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Hermann Nitsch, “The Shape of Colour” à la Galerie RX

© Artland, Courtesy Galerie RX Exposition Hermann Nitsch "Shape of Colour"

Pour cette seconde exposition de l’actionniste viennois Hermann Nitsch à la Galerie RX, une sélection de peintures colorées et de “dessins informels” réalisés depuis le début du XXIe siècle sont présentés. À l’origine de cette exposition, on retrouve la présence du sacré. Une parole totale pour un art total, qui se déploie dans le temps, donnant forme à des expressions artistiques parmi les plus extrêmes de l’art de notre époque. 

Dernier actionniste en activité, ses peintures, axées cette fois-ci sur la couleur, sont les témoins d’une œuvre picturale aux horizons multiples. Son art total et holiste qu’il nourrit depuis les années 1960 (théâtre, opéra, peinture, dessin…) dont les mises en scène de rituels sont sans limite, vacillent entre fiction et réalité, et dessinent les contours d’une création plurielle et avant-gardiste.

Les artistes se sont toujours appelés créateurs et ont vu leurs activités comparées au mythe de la création du monde:  le peintre, le sculpteur, celui qui donne forme et vie qui crée une nouvelle nature, un nouvel homme. Les architectes construisent un espace dans lequel vivre,  les compositeurs un espace mental de sons, tous créent des mondes qui n’existaient pas auparavant. 

Hermann Nitsch surmonte consciemment cette conception de la création artistique à travers “The Shape of Colour”. Ses œuvres surprennent, interrogent, déstabilisent, troublent, tant la rupture est absolue avec la violence des performances habituellement présentes dans sa peinture.

L’art de l’actionniste se fonde sur l’authenticité de l’expérience, et sur le dépassement des formes de l’art traditionnel. Une démarche induite par Jackson Pollock à la fin des années 1940. Cette nouvelle manière d’imaginer la peinture a donc une dimension purement physique et matérielle dans laquelle le corps de l’artiste est un élément principal de la création.

À ce propos, le critique d’art américain Harold Rosenberg, propose pour la première fois le terme d’action painting, dans un article intitulé American Action Painters, et parle de la toile en tant qu’”arène”, de la peinture en tant qu’”espace d’expression”, ou la peinture devient action.

© Artland, Courtesy Galerie RX. De gauche à droite : Poured Painting with Painter’s Smock, 2015. Acrylique sur toile avec sang, 230×380 cm. Poured Painting with Painter’s Smock, 78e edition Action Painting, 2018.200 x 150 cm.

Hermann Nitsch renouvelle plusieurs traditions de toute l’histoire de l’art : d’un côté en se référant aux traditions, aux rituels et aux religions évoquant ainsi des milliers d’années d’histoire et de l’autre côté, il évoque l’idée d’une nouvelle synthèse radicale des arts.

La provocation n’a jamais été le but d’Hermann Nitsch, c’est l’intensité qui est ici recherchée. Qu’il s’agisse des pièces tragiques de l’Antiquité, de la religion et des scènes de douleur, ses œuvres protéiformes ont une dimension cathartique face au poids de la Seconde Guerre mondiale. Le parallèle avec le groupe d’avant garde Japonais Gutaï est inévitable.

Poured Painting with Painter’s Smock fait un parallèle entre la genèse et la souffrance du christ, la crucifixion (le flan arraché : éclaboussures). Ainsi, toute vie n’est pas concevable sans douleur, nous sommes tous venus au monde accompagnés par elle, mais sa recherche artistique se situe au-delà de l’histoire ou du questionnement de la condition humaine.

© Artland, Courtesy Galerie RX
182 oeuvres sur papier, 2017-2020. Format A4 29,7 X 21 cm.

Sous une forme plus pure, on retrouve les universaux mystiques

On assiste à une évolution esthétique non chronologique, qui part d’un art brut à une colorimétrie d’une grande diversité. Cette exposition témoigne de la grande liberté de l’artiste, qui utilise un vocabulaire chromatique riche en symboles religieux : les jaunes évoquent la lumière spirituelle, les oranges la libération du Christ,  les verts et les rouges sont utilisés comme des métaphores de formes organiques.

L’application de la peinture et la place qu’elle occupe sur des petits formats, non figuratifs, montre un nouvel univers fait de douceur, de légèreté et d’innocence enfantine de l’art. Ses « gribouillages » comme il les nomme, peuvent évoquer l’influence des acteurs de la peinture informelle, tels que Markus Prachensky et Hans Hartung, au détour de gestes délibérément primitifs.

En s’approchant d’une des œuvres sur papier, on peut apercevoir derrière une fine couche de pastel à l’huile, l’image d’un retable (Tetschener Altar), représentant la silhouette d’un crucifix en haut d’une montagne, de Caspar David Friedrich.

Le Retable de Tatschen, Caspar David Friedrich.115x110cm.      1807-1808.

 

© Artland, Courtesy Galerie RX
Colour Scale, 2020.
Pastels à l’huile sur papier. 21×150 cm.

La scénographie des œuvres sur papier montre une esthétique primitive, elles sont exposées face à Colour Scale, l’œuvre la plus ordonnée de l’exposition. Celle-ci sert de discours à son travail artistique : sa linéarité, sa chronologie, montre qu’Hermann Nitsch dispose de connaissances culturelles et historiques. Son travail n’est pas le simple fruit du hasard de l’expérience, mais d’une réflexion inscrite dans un cycle où la naissance et la mort se rejoignent.

© Artland Courtesy, Galerie RX
De gauche à droite
Poured Painting, 43 Action Painting, 2000. Acrylique sur toile. 200×300 cm.

Le corps est médium, un espace de création 

Dans la publication La phénoménologie de la perception publiée en 1945, le philosophe français Maurice Merleau-Ponty définit le corps comme condition de notre existence, et de toute notre activité mentale et intellectuelle. Ici, le corps est utilisé à des fins libératrices , des peurs et autres angoisses inconscientes.

Sur ces grandes toiles, Nitsch s’exprime par le dynamisme de ses mouvements et des traces, des empreintes, qu’il laisse derrière lui et qui favorisent l’accès aux sens. Il travaille avec les parties du corps (les mains, les bras, les pieds…) et éveille les réalités de son propre langage.

La toile de jute, support des œuvres, renvoie à la matière, au grain de la peau à sa rugosité et s’appuie sur le désir de dépasser les frontières et les normes.

Influence des grands coloristes 

Dans cette série de tableaux, la résonance aux Nymphéas de Monet et aux grands coloristes est manifeste, dans les gestes, dans la performance, de par la large gamme chromatique étalée sur de grands formats. L’association des bleus et des verts saisissent la nature dans sa totalité, ainsi, les formes organiques s’expriment et s’unissent.

 

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Isabelle Capalbo

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