Sam Dougados : “Tout est éphémère et c’est ce qui en fait la valeur”
Sam Dougados, photographe plasticien, nous fait voyager sur les plages du monde en y apportant sa touche poétique. L’artiste nous parle du “beach art”, ou quand l’art et la nature se rencontrent.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’est le “beach art” ?
Ce que j’appelle “beach art” est par définition du “land art” : une intervention artistique dans la nature, sans autre moyen et outil qu’un râteau, le temps d’une marée qui aura tout effacé en remontant. Le beach art est aussi un peu comparable au street art, par sa nature impulsive, gratuite, éphémère, vectrice de messages, dans un espace public et accessible à tous.
Comment vous est venue cette envie de réaliser d’immenses fresques sur les plages ?
J’ai découvert cette technique dans une vidéo de surf il y a une douzaine d’années, j’ai trouvé cela à la fois grandiose et poétique. À cette époque, suite à un licenciement professionnel et amoureux, je commençais une démarche artistique à plein temps et je me cherchais artistiquement. Un an après, je déménageais tout près de la plage de la Côte des Basques à Biarritz, l’endroit parfait pour m’essayer à cet art. J’ai pris un râteau et j’ai tracé mon premier dessin en juillet 2008. Les retours positifs des baigneurs et le résultat m’ont encouragé à continuer et très vite j’ai trouvé une particularité artistique unique car à l’époque, j’étais le seul en France à vraiment développer cet art et nous n’étions encore qu’une poignée dans le monde. La photo est venue naturellement pour garder une trace de ce travail et, petit à petit, est devenue un deuxième travail à part entière. Je ne cherche pas forcément à montrer la démesure ou la technicité d’une œuvre mais je recherche plus la poésie de l’instant : un enfant qui va s’approprier ma fresque et jouer avec, un couple se promenant, donnant vie à l’œuvre, un cadrage serré ne montrant qu’un détail du dessin pour perdre le spectateur, sans repère de taille, etc.
Du beach art, à l’art environnemental, en passant par la sculpture, vous variez les disciplines. Quelles sont vos influences ?
Mes influences sont assez variées, passant du street art, au land art, à l’art contemporain. Étant autodidacte, j’ai toujours aimé matérialiser mes émotions depuis l’adolescence, en commençant par écrire des poèmes. J’ai essayé la peinture, puis la sculpture, en ramassant de l’argile crue sur la plage, puis du béton cellulaire. Quand j’ai décidé que je voulais créer et vivre de l’art, j’ai essayé pas mal de techniques. J’ai récupéré des matériaux en tentant de créer des œuvres avec, puis j’ai trouvé une spécificité unique avec le beach art : un terrain de jeu hors norme, sans cadre, sans limite si ce n’est celle du temps, avec la possibilité de toucher énormément de personnes en très peu de temps. Mon “studio” est vivant, autant que je le suis quand je l’arpente pendant plusieurs kilomètres, sentant l’embrun, le sable mouillé sous mes pieds, le son des vagues, etc. C’est un merveilleux moment d’osmose avec la nature quand je crée, même si je peux être assez concentré.
J’ai toujours eu un rapport fort à la nature et cette technique m’a encore plus orienté vers l’art environnemental et les installations dans la nature. J’aime faire dialoguer mon travail avec la nature et inversement.
Quel est le procédé derrière la réalisation de ces fresques ?
Il n’y a pas un procédé propre à la réalisation de mes fresques. J’ai vite commencé à improviser car l’espace étant changeant, il faut toujours un peu s’adapter à lui. Parfois, je pioche une esquisse dans un carnet d’idées, que je réalise ensuite. Je m’inspire souvent du lieu lui-même, surtout quand je voyage. Je me rends régulièrement au Maroc où je n’ai réalisé pour l’instant que des œuvres inspirées du design arabe, des “zelliges”. Dernièrement, je m’inspire des designs vus sur les portes d’habitation ou de magasins. Parfois, je me rends compte que mon imaginaire précède ma réflexion et je dessine des œuvres inspirées de choses que j’ai pu voir sans m’en rendre compte. Au Portugal, je dessinais des “azulejos” que je photographiais dans les rues et reproduisais ensuite, une manière de détourner et de m’approprier la culture locale en l’amenant dans un nouvel espace naturel. J’ai commencé à faire cela avec le graffiti également, le sortant de son espace urbain pour l’amener à son opposé, en pleine nature, mais c’est un projet que je dois encore développer.
