ACID 2020 : Cannes hors les murs, c’est parti !
Cannes 2020 n’a pas eu lieu mais ses sélections sont bien vivantes, à l’image de l’ACID, dont les films vont être présentés dans sept villes françaises. Première étape : Paris, du 25 au 29 septembre.
À Paris, c’est au Louxor que l’ACID pose ses valises pour quelques jours. Son cru 2020, comme tous les précédents, est truffé d’objets singuliers et de rencontres bouleversantes, qui ne manqueront pas de faire vaciller le public. Chacun des neuf films sera présenté à deux reprises et accompagné de débats et de rencontres, avec les cinéastes ou les responsables de l’ACID (programme détaillé ici).
En octobre et novembre, l’ACID prendra tour à tour ses quartiers à Lyon, Marseille, Porto-Vecchio, Nantes, Montreuil, Malakoff, avant de finir à Belgrade, dans le cadre du festival du film d’auteur.
Le film d’ouverture, The Last Hillbilly, signé Diane Sara Bouzgarrou & Thomas Jenkoe, est le portrait d’une famille de ceux que l’on nomme hillbillies, terme péjoratif aux traductions frustrantes (« péquenauds » semble le plus approprié). Vivant dans les Appalaches, Brian et sa famille tentent de vivre en harmonie avec la nature, aux confins d’une Amérique ressemblant de plus en plus à un cimetière des éléphants. C’est à travers les mots du brillant Brian, poète d’une clairvoyance folle, que nous est transmise l’histoire de cette famille et, en filigrane, celle des États-Unis. L’image, somptueuse, n’idéalise rien : elle nous dit juste sur si le monde va mal, il n’est cependant pas interdit d’y trouver de la beauté.
Parmi les films de la sélection, on peut signaler le très beau Les Affluents, de Jessé Miceli, qui suit les trajectoires de trois hommes dans le Phnom Penh actuel. Il y a Songsa, le sous-fifre, dont tout le monde exploite la bienveillance et le silence ; Phearumn, chauffeur de taxi qui rêve d’une autre vie et semble prêt à basculer vers le côté obscur pour y parvenir ; et Thy, payé pour faire consommer les clients dans une boîte gay, et qui rêve d’une moto qui lui permette d’en imposer auprès des femmes. Ces trois portraits s’imbriquent avec une grâce acide, les hommes étant décrits comme des loups qui n’ont que deux alternatives : dominer ou être dominés, quitte à se compromettre ou à se ridiculiser. L’ensemble est absolument passionnant et évite les pièges de l’esthétisation gratuite.
Dans Il Mio Corpo, Michele Pennetta suit deux personnages bien différents, mais réunis par une même urgence : il y a Oscar, jeune garçon italien que son père oblige à arpenter les décharges publiques afin d’y trouver des matériaux à revendre ou à recycler, et puis il y a Stanley, migrant nigérian, qui survit en rendant quelques menus services au prêtre de la paroisse dans laquelle il a atterri. Cela semble être une constante dans cette sélection 2020 de l’ACID : on y raconte des solitudes, on ne détourne jamais les yeux de la dureté de notre société et des nombreuses victimes qu’elle laisse sur le carreau, mais on tente néanmoins de chercher un peu de lumière pour s’aider à vivre un peu plus longtemps. C’est exactement le cas dans Il Mio Corpo, qui malgré l’âpreté du monde, ne cesse de chercher et de trouver le beau.
Rebelote avec La Última Primavera, dans lequel Isabel Lamberti filme les habitants d’un bidonville situé en marge de Madrid, que les autorités contraignent à déménager dans l’urgence au motif que leur territoire vient d’être vendu. La réalisatrice filme la difficulté du déracinement et les galères du relogement : après avoir vécu dans la cohésion, au sein d’un univers fait de bric et de broc mais où tout le monde semblait avoir sa place, la famille Gabarre Mendoza est soudain obliger de réintégrer le système classique, celui où les appartements sont des cases, où il faut montrer patte blanche pour les obtenir, et où il est impossible de loger toutes les générations ensemble. Cette confrontation de deux mondes est pleine de rage et de tristesse, mais cela n’empêche jamais la poésie d’affluer.
Le réalisateur français Ilan Klipper revient avec Funambules, dans lequel il fait le pari de suivre deux hommes et une femme qui vivent pleinement ce qu’on pourrait appeler, de façon générique, leur folie. Trois portraits d’êtres humains qui ont vrillé un jour ou l’autre, et qui explorent leur petit monde à voix haute, au mépris des conventions et des regards extérieurs. Aube parle à son petit déjeuner et réalise des interviews fictives, Yoan tourne en boucle sur une poignée d’obsessions, Marcus vit dans un gigantesque appartement parisien qu’il a transformé en grotte-dépotoir. De façon plus ou moins consciente, tous ont rompu le fil avec la normalité, la raison ; comme à son habitude, Klipper (réalisateur de Commissariat et du Ciel étoilé au-dessus de ma tête) filme tout cela de façon différente, lorgnant parfois vers Depardon avant de reprendre des chemins de traverse qui n’appartiennent qu’à lui. Le résultat est admirable.
Parmi les neuf films, on trouve également Walden, film lituanien de Bojena Horackova (avec Fabienne Babe), les Français Les Graines que l’on sème de Nathan Nicholovitch et Loin de vous j’ai grandi de Marie Dumora, et le franco-belgo-arménien Si le vent tombe de Nora Martirosyan. Les détails de la sélection sont disponibles sur le site de l’ACID, sélection stimulante qui navigue sans cesse entre la fiction et le documentaire, prenant un malin plaisir à nous égarer autant que possible. Il n’appartient qu’à nous de rendre justice à cette si belle sélection qui, après un faux départ cannois, va désormais arpenter la France et l’Europe, en attendant les sorties en salles (Il Mio Corpo et Si le vent tombe sortiront en novembre, The Last Hillbilly en décembre, Funambules en janvier…).
Calendrier de l’ACID Hors les Murs :
- Paris (Louxor) : du 25 au 29 septembre
- Lyon (Comoedia) : du 2 au 4 octobre
- Marseille (La Baleine / le Gyptis) : du 8 au 11 octobre
- Porto-Vecchio (La Cinémathèque de Corse) : du 10 au 13 novembre
- Nantes (Le Cinématographe) : du 17 au 19 septembre
- Montreuil (Le Méliès) du 30 septembre au 2 octobre
- Malakoff (Le Marcel Pagnol) du 1er au 5 octobre
- Belgrade, dans le cadre du Festival du film d’auteur : du 20 au 29 novembre
Lucile Bellan & Thomas Messias
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