30e anniversaire du 9ème Concept : “Le collectif est au service de la singularité de l’artiste”
À l’occasion du 30e anniversaire cette année du 9ème Concept, Artistik Rezo consacre une série d’interviews aux artistes qui font l’âme de ce collectif. Pour inaugurer le cycle, Stéphane Carricondo, Ned et Jerk 45, co-fondateurs, nous expliquent comment a démarré l’aventure en 1990 et en quoi l’intelligence de groupe a permis au collectif de marquer l’histoire de l’art urbain et de créer un modèle économique collaboratif unique dans le milieu.
Comment a démarré l’aventure du 9ème Concept en 1990 ?
Ned : Stéphane et moi sommes amis depuis nos treize ans, on a fait du graffiti ensemble. Nous sommes montés sur Paris faire une école de graphisme, et c’est là que nous avons rencontré Jerk 45. Nous avons vite décidé de monter un collectif en marge de l’école. Le nom vient d’une BD d’anticipation que j’avais dessinée Les Aventures du 9ème Concept, hélas perdue depuis dans des cartons de déménagement. Nous avons jugé que le sujet était assez vaste pour pouvoir durer dans le temps.
Stéphane : L’individualisme primait à cette époque, nous avions envie de faire autrement, de construire quelque chose ensemble. Nous avions chacun nos défauts et nos qualités et la diversité de nos profils a permis une complémentarité. Ned et moi venons du mouvement hip-hop, Jerk 45 du punk.
Justement, le collectivisme est une valeur forte qui vous anime depuis le début. Pourquoi ?
Stéphane : En fait, on ne peut pas être ensemble sans être soi. Chacun d’entre nous a une identité forte et c’est la raison de notre continuité. Le collectif a permis d’exprimer une singularité d’écriture. Nous avions un sentiment de décalage avec les tendances de l’époque, c’était l’apanage de la génération pub. Nous ne voulions pas coller aux étiquettes.
Ned : Il y avait aussi un besoin de montrer ce que l’on faisait, une envie d’application immédiate de ce que l’on apprenait à l’école de graphisme. L’abstrait ne suffisait pas, il nous fallait des actions concrètes, de la substance.
Jerk 45 : Les opportunités sont arrivées aussi. Notamment la rencontre avec Mike Sylla en 1991. Il avait une boutique aux Halles, travaillait avec des artistes réputés, avait une aura incroyable. Nous avons fait un premier blouson avec lui qui est paru dès le lendemain dans Elle Magazine. Cette collaboration était une façon d’être rémunérés sans vendre notre âme.
Stéphane : Ce projet a eu une influence fondamentale sur ce qu’est le 9ème Concept aujourd’hui. On peut dire que c’est un Africain qui nous a formés et nous a inculqué des valeurs de partage et de collectivisme. Le contexte était particulier : le marché était compliqué, les galeries souffraient, le business model devait changer. Les collaborations étaient une façon d’implémenter ce changement, de gagner notre vie en faisant ce que nous aimions et en rendant l’art accessible au public.
Quels ont été les moments forts du 9ème Concept pour vous ces 30 dernières années ?
Stéphane : Nous nous lassions vite, du coup, nous avions une multitude d’idées. Nous avons vite compris que le travail avec les marques était important et constituait un business model pour gagner notre vie. Nous avons fait peu de travail dans la rue, à part les autocollants, le rapport à l’autre a guidé tous nos projets artistiques.
Stéphane/Ned/Jerk 45 : En 1993, nous avons expérimenté le tatouage éphémère, une nouvelle façon de collaborer avec les marques. Nous dessinions sur le public dans le cadre de soirées et festivals de manière interactive en toute liberté. En 1997, nous démarrions notre première collaboration avec Desperados, en proposant notamment des bouteilles collectors customisées par les artistes du collectif, une collaboration qui dure depuis plus de 20 ans maintenant. En 2000, nous avons inauguré la création numérique avec l’exposition itinérante Sang9 où les artistes étaient invités à utiliser ou détourner les codes de l’univers médical. Notre résidence “Peinture fraîche” au Centre Pompidou en 2007 est un autre fait marquant de notre histoire, c’était la première fois que l’art urbain s’exposait dans un musée. En 2009, nous avons inauguré un nouveau projet collectif Scratch Paper avec des créations individuelles imprimées sur grands formats, superposées puis recomposées de façon aléatoire. Plus récemment, en 2015, nous avons consolidé notre principe de collaboration artistique avec le projet “Francs Colleurs” : une œuvre collective monumentale inspirée de notre période stickers.
Comment choisissez-vous les artistes qui rejoignent le collectif, une vingtaine depuis le début ?
Stéphane : C’est plus un recrutement de proches, une intronisation basée sur des qualités humaines avant tout. Nous proposons un modèle économique qui assure un revenu aux artistes. Ils nous accompagnent sur les tournées dans un esprit de compagnonnage. Le 9ème Concept, c’est une famille.