Combien de temps en moyenne vous prend la réalisation d’une fresque ?
Mon temps de travail est régi par la marée montante et chez moi, à Biarritz, je travaille en moyenne 1h30. Ma plus longue fresque m’a pris 3h30, l’été dernier, pour dessiner les sept présidents du G7. Le coefficient de marée n’était pas très grand (plus il est fort, plus j’ai d’espace mais plus vite remonte l’océan), donc je n’avais pas énormément d’espace, même si l’oeuvre faisait au final 45x50m, mais cela me laissait un peu plus de temps.
Quel(s) message(s) souhaitez-vous faire passer à travers vos créations ? Qu’est-ce que vous aimeriez que l’on retienne de votre travail ?
Lorsque les promeneurs et les baigneurs voient l’une de mes fresques, cela les fait s’arrêter et contempler ce dessin qui disparaîtra très vite. C’est une manière pour moi de les faire prendre conscience de leur espace, de la nature. Même s’ils connaissent l’endroit, ils le voient alors d’une nouvelle manière, avec une intervention éphémère qui le valorise en montrant sa beauté et sa fragilité. J’essaie de placer le spectateur en contemplateur conscient. Prendre conscience de son espace et de sa nature, c’est aussi prendre conscience de soi-même, de son état d’Être. Il n’y a pas d’un côté la nature et de l’autre l’homme, nous faisons partie d’un ensemble qui doit fonctionner en harmonie. On l’a très bien vu avec ces deux derniers mois de confinement, où la nature a repris un peu ses droits. Pendant que nous étouffions chez nous, elle, au contraire, respirait à nouveau mieux. Je préfère sensibiliser en montrant le beau de manière poétique. Parfois, j’aime aussi directement écrire un message car l’impact est encore plus fort et direct.
Vous décrivez votre travail comme de “l’art effet-mer”. Quel est votre sentiment sur le fait de savoir que vos fresques sont amenées à disparaître avec les marées ?
Doisneau disait : « La beauté, pour être émouvante, doit être éphémère ». Tout est éphémère et c’est ce qui en fait la valeur. Nous portons plus d’attention à une fleur qui restera ouverte quelques jours, un papillon qui ne vivra pas plus longtemps, qu’à une stature immuable. C’est sûr que quand j’ai commencé ce travail, il y a eu des fois où j’étais un peu frustré de le voir disparaître si vite. Parfois même, avant que je ne le termine, quand j’arrivais un peu trop tard sur la marée… mais cela me laisse également une nouvelle p(l)age blanche le lendemain ! C’est aussi ce que j’ai appris quand j’ai commencé à vouloir vivre de mon travail, il faut savoir s’en détacher pour le vendre. On ne peut pas garder tout ce que l’on fait. Laisser disparaître une œuvre sur le sable, c’est aussi la laisser vivre. C’est un peu l’idée derrière mes sculptures “Obvious Ring“, en croûte de sel, recouvrant un message gravé sur un anneau en inox. Pour découvrir son message, il faut laisser l’anneau aux intempéries ou à l’humidité pour qu’il se désagrège et libère le message !
La nature est au cœur de votre travail. Quel regard portez-vous sur l’environnement aujourd’hui ?
