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Rencontre avec Hubert Tassy, directeur général de la Saline Royale d’Arc-et-Senans

© Jack Varlet

Monument historique classé patrimoine mondiale de l’Unesco, la Saline Royale d’Arc-et-Senans doit sa revalorisation à son directeur général. À la tête de ce centre culturel de rencontre depuis 2015, Hubert Tassy ne cesse de proposer un programme culturel varié et de qualité pour satisfaire un public toujours plus nombreux.

Quel est votre parcours professionnel ?

Juste avant d’être directeur de la Saline Royale, j’étais secrétaire général d’une instance qui s’appelle Euromed. Elle regroupe 100 villes du pourtour méditerranéen et est présidée par le maire de Nice, Christian Estrosi. J’ai aussi été secrétaire général d’une autre instance qu’il présidait également ; Alpes Maritime fraternité. Cet organisme regroupait les trois religions monothéistes et avait été créé en 2007 pour que les communautés du département se parlent ! Ces deux charges ont été un parcours un peu particulier puisque j’ai été pendant 30 ans dans le domaine culturel. Précédemment j’ai été directeur de la culture de la ville de Nice et pendant plus de 20 ans délégué départemental à la musique et à la danse des Alpes Maritime. Enfin, en Avril 2015 j’ai été retenu pour devenir directeur général de la Saline Royale.

vue aérienne de la Saline Royale

Quelles sont vos principales mission en tant que directeur général et les enjeux auxquels vous faites ou avez fait face ?

La Saline Royale c’est à la fois un monument historique, un site patrimonial, un centre culturel de rencontre et un ensemble qui fait partie du patrimoine mondiale de l’Unesco. Il y a donc plusieurs réseaux importants. Le directeur général de l’établissement public (EPCC depuis 2009) est nommé sur un projet culturel ; il est choisi sur la nature de son projet. Il a 3 ans pour l’accomplir puis il est renouvelé ou pas. Personnellement j’arrive à mon troisième renouvellement. Juste avant que j’arrive, le conseil d’administration de l’établissement public avait constaté un effritement de la fréquentation ainsi qu’un désamour entre la population locale et la Saline Royale. Ces deux problématiques étaient comme une sorte de cahier des charges lors de mon recrutement. Je me suis donc attelé à cela. Lorsque j’ai débuté nous étions à 90 000 visiteurs par an et on est arrivé à 130 000 l’an dernier. On a aussi réussi à renouer avec la population locale en particulier avec un projet appelé Lux Salina qui faisait appel au bénévolat ; nous avons eu 900 bénévoles. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui ça peut paraître particulier, on était sur une pente totalement ascendante. Les mois de janvier et février ont été nos plus beaux mois en fréquentation depuis 10 ans. Et puis là évidemment on est coupés court en période de confinement donc on va devoir se réinventer !

Vos précédents métiers vous ont-ils aidé à accomplir ce cahier des charges ?

Oui tout à fait c’est même essentiel ! J’ai d’ailleurs été choisi lors du recrutement pour mes expériences. Surtout pour mon passé de délégué départemental car il était essentiel de savoir animer un territoire. Ça m’a beaucoup aidé ici car les Alpes Maritimes c’est à 90% un territoire rural donc j’ai retrouvé plus ou moins les mêmes problématiques. Il est vrai aussi que l’expérience que j’ai eu dans la ville de Nice en tant que directeur de la culture est utile au quotidien dans la gestion d’un établissement public. Surtout en cas de crise pour gérer les problèmes !

Maison du directeur © Georges Fessy

Étant à la tête d’une EPCC dans une région rurale trouvez-vous qu’il est difficile de mettre en place des choses visant à faire rayonner le patrimoine et l’histoire de la Saline pour attirer les visiteurs ?

