Hillary Dohoney : “Ne créez pas pour d’autres personnes ou pour suivre un style, faites-le pour vous-même.”
Rencontre avec l’artiste hyperréaliste de Fort Worth au Texas. Artiste de paysages marins, Hillary Dohoney propose des tableaux dans lesquels on a envie de plonger.
Pouvez-vous me parler de votre parcours, de votre formation?
Au début, je ne pensais pas qu’on pouvait gagner de l’argent en faisant de l’art ; quand j’ai appris que le contraire était possible j’ai eu une illumination. J’ai été admise à Chicago Art College mais je n’ai jamais eu envie d’aller à cette école, notamment à cause de la température de Chicago, mais aussi car je travaille mieux avec un sujet. J’avais besoin d’une formation bien équilibrée, donc je suis allée à Trinity College à San Antonio, au Texas. J’ai étudié l’histoire de l’art et j’ai eu la chance d’étudier la mythologie, la sociologie et les autres sciences humaines. Cette école était excellente pour moi car ils avaient un programme d’échange. Grâce à ce programme je suis venue à Paris et j’ai travaillé en tant que copiste au Louvre cette année.
Comment votre art a-t-il changé au fil du temps?
Je peux dire que cela a commencé à changer quand j’étais à l’université. Une telle éducation n’est pas nécessaire pour devenir artiste mais elle m’a donné une structure : j’ai appris que l’inspiration ne va pas venir frapper votre porte tous les jours mais si vous commencez à peindre et vous vous forcez tous les jours, même pour quelques minutes vous recevrez cette inspiration. C’est la transformation de ces quelques premières minutes lentes en un trou noir qui engloutit tout et soudain vous regardez à votre montre et cela fait 5 heures que vous peignez.
Quand j’ai déménagé à Paris j’ai eu des difficultés à maintenir ce rythme, mais j’y ai eu l’inspiration pour “Shadow Series”. Quand je marche dans les rues de Paris j’observe les ombres, ces petits moments où une ombre vient remplacer un rayon de lumière qui part dans l’instant. La période de confinement m’a beaucoup aidée, je chassais les ombres dans mon appartement, j’ai fait des essais avec des nouveaux éléments comme des prismes. Je suis toujours en train d’appréhender cette série, c’est la partie amusante. Il m’a fallu beaucoup de temps pour être heureuse de ce que je fais.
Pouvez-vous nommer des artistes avec lesquels vous aimeriez être comparée ?
Personnellement, je ne veux pas être comparée à un autre artiste. Il m’a fallu vraiment beaucoup de temps pour comprendre à quel point cela est malsain. C’est votre propre travail, votre propre vie. Il y aura toujours quelqu’un qui fait mieux que vous, nous vivons dans un monde si vaste et c’est sa beauté ; il y a toujours mieux et pire mais cela ne rend pas votre travail moins important. Si je dois donner un nom je peux dire que Hilma af Klint était ma plus grande inspiration, j’ai ete époustouflée par son exposition au MOMA. C’est une femme qui a créé des pièces modernistes 50 ans avant les peintures modernistes, elle est tellement en avance sur son temps. Elle les a cachées dans un coffre-fort parce qu’elle savait qu’elles étaient vraiment avant-gardistes. Ce que j’ai appris d’elle, c’est qu’elle a fait son art pour elle-même, sans le montrer à quiconque, et en a joué. Il y a une très grande leçon à tirer d’ici : ne créez pas pour d’autres personnes ou pour suivre un style, faites-le simplement pour vous-même car de cette façon, vous pouvez être fier d’avoir au moins fait ce que vous aviez envie de faire.
Comment avez-vous commencé à faire des tableaux hyperréalistes ?
Mon amour pour l’hyperréalisme vient du trompe-l’oeil. J’ai grandi à côté du musée Amon Carter. Tous les musées de Fort Worth sont excellents : les expositions commencent à Paris, à Londres, à New-York et après elles viennent à Fort Worth. J’allais aux musées tout le temps parce que ma mère voulait que je connaisse l’art. J’allais aux écoles des musées chaque été. Il y avait une peinture, ma préféré : Trompe l’Oeil, une peinture hyperréaliste. Il y avait des feuilles de musiques si nettes qu’elles vous donnaient envie de les toucher et il y avait aussi une petite mouche très mignonne au coin. Quand j’étais à l’université je cherchais mon style. Je dois préciser que j’ai une relation particulière avec les insectes : je pleurais quand quelqu’un tuait un insecte, car je les personnifie, je leur donne des prénoms. J’ai pris des cours d’éthique environnementale à l’université et je pensais à cette mouche, je voulais qu’elle soit le centre du tableau. Tout le monde connaissait la fleur, la feuille de musique, etc. J’ai donc commencé à faire des séries sur des objets qui ne seraient pas considérés comme des sujets d’une peinture.
Pourquoi la majeure partie de vos œuvres se concentrent-elles sur l’eau et la mer ?
J’ai toujours été fascinée par l’eau en mouvement et par la façon dont elle peut changer en un instant, comme les changements de lumière. Quand j’ai commencé à peindre l’eau, je n’arrivais pas à capturer toutes ses subtilités, je n’arrivais pas à retranscrire la sensation de calme que je ressentais. Au Texas nous allions tout le temps au bord du lac, j’adorais le regarder et me sentir calme. Quand je peignais, je me sentais anxieuse : lorsque vous essayez de rendre le réel comme vous le voyez, vous commencez à vous inquiéter. Une révélation s’est produite un jour : j’ai décidé de ne pas regarder la photo et cela s’est avéré être l’une de mes peinture préférées. Ce n’est pas un lac, ni une mer, il n’existe pas. Il ne s’agit pas de peindre l’eau, il s’agit de méditer. Parfois, on dirait davantage des paysages montagneux, je les appelle paysages marins. J’ai décidé de les utiliser plus tard. Il s’est toujours agi de peintures méditatives, que je faisais entre mes vraies œuvres. Je les ai utilisées pour soulager mon stress ; c’est de la création pure, elles retranscrivent mes pensées.
Comment avez-vous développé votre carrière ?
J’ai eu beaucoup de chance en arrivant à Paris. J’ai été contactée par une galerie appelée Tax Collection. Ils organisent des spectacles artistiques et des expositions partout dans le monde avec des artistes de renom ; je les ai rencontrés lors d’une précédente exposition. Grâce à cette connexion j’ai participé à une exposition à New York et à Fort Worth lors de ma première année à Paris.
Préférez-vous répondre à des commandes ou peindre librement?
Librement ! Les œuvres commandées sont très stressantes. J’ai du apprendre à définir mes limites. Au moment où ils disent qu’ils veulent une commission c’est là que mon angoisse commence. J’ai appris à refuser les portraits par exemple.
Propos recueillis par Baran Cengiz
Articles liés
“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14
L’histoire est inspirée de l’affaire de Johann Christian Woyzeck (1780-1824) à Leipzig, ancien soldat, accusé d’avoir poignardé par jalousie sa maîtresse, Johanna Christiane Woost, le 21 juin 1821. Condamné à mort, il a été exécuté le 27 août 1824....
La Scala présente “Les Parallèles”
Un soir, dans une ville sans nom, Elle et Lui se croisent sur le pas d’une porte. Elle est piquante et sexy. Lui est hypersensible et timide. Il se pourrait bien que ce soit une rencontre… Mais rien n’est moins sûr, tant ces deux-là sont maladroits dans leurs...
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...