Ned : Nous valorisons l’esprit d’initiative, la débrouillardise, les multi-compétences. Notre modèle est corporatif avec une hiérarchie circulaire. Nous n’avons pas monté le 9ème Concept comme une entreprise classique, nous l’avons créé sur le terrain avec des coéquipiers. Chacun a un rôle collaboratif, Clément Laurentin par exemple a vite assuré la direction artistique du collectif, Romain Froquet a pris en charge l’organisation. Nous sommes entre cinq et neuf comme noyau dur au sein du collectif.
Stéphane : Il est important de comprendre que notre structuration nous a permis de grandir en autofinancement, nous nous payons tous les trois le SMIC et avons réinvesti nos bénéfices dans le financement des projets. Nous nous permettons de refuser des propositions qui ne collent pas à nos valeurs car il est important de se réaliser en tant qu’artiste. Nous avons à cœur de proposer des projets à portée universelle qui englobent tout le monde, comme les “Francs Colleurs”, et permettent à chacun de trouver sa place dans un ensemble. Nos artistes deviennent autonomes car nous les poussons dans leurs compétences. Ils trouvent leur indépendance économique et s’envolent du nid familial.
Vous assurez la direction artistique de la Fondation Desperados créée en 2018, comment s’est mis en place ce partenariat ?
Stéphane : Tout a commencé avec la diffusion d’œuvres d’art urbain dans les abribus. Il y a l’artothèque à la disposition des collaborateurs du groupe et surtout le projet collectif “Courts-Circuits” avec la street artiste bordelaise Rouge, fin 2019, une façon de démocratiser l’art et de permettre aux passants d’acquérir des œuvres présentées dans la rue.
Quel bilan tirez-vous aujourd’hui des ces 30 années d’existence ?
Ned : Beaucoup de joie, c’est une grande chance de nous être rencontrés. La valeur collective prend tout son sens avec cette aventure. Il existe des phénomènes de cycles dans la vie et là nous avons un retour incroyable de la part des artistes avec la célébration de nos 30 ans. Nous avions fait une rétrospective à Lille pour nos 25 ans et pour les 30, ce sont les plus jeunes qui nous ont poussés à les fêter et ont pris les choses en main.
Jerk 45 : Nous avons évolué à part, en extérieur des concepts ordinaires.
Stéphane : C’est un incroyable cadeau humain. Je suis ravi d’avoir rencontré deux frères. C’est un cadeau également de voir les artistes du collectif évoluer et nous rendre cet apport collectif avec la célébration de notre anniversaire. Nous essayons de nous pousser les uns les autres, d’aider les gens à se réaliser. Il y a une nécessité dans la création : on est ce que l’on est en créant. Il y a encore beaucoup à faire, peut-être différemment.
30 ans ça se fête, une exposition anniversaire ouvre le 2 juillet sur Fluctuart. Quel est le programme des réjouissances ?
Ned : C’est une synthèse des concepts les plus forts du collectif. L’occasion de fêter ensemble cet anniversaire dans un lieu atypique, mi-galerie, mi-bar, ce qui correspond à notre concept, à contre-courant.
Stéphane : Nous ouvrons l’exposition avec Scratch Paper. C’est un marqueur fort car plus de 100 artistes vont participer à créer la plus importante œuvre collective en mouvement à ce jour. Il y a une notion d’ouverture vers les autres, une symbolique de la force de notre concept.
Jerk 45 : Nous allons également proposer une rétrospective de Sang9 car c’est le premier projet marquant du collectif. Il y aura 400 pièces en numérique, l’occasion de repositionner ce concept en le datant et en incluant de nouvelles créations.
Les mots de la fin : quelles sont les perspectives de l’art urbain aujourd’hui ?
Stéphane : C’est un mouvement très important qui a évolué en dehors du marché et de ses circuits spéculatifs qui sont une abberation pour nous. Mais c’est un mouvement très fragile économiquement, bien que capable de s’adapter. Il est important de le soutenir. L’art urbain est essentiel, c’est un moyen d’expression inhérent à la nature humaine, qui se passe de curation.
Jerk 45 : Il faut se méfier de l’aspect parfois opportuniste ou calculateur de l’art urbain et pousser l’évolution culturelle. Un bon artiste urbain ne peut se passer de connaissances sur l’histoire de l’art dans son ensemble.
Ned : Les artistes ont toujours été des témoins de leur époque. C’est encore plus vrai aujourd’hui avec l’art urbain. Il retransmet l’énergie de ce qui se passe dans l’actualité. Il est multisupport, spontané, sans biais élitiste, même si parfois maladroit.
Retrouvez le 9ème Concept sur leur site.
Propos recueillis par Barbara Legras
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