Ce n’est pas forcément facile. À la fois il y a une grande fierté de ce patrimoine mais il existe aussi un désintérêt. Soit les habitants estiment qu’ils le connaissent suffisamment car ils l’ont vu enfant et ne souhaitent pas revenir, soit, et c’est plus grave, ils estiment que ce n’est pas pour eux ! J’ai déjà rencontré des gens habitant à 1km de la Saline et qui n’ont jamais osé franchir la porte. Il y a un vrai travail à faire pour chercher ce public-là. C’est ce que nous avons fait avec le projet Lux Salina dont je vous parlais. Ce spectacle est un mapping, c’est à dire une projections d’immenses images sur les façades impliquant la participation de bénévoles. Nous n’avons rien inventé, on a repris quelque chose qui marchait ailleurs et on l’a adapté. Les 900 bénévoles étaient très heureux de participer. Ils se sentaient concernés et par la suite nous les avons retrouvés lors d’autres événements à la Saline. Pour vous donner un exemple, dès mon arrivée, nous avons fait un vernissage d’exposition, il y avait une cinquantaine de personnes. Dernièrement, nous avons fait un vernissage pour l’exposition de photographies d’architecture, sujet un peu pointu, et pourtant nous étions 250 personnes ! Ce qui est également magnifique c’est qu’aujourd’hui on retrouve l’atelier de couture créé pour Lux Salina dans la fabrication de masque pour lutter contre le Covid-19. Les solidarités qui se sont créées à l’occasion de ce spectacle demeurent et c’est une vraie fierté.

Lorsque vous proposez un programme culturel, y a-t-il toujours un lien avec l’histoire du lieu et de la région ? Avez-vous des événements qui reviennent chaque année afin de fidéliser les spectateurs ?

Non justement c’est varié. Cela découle de ce que je vous disais précédemment. Pour intéresser les gens il faut être créatif et ne pas hésiter à aller sur des pistes qui ne seraient pas forcément celles d’un centre culturel pointu. Nous sommes en milieu rural et c’est important. Par exemple, en 2016 nous avons fait une grande exposition sur le monde d’Hergé suite à l’exposition du Grand Palais à Paris. Nous avons eu un nombre important d’entrées, c’était un public très familial. Cela m’a permis l’année d’après de proposer Luc Schuiten, connu dans le monde de la bande dessinée en partie via son frère François Schuiten. Il est beaucoup moins ‘popularisé’ qu’Hergé et pourtant nous avons eu 127 000 entrées ! Il faut savoir jouer à la fois vers le grand public, l’inciter à venir et lui faire comprendre qu’il est concerné. Chaque année je ne me limite pas au thème de la Saline qui serait ‘l’architecture au XVIIIème Siècle’. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’il y a eu déjà beaucoup de choses faites par mes prédécesseurs qui avaient beaucoup d’imagination ! Donc il faut ouvrir au maximum et se renouveler.

Musée Ledoux © Jeff Pachoud

Qu’en est-il alors de Lux Salina ?

Alors, effectivement ce spectacle a été récurrent pendant 4 ans puisque c’était un projet que j’avais décidé d’établir sur cette durée. Il correspond à une cinquantaine de spectacles en plein air, 30 000 spectateurs et 900 bénévoles. Nous l’avons arrêté cette année puisque nous arrivions au terme des 4 années. De toute façon on aurait été contraints d’annuler avec le confinement, donc c’est bien tombé. Maintenant nous avons la pression pour trouver autre chose puisque tous nos bénévoles ont envie que ça continue ! Cette année nous devions accueillir le cirque plume dans le demi-cercle pour sa dernière tournée. Actuellement nous ne savons toujours pas si ce sera possible au mois d’août.

Quel est le secret pour proposer un programme culturel touchant un maximum de gens et de générations ?

 Ça c’est mon métier ! Notre travail de médiateur culturel c’est de faire confiance à des personnalités artistiques. J’ai la chance d’en avoir connu beaucoup. Par exemple, j’avais commandé un opéra pour enfants à Bernard Kudlak, directeur du Cirque Plume, en 1990 donc on se connait depuis longtemps. Aussi, pour Lux Salina j’ai fait appel à Dominique Landucci, plasticien et scénographe. Il a beaucoup travaillé dans les quartiers difficiles à Strasbourg, à Lyon, à Nice… Je savais sa capacité à mobiliser les gens il a donc été indispensable dans le processus, c’est lui qui a fédéré tous ces bénévoles. Finalement je retrouve des collaborations et des fidélités artistiques ! C’est important d’avoir des ressources d’artistes capables de parler au public. L’idée c’est de ne jamais sous-estimer le public. Les gens sont tout à fait capables d’apprécier la qualité. Il faut imaginer que les spectateurs ont des capacités, il faut donc leur offrir des choses de qualité. C’est le talent de l’artiste qui fait le lien. Il ne nous reste plus qu’à faire en sorte que les choses se passent le plus professionnellement possible quel que soit le public. Il suffit d’être sincère et de proposer de la qualité.