Je pratique le surf, la chasse sous-marine, la pêche et le beach art, je côtoie donc l’océan à tous ses niveaux et je suis malheureusement témoin de sa pollution grandissante. Au Vietnam, l’année dernière lors d’un voyage, je cherchais un espace pour faire une petite fresque sur une plage mais c’est surtout des montagnes de détritus que j’ai vus. Si la plage n’est pas privatisée par un hôtel ou un un restaurant, elle est laissée à elle-même… Finalement, j’ai fait des rosaces autour des rochers avec des centaines de tongs ramassées sur quelques dizaines de mètres carrés. Lors d’une balade pour me rendre à des chutes, le sentier était jalonné de tigres en plastique et de faux rochers, tout ça pour plaire au tourisme de masse et pour satisfaire son égo à coup de selfies devant un ersatz en plastique. J’étais vraiment dégoûté de voir à quel point on prostitue notre nature, comme si elle ne se suffisait pas à elle-même. Nous devons intégrer la protection de l’environnement à tous les niveaux de production. Il devrait y avoir un employé chargé de s’occuper de la réduction de l’impact sur l’environnement dans chaque moyenne et grande entreprise, obliger la récupération d’eau de pluie pour chaque nouvelle construction. L’État, plutôt que de truffer nos routes de radars, devrait verbaliser tous ceux qui jettent encore leurs déchets dehors, du petit mégot (qui pollue 500L d’eau pendant cinq ans et constitue la deuxième pollution de l’océan) aux décharges sauvages car on voit bien que la prévention et l’information ne fonctionnent pas vraiment. Quand je parlais de conscience plus haut, c’est ce que j’aimerais qu’il se passe : que les gens comprennent qu’on ne peut pas venir profiter d’un endroit, poser sa serviette, se baigner avec une huile solaire destructrice de la faune et flore marine, puis repartir en laissant cinq mégots et deux canettes sur la plage recouverts par un peu de sable, comme je le vois chaque été. Qu’un dauphin est plus beau avec ses congénères, en liberté, qu’enfermé dans une piscine pour remplir les poches du directeur. Le confinement, comme on a pu le tester, n’est ni bon pour l’homme, ni pour les animaux !
Vous avez parcouru de nombreuses plages, aussi bien en France qu’à l’étranger. Quelle plage vous a particulièrement marqué ? Y en a-t-il une qui vous fait rêver ?
La plage idéale est celle que je découvre et qui se prête bien à mon intervention, par son sable, la hauteur que je pourrais prendre pour faire une photo et son environnement. Je n’en ai pas une en tête en particulier, elle n’a pas besoin d’être immense. Toute petite, elle peut aussi avoir son charme, comme le petit banc de sable que j’ai pu ratisser juste avant le confinement, dans le port de Biarritz, à sec par très gros coefficient et vidé de ses bateaux car encore en hiver. J’affectionne particulièrement la côte marocaine car les paysages sont souvent grandioses et photogéniques, peu urbanisés, mais il doit y en avoir encore beaucoup à travers le monde.
Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours et/ou à venir ?
Pas mal de mes projets sont malheureusement un peu en suspens ou ont été annulés à cause de la crise sanitaire actuelle. Je devais intervenir deux fois au Maroc, pour une petite exposition/initiation ainsi que participer à un festival de land art à Tanger qui sera peut-être reporté à septembre. Pas d’exposition prévue pour le moment mais j’intègre deux nouvelles galeries, 1809 et Artkhein, donc j’espère que des choses vont pouvoir s’organiser prochainement. Je devais également me rendre au Brésil pour la première fois, invité en résidence d’artiste dans un lodge au bord d’un lagon, mais c’est également en suspens en attendant d’y voir un peu plus clair sur les déplacements à l’étranger. Malgré la situation compliquée pour les artistes en ce moment, je suis quand même assez content et confiant car ces dernières semaines j’ai eu pas mal de nouveaux contacts intéressants, comme avec ces galeries ou vous-même qui vous intéressez à mon travail. Ma boutique en ligne fonctionne aussi un peu donc je reste positif !
Quel est le projet rêvé que vous aimeriez concrétiser dans le futur ?
Question difficile… Il y a quelques années, je rêvais d’organiser un festival d’art éphémère en faisant venir des pointures de plusieurs disciplines pour les faire intervenir dans les différents espaces naturels de ma ville. J’aimerais également présenter un jour une exposition immersive, invitant le spectateur à marcher pieds nus sur le sable, où, en plus des œuvres, il entendrait l’océan, le sentirait et pourrait se trouver au milieu d’une fresque. J’ai déjà testé la vidéo à 360° lors de notre performance avec le ballet Malandain, au milieu de mon dessin avec les danseurs tout autour et c’est assez bluffant !
Vous pouvez retrouver les créations de Sam sur son site internet et sur ses réseaux sociaux, Facebook et Instagram.
Propos recueillis par Camille Bonniou
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