Grems : “Je crée des accidents pour produire de nouvelles formes”
À la croisée du post graffiti et de l’abstraction, Grems, 41 ans, nous offre une esthétique vibrante des plus intéressantes. Rencontre avec un artiste touche-à-tout, graffeur et rappeur, qui repousse les limites de son art.
Pouvez-vous nous décrire vos débuts ?
J’ai commencé le graffiti dans les années 90. Je m’inscrivais dans le courant hip-hop, un véritable mode de vie qui comprenait des disciplines telles que le graffiti, le scratch, la danse, le rap. J’ai grandi dans cette mouvance car Internet n’existait pas et les jeunes de mon âge n’avaient pas d’autres occupations. Dans ce mouvement du hip-hop, on avait toujours un pied dans une discipline et l’autre pied dans une autre. Moi-même, j’exerçais le rap et le graffiti. Il n’y avait pas de visée commerciale : le but était seulement de se réaliser. En rappant, je n’ai pas volontairement souhaité devenir connu. Le seul fait de pratiquer présentait une véritable importance dans le mouvement hip-hop. Par ailleurs, avec mon crew à Bordeaux, on cherchait de nouvelles manières de peindre. On tentait de réaliser des graffs que personne ne comprenait.
En 2000, vous rentrez aux Beaux-Arts de Bordeaux.
À la sortie de l’école, je n’ai pas cherché à être artiste – je n’avais pas cette prétention – mais à exercer un métier. J’avais les pieds sur terre. Je suis donc entré dans une agence de graphiste puis suis devenu directeur artistique. Parallèlement à ma profession, je réalisais des illustrations aux accents graffiti, notamment aux caractères arrondis et ce, pour mon plaisir personnel, que je donnais ou revendais peu cher. Mes illustrations ont connu un véritable succès en 2006. C’est alors que durant dix ans, de nombreuses marques ont fait appel à moi dans le cadre de collaborations qui mettaient en avant mes illustrations. J’avais peu à peu l’impression de devenir un produit. Et je n’avais vendu aucune toile : je n’étais jamais encore entré dans le monde de l’art.
Vous avez eu envie de devenir alors un véritable artiste ?
En 2015, j’ai réalisé des toiles sur lesquelles j’ai développé un style tribal. J’ai alors commencé à refuser des collaborations avec des marques. J’ai expérimenté différentes techniques, différents médiums. Je souhaitais m’amuser dans quelque chose de proprement artistique. Selon moi, la toile reste le plus dur de tous les médiums artistiques : c’est pourquoi, j’ai mis un certain temps avant de m’aventurer sur une toile. Il est nécessaire de s’exercer énormément avant de réaliser une création sur toile. Mon mur est mon cahier de brouillon. Ma première exposition de 2015 fut un test, un cap que je souhaitais passer. Je n’avais jamais vendu de toiles et l’enjeu était de savoir combien je valais. Par ailleurs, trop de choses ne m’intéressaient plus dans l’illustration ou dans le décoratif : il m’était devenu important de théoriser mes œuvres, de leur donner du sens, tel que je l’avais appris aux Beaux-Arts. Je souhaitais me détacher de la culture du produit, de l’ordinateur. Aux Beaux-Arts, j’aimais déjà l’abstraction. Vingt ans après, je me retrouve à faire ce que je voulais faire initialement, à savoir, de l’abstrait, ce qui me paraissait à l’époque infaisable : aujourd’hui, mon art ne connait plus de limites. Cela fait désormais trois ans que j’explore l’abstraction.
Avez-vous alors abandonné le graffiti ?
Je réalise des œuvres abstraites mais qui demeurent néanmoins du post graffiti. Je reprends en effet tous les codes du graffiti – par exemple la réalisation d’une petite flèche ou bulle à côté du graff – et je les déconstruis au fur et à mesure pour recomposer une nouvelle image. Je reprends et déconstruis ainsi les réflexes du graffeur tels que le remplissage électrique (lorsque le graffeur remplit de gauche à droite son graff, les traits se croisant ainsi, produisent un effet). Un graffeur devant mon œuvre, sera perturbé : il dira qu’il s’agit bien de graffiti mais abstrait ; alors qu’une personne non graffeur dira que ce n’est pas du graff mais une peinture, alors qu’il s’agit bien de graffiti. J’aime travailler sur cette dualité. Je refuse de m’enfermer dans ce conditionnement du graff. Lorsque je réalise que ma création devient trop esthétique et “sexy”, je plie mon bras d’une certaine manière comme si je réalisais un mauvais geste pour créer un accident. Je crée des accidents pour produire de nouvelles formes et ne pas demeurer dans cet espèce d’esthétisme que m’a appris le graffiti.
Hormis ce que vous venez de nous expliquer, pouvez-nous décrire ce qui caractérise votre travail ?
Que je fasse de l’illustration, du graphisme ou de l’abstraction, on reconnaît mon “trait” car initialement, j’ai cultivé un défaut dans mon dessin que j’ai repris à mon avantage : c’est propre mais il y a de la vie, ce n’est pas réalisé à l’ordinateur. Par ailleurs, je réalise mes œuvres davantage sur mur que sur toile car je viens du graffiti : c’est sur les murs que j’expérimente toujours de nouvelles techniques. Je peins essentiellement à la bombe qui demeure mon médium de prédilection ou à l’aérographe sur toile, quand bien même je suis à l’aise avec tout type de médiums. Enfin, si je décide de lier mon art à mon activité de rappeur, je ne souhaite pas que le rap soit au service de mes œuvres ou vice versa : au contraire, mes deux disciplines se combinent (voir la vidéo en fin d’entretien).
Quels sont vos projets ?
J’ai envie qu’on retrouve mes œuvres dans les galeries et dans les institutions muséales. J’ai déjà l’honneur d’en avoir une au Centre Pompidou, sur un des murs de la bibliothèque.
Retrouvez le travail de Grems sur son compte Instagram @insta_grems et son site Internet www.gremsindustry.com.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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