Aujourd’hui, avec les nouveaux moyens de communication et donc de diffusion, il est facile de transmettre rapidement des informations. La Saline-Royale utilise-t-elle les réseaux sociaux ? Est-ce quelque chose qui fonctionne ?

Bien sûr ! On les utilise de façon importante. Encore plus durant une période de confinement : c’est essentiel puisque c’est le seul lien qui reste. Nous avons une jeune femme encore en formation à nos cotés qui est baignée là-dedans donc elle s’occupe de tous les réseaux sociaux. On est présents partout et on travaille beaucoup là-dessus, c’est indispensable.

Durant cette période de confinement justement, comment avez-vous géré la situation ? 

D’une part, nous avons les équipes jardins qui continuent de travailler pour le Festival des jardins qui devrait en principe ouvrir mi-juin. Donc pour le coup, le télétravail était évidemment impossible. Sinon, nous sommes très présents sur les réseaux sociaux. Il y a une newsletter hebdomadaire à destination de notre public. Nous avons aussi une newsletter interne pour notre personnel qui fonctionne très bien. Chacun partageait son expérience de confinement, des conseils lecture etc. Cela a permis de garder en contact les 60 salariés.

Jardins

Enfin, quels sont les futurs projets à venir pour la Saline ?  Et vous, à la fin de votre mandat, qu’allez-vous faire ?

Il y a principalement deux projets importants et un plus petit qui ont été lancés pour mon second mandat. Le plus important c’est Le cercle immense qui fait référence à une citation de Nicolas Ledoux, créateur de la Saline. L’idée c’est de réaliser son rêve de cité idéale. Il avait envisagé de faire un cercle complet à partir de la Saline royale. Son projet a été décrit dans un traité d’architecture. J’ai donc lancé l’idée de poursuivre son rêve. Bien sûr on ne va pas construire une ville mais seulement matérialiser par un ensemble paysager ce deuxième demi-cercle. Nous sommes actuellement très proches de la fin de ce dispositif puisque nous avons choisi nos collaborateurs ; l’agence Mayot & Toussaint associée au plus grand paysagiste français, Gilles Clément. On arrive enfin au projet définitif qui augmentera la surface de la Saline de 5 hectares. Le deuxième projet est plus structurel. L’idée est d’équiper le bâtiment à l’Est de ‘la maison du directeur’ en salle de spectacle. À l’étage nous prévoyons des studios d’enregistrement et de diffusion. Ces studios seront donc destinés à l’enregistrement de cours de maîtres, de masterclass, de musiques de haut niveau pour du e-learning. C’est un projet totalement dans l’air du temps vue la situation ! On a été retenus dans le cadre de ce plan pour obtenir une aide de l’état sur les projets innovants englobant la culture, le patrimoine et le numérique. Maintenant il faut construire les studios et la salle de spectacle, donc si tout va bien et que les chantiers peuvent démarrer, on devrait le commencer courant automne-hiver. Cela fera un énorme changement puisque c’est une salle de spectacle de 500 places qui va ouvrir ainsi que 5 studios entièrement équipés. Enfin, nous avons eu un budget européen pour renouveler entièrement le parcours de visite de la Saline avec un système de tablettes numériques. On pourra notamment, grâce à la réalité virtuelle, voir apparaître la Saline telle qu’elle était au XVIIIème siècle. Donc voilà beaucoup de projets qui permettent de répondre à votre deuxième question : je vais rester pour voir la conclusion de ces projets ! Le conseil d’administration a renouvelé par anticipation mon contrat de 3 ans en décembre. Voilà, c’était les projets avant confinement, à voir comment cela évolue. Ce sont des projets qui s’adaptent totalement à la situation alors je suis confiant.

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Propos recueillis par Charlie Egraz

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