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Clément Laurentin : “Avec le 9ème Concept, j’ai pu me réaliser comme un multi-instrumentiste artistique”

Barbara Legras 25 août 2020
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Photo par Thomas Lang

Dans le cadre des 30 ans du 9ème Concept et de l’exposition rétrospective Vision d’Ensemble qui se tient jusqu’à la fin de l’année sur Fluctuart, Artistik Rezo poursuit ses interviews des artistes qui font l’âme du collectif. Aujourd’hui, entretien avec Clément Laurentin, élément moteur de la famille 9ème Concept depuis 2001, qui nous explique comment son intégration au sein du collectif lui a permis de rajouter de nombreuses cordes à son arc artistique.

Quel a été ton parcours avant de rejoindre le 9ème Concept ?

Je dessine depuis tout petit. J’ai fait des études en arts appliqués à l’École Boulle, en Expression visuelle – espaces de communication, de 1998 à 2000. Après le BTS, j’ai éprouvé le besoin de travailler rapidement donc je me suis arrêté après la seconde année. Ma rencontre avec Jeykill (ndlr : un des artistes du 9ème Concept à qui Artistik Rezo a déjà dédié une interview) en 2001 à la montagne a été décisive. C’est un concours de circonstances incroyable : nous avions un ami en commun et je me retrouve avec Jeykill dans un appartement à Avoriaz recouvert de stickers de l’exposition Sang9. Le style graphique particulier m’a tout de suite attiré ; cette utilisation artistique d’Illustrator par exemple m’a mis une vraie claque. Jeykill faisait les tournées Desperados avec le 9ème Concept et voulait stopper, il m’a donc proposé comme remplaçant. Le courant est tout de suite passé avec les membres du collectif. J’ai démarré les tournées de tatouages éphémères, de peinture et de customisation d’objets, tout en live. Ce qui m’a demandé un effort important, étant de nature timide. Mais je crois aux signes du destin et aux rencontres. Cette expérience m’a donné envie de gagner ma vie en faisant du dessin. Je me suis dit que c’était la route que je devais emprunter.

Comment s’est passée ton intronisation justement au sein du 9ème Concept ?

La cooptation est forte au sein du collectif. Le 9ème Concept fonctionne beaucoup à l’affect, il n’y a pas de casting sur compétences professionnelles, mais il y a une notion de convergence d’énergies qui colle au groupe. C’est une grande famille avec plusieurs générations d’artistes. Je les ai rejoints en 2001, je fais partie de la 3ème génération comme Romain Froquet, Ankhone et Veenom, avec des artistes tels que Jeykill et Big Jul comme “aînés”. Le 9ème Concept m’a proposé d’exploiter des compétences de création par ordinateur. Romain m’a initié à Illustrator, ce qui m’a permis de passer du physique au numérique et donc d’intervenir sur les différentes éditions de stickers et d’affiches ainsi que sur les collaborations avec les marques, comme Johnnie Walker. J’ai participé à l’exposition Welcome on Board dès mon arrivée ; j’ai repris la peinture à ce moment là. Je faisais les tournées le week-ends et en parallèle je participais aux expositions du groupe et je travaillais sur les commandes pour les marques. Assez vite, au bout de 4/5 ans, j’ai développé de nombreux projets graphiques pour le collectif : chartes, logos, visuels Desperados, affichages, hors médias, maquettes en 3D pour présenter les concepts, etc. J’étais fan de graphisme avant de rejoindre le 9ème Concept, donc cela m’a plu dès le début.

Photo par Thomas Lang – XV Classes, Saint-Jean-de-Luz, 2015

Comment as-tu développé ta singularité artistique au sein du collectif ?

