourd’hui cette pratique ancestrale survit péniblement. Ma pratique a été déclenchée par mes souvenirs d’enfance. J’ai commencé par associer les techniques, les matériaux et les valeurs de mon héritage tout en explorant de nouveaux pigments comme l’acrylique et ses combinaisons de couleurs enseignées lors de mon éducation artistique. Bien qu’imprégnées de l’esprit, de la tradition, mes compositions sont ancrées dans un contexte purement contemporain.
Quels supports utilisez-vous dans votre pratique artistique ? Existe-t-il une volonté de transmission culturelle derrière l’utilisation de ces supports ?
Je m’inspire de la technique du bogolan employée pour les motifs des tissus traditionnels maliens et les pagnes de coton. J’emploie l’acrylique pour créer des réseaux de lignes, reproduisant les motifs teints traditionnellement au bogolan. Entre les lignes qui s’entrecroisent et les fils de coton, noués à la surface de la toile, il se crée une multitude de points de jonction. Le coton, ce matériau traditionnel, interfère avec la modernité de l’acrylique dans une sorte de troisième dimension et un haut-relief. Mon processus débouche sur un transfert de savoirs culturels : celui du textile, matériau à valeur artisanale connu depuis le début du deuxième millénaire avant JC, avec celui de la peinture. Les deux matériaux se côtoyaient au fil des siècles, sans s’interpénétrer.
Que cherchez-vous à montrer à travers vos œuvres ?
Je cherche à faire une synthèse entre monde contemporain et signification historique dans notre univers numérisé, dénonçant le consumérisme et les problèmes sociétaux. Dans mes compositions, les personnages masqués explorent l’absence de communication émotionnelle. Le masque questionne leur identité et établit une barrière sociale. Loin du désordre du monde contemporain, ils se plongent en hibernation, dans un rituel de méditation pour se distancier des fausses apparences, des trahisons et illusions de toutes sortes.
Vous êtes actuellement en résidence à la Cité des Arts, comment cela se passe t-il actuellement ? Quels sont vos objectifs lors de cette période de résidence ?
Cette résidence représente beaucoup pour moi. C’est mon tout premier voyage en Europe. Je suis très reconnaissant à la Cité des Arts de m’avoir donné cette possibilité de travailler en plein cœur de Paris, logé à la Cité internationale et pouvoir présenter mes travaux en fin de résidence à la galerie Chauvy. Outre la réalisation et la présentation de mes propres travaux, mon objectif était double. Pénétrer dans la vie culturelle parisienne, visiter des musées et galeries, assister à la foire AKAA à Paris d’une part et d’autre part, m’inspirer, par les contacts sur place, des réseaux culturels qui organisent et font la promotion de l’art. J’ai déjà échangé, à la Cité, avec quelques pensionnaires aux univers nouveaux pour moi.
Arrivez-vous à trouver l’inspiration autour de vous ? Pouvez-vous nous expliquer l’aventure ?
Plus qu’une aventure : c’est une véritable révélation ! Dès mon arrivée, j’ai multiplié les visites aux musées, tels que le Centre Pompidou, le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, le Musée d’Orsay et le Musée Picasso. Mais il y a encore tellement à découvrir et j’espère de tout cœur que nous allons sortir de ce confinement. Il est triste de venir de si loin pour rester confiné.
N’est-ce pas un peu frustrant, difficile d’être résident à cette période ? Ou au contraire cela vous inspire ? Avez-vous réussi à faire des rencontres ?
L’ironie du sort fait que mon projet de résidence illustre notre triste actualité. “Fil d’hibernation, de l’hibernation au… confinement” témoigne plus que jamais de ce basculement d’un monde d’agitation à un repli sur soi sans équivalent historique, une hibernation par obligation en quelque sorte. Force revient à l’art puisque cette méditation spirituelle dans laquelle se plonge mes personnages, peut être initiatrice d’une nouvelle forme d’action. Elle l’est pour moi car ma démarche artistique constitue le lieu de ma liberté.
Pourrons-nous voir vos créations à la fin du confinement ? Quels sont vos projets futurs ?
Mes œuvres effectuées à la Résidence feront l’objet d’une exposition à la galerie Chauvy à Paris. Une exposition solo est prévue à l’Institut français de Bamako.
Nous remercions chaleureusement la galerie Chauvy.
Propos recueillis par Nora Diaby
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