Du cinéma Mashup avec Julien Lahmi : entre cri d’amour et geste punk
Au croisement du 7ème Art et du numérique, à l’origine de mariages insolites entre images et sons issus de la Pop Culture, se trouve le cinéma Mashup. Décryptage de cette pratique de “seconde main” aux côtés de Julien Lahmi, directeur du MashUp Film Festival, un événement à retrouver du 2 au 6 septembre 2020.
S’il est désormais considéré comme le fer de lance du cinéma Mashup français, art du recyclage d’archives filmiques, Julien Lahmi n’a cessé d’osciller entre le genre documentaire et celui de la fiction. Son premier long métrage, le documentaire de création Vietnam Paradisio, distribué par la chaîne ARTE et sélectionné à la FIPA de Biarritz, témoigne justement de cette ambivalence artistique. « Déjà, avec le documentaire de création, je narrais les événements et montais les images comme une fiction peut relater d’histoires irréelles ».
À la frontière du cinéma expérimental, ses œuvres tentent également de questionner ce mouvement ; « l’expérimental ne doit pas être limité aux écritures dites non-narratives, c’est un genre qui réfléchit continuellement à de nouvelles manières de raconter des histoires au cinéma ».
Lorsque le montage se substitue au tournage
La pratique du Mashup se révèle être le dénouement logique de son processus de réemploi d’archives amateurs. Telle une brèche ouverte sur la Pop Culture, le Mashup est un démultiplicateur d’inspirations et de références artistiques, autant qu’un pur stimulateur d’inventivité. « Détaché des procédures d’autorisation propres à l’utilisation de films familiaux, le Mashup représente la liberté créative la plus totale ».
Si le travail du montage est la phase éminente du cinéma Mashup – et qui le rend, par ailleurs, largement accessible et praticable – la mise en scène n’en demeure pas moins présente de ce type de production. « Je modifie parfois tellement l’image que je remets en scène le personnage récupéré, ainsi que les intentions de l’auteur initial. Le Mashup est la prise de pouvoir du montage sur la mise en scène et non sa dissolution ».
Il existe tout de même une confusion persistante entre le Mashup et la récupération de métrages intimes et rebuts. « À contrario du Found footage qui dévoile des images peu connues, le Mashup fait descendre les icônes pop de leur piédestal ».
À la question portant sur les notions d’hommage et de détournement, Julien Lahmi soutient que le Mashup peut être tant un cri d’amour qu’un élan de révolte. La création est, pour certains mashupeurs, un prétexte de célébration et de mise en lumière du patrimoine cinématographique ; pour d’autres, elle est un geste punk de déconstruction d’œuvres et de dénonciation anti-système. « Certains considèrent à tort le Mashup comme l’action de prendre aux autres, tandis qu’il s’agit d’emprunter des images pour mieux les rehausser ».
Outre les influences dadaïstes clairement reconnaissables dans ses premières productions, notamment Moonlight Serenade, son identité esthétique est aujourd’hui à l’image de la pluralité de l’offre artistique présente sur le web. « Dans la mesure où nous sommes connectés à une multitude de propositions culturelles, grâce aux mutations technologiques, nous sommes tous des êtres au cerveau mashup ».
Et si l’éclectisme caractérise le style de Julien Lahmi, l’art pictural est la substance de ses œuvres, à l’exemple de Munchsferatu et de son dernier long métrage web-série Tralala Bang Bang. « C’est avec le travail pictural et les mariages insolites que je transforme les images et que je l’ai fait miennes ».
La Nouvelle Vague Numérique
La législation de droits d’auteur française, en contraignant les artistes mashupeurs à attendre qu’une œuvre entre dans le domaine public – soit 70 ans après la mort de l’auteur – restreint l’acte créateur au cinéma. « Le cinéma étant un art relativement jeune, peu de productions sont actuellement exploitables légalement ». Pour Julien Lahmi « la création n’attend pas » et prévaut alors la moralité de l’intention de celui qui réactualise sur la demande de droits. « Les œuvres ne sont pas sacrées, si elles le deviennent, elles meurent ».
C’est en raison d’une liberté de création et de diffusion plus importante sur Internet – au détriment de la télé et du cinéma – que la Mashup entretient une relation privilégiée avec le média numérique. L’internet, jungle dense dans laquelle l’utilisateur se perd souvent dans un flot intarissable de contenus, ne réunit parfois pas les conditions idéales à la valorisation des films mashup. Telle est donc l’ambition du MashUp Film Festival : « sublimer ces productions numériques au moyen de projections sur grands écrans, créer un cadre collectif et ériger le Mashup en tant que genre à part entière ».
Une force créative peu reconnue
Du point de vue créatif, la production mashup est un secteur foisonnant d’initiatives. Toujours est-il que, sans un assouplissement de la législation française et une reconnaissance artistique de cette discipline, les mashupeurs ne peuvent être gratifiés à la juste valeur de leur travail. « Il subsiste encore une forte incompréhension de ce format émanant des fervents défenseurs du droit d’auteur (un droit qui n’a en l’occurence pas progressé depuis la Révolution française). Mais les regards changent et les considérations évoluent ». Il est plus que nécessaire aujourd’hui, selon Julien Lahmi, de dédiaboliser la démarche du « copiage » et de l’emprunt. « Tout artiste s’imprègne des œuvres antérieures pour créer et apprend en copiant. Les mashupeurs ne sont pas plus remixeurs que les autres et l’immanence de l’inspiration artistique n’existe pas ».
Cet « extrémiste du recyclage » se réveille d’une période de confinement ultra prolifique (avec le court métrage Les mots bleus traitant de la pandémie) où d’audacieux projets ont trouvé leur point d’émergence. « Nous voulons poursuivre le développement de l’Hallu-ciné, un ciné-café conçu comme lieu d’échanges autour de la création audiovisuelle contemporaine ». Julien Lahmi, convaincu que « la création par ordinateur va devenir omnipotente », n’en démord pas avec l’art du Mashup. La France, en tant que deuxième pôle mondial de cinéastes monteurs, doit trouver « un modèle économique favorisant ce mouvement porteur ».
Découvrez le site du MashUp Film Festival, le compte Vimeo du cinéaste et son profil Instagram.
Propos de et reccueillis par Jade Vigreux
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