Tout ce travail pour le 9ème Concept allait de pair avec mon amour pour la calligraphie, la typographie, la lettre. Pour moi, le graffiti est un support du jeu graphique. Je suis boulimique d’images depuis tout petit et le travail de la lettre permet de développer plein de types d’imaginaires différents. Comme j’ai horreur de tourner en rond, j’ai fait de multiples changements quand j’éprouvais un sentiment de redondance, un peu comme une girouette de l’expérimentation. J’étais aussi curieux du travail des autres au sein du collectif. Les médias mainstream tendent à diviser les individus par groupes, qu’ils soient sociaux, ethniques, religieux ou culturels, je tends personnellement à aller contre cela, à rechercher les métissages graphiques et les contrastes, ce qui m’amène à travailler en plusieurs imageries, tel un multi-instrumentiste : abstraction, portrait, lettrage, figuration libre. Je peux mélanger des lignes nettes et définies avec des écritures spontanées. Je n’ai pas d’identité artistique clairement identifiable au sein du 9ème Concept. Je préfère chercher plutôt que trouver, être dans un apprentissage artistique permanent. Mais surtout, l’artisanat et la technique sont des moteurs. Je partage le même goût pour l’outil qu’Olivia de Bona (ndlr : une autre des artistes du 9ème Concept à qui Artistik Rezo a déjà dédié une interview), ce besoin de comprendre le matériau. Plus tu as d’outils, plus tu as les moyens de t’exprimer. J’aime l’idée de me mettre au service de l’outil.

Drop Beats Not Bombs – Acrylique sur toile – 120 x 120 cm

Quels événements avec le 9ème Concept t’ont le plus marqué ?

Je suis parfois un peu nostalgique des années passées sur les routes, de cette énergie de groupe incroyable sur les tournées. La résidence avant destruction à Baronne en 2015 est également un souvenir marquant. Le lieu était vierge, nous étions tous ensemble à travailler en collectif. Nous exerçons un métier solitaire à la base. Avoir une vie sociale liée au métier comme avec le 9ème Concept permet de contrebalancer cela. Pareil pour la résidence Aux Tableaux à Marseille qui avait un côté marathon car elle s’est étendue sur du long terme. Retrouver d’autres artistes qui ont des vies similaires mais qui revêtent des formes différentes permet de confronter les parcours. Je me retrouve dans le collectif car il me permet d’atteindre justement un équilibre entre individu et groupe, c’est le défi de tout être humain, même en dehors de l’art.

Les Danseurs, 2017 – Email cloisonné – Manufacture des émaux de Longwy

Quelles sont pour toi les valeurs que porte le collectif ?

Le partage, l’amitié, la formation. C’est un cocon de transmission de savoir de la part des anciens, des artistes aguerris. Le plaisir aussi car jamais rien n’est fait de manière contraignante et le business model spécifique du collectif est juste car rémunérateur. C’est un métier difficile et le 9ème Concept nous apporte une structure, un cadre qui permet de nous développer plus sereinement. Le 9ème Concept, ce sont aussi des valeurs de professionnalisme, de souci du détail, d’innovation. Il y a une véritable unité graphique : on charte, on établit des dénominateurs graphiques communs. Et puis le 9ème Concept, c’est du compagnonnage, comme aime à le dire Ned (ndlr : l’un des trois fondateurs du collectif).

Ce 30ème anniversaire, tu as pas mal contribué à le faire célébrer, non ?

L’idée vient de Romain Froquet à la base. Nous avons tous des parcours solo en dehors du 9ème Concept, donc il y avait un besoin réel de se retrouver. Le 9ème Concept te facilite ta vie d’artiste, cela mérite de donner au collectif en retour. Avec l’exposition de six mois sur Fluctuart, nous avons le temps de montrer ce que le collectif a su faire depuis 30 ans. L’exposition Vision d’Ensemble se divise en trois temps et présente donc une partie rétrospective mais aussi ce que nous faisons aujourd’hui. Il fallait bosser vite et bien pour la monter. Nous nous sommes beaucoup posés de questions sur le concept d’ouverture et la solidarité post-confinement nous a confortés dans le choix de la collégialité de Scratch Paper, avec un line-up de presque 100 artistes. Avec Stéphane Carricondo, Ned, Jerk 45 et Romain Froquet, nous avons travaillé ensemble la direction artistique, et de mon côté, je me suis chargé plus spécifiquement de la charte graphique : logos, affiches, signalétiques, impressions, vidéos, etc.

Quels sont tes projets à venir ?

Déjà avec Vision d’Ensemble, j’ai de quoi m’occuper jusqu’en décembre. Je participe à la rentrée au festival Colorama, créé par Grems à Biarritz, et je travaille en atelier pour une exposition à la galerie Vincent Tiercin en 2021.

Retrouvez Clément Laurentin sur son compte Instagram.

Propos recueillis par Barbara Legras

Retrouvez les entretiens précédents dans le cadre des 30 ans du 9ème Concept :
Interview des fondateurs
Interview d’Olivia de Bona et Jeykill

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