Stéphane Moscato : “Je raconte le monde qui m’entoure, le carnaval perpétuel dans lequel on vit”
C’est avec humour et subtilité que le street artiste fait appel à l’humanité dans ses créations, qu’il conçoit dans une approche éphémère et participative, dans une réalité multiple du cadre urbain marseillais.
Stéphane, pour ceux qui ne te connaissent pas pourrais-tu te présenter ainsi que ton parcours ?
Bien sûr, je m’appelle Stéphane Moscato, STF pour faire court, j’ai un peu plus de 40 ans maintenant. J’ai d’abord eu une vie de saisonnier derrière des fourneaux avant de tout plaquer pour me consacrer uniquement à la peinture. Je crois que, avoir commencé tard, vers 30 ans, ça m’a permis de voir la peinture ou du moins d’aborder le mouvement différemment avec un peu de recul sur son histoire.
Pourquoi vouloir s’exprimer dans la rue ?
J’avais des choses à dire je crois. À l’époque, ce qu’on appelle le street art n’était pas à la mode et il était à la croisée de la scène punk/alternative dans laquelle je trainais. C’était une façon de s’exprimer, de transgresser, parmi d’autres. Et puis avec le temps, il me semble qu’en plus d’avoir des choses à dire je me suis mis à apprécier les coins chelous, les friches, les parties de villes en mutation. Je vis sur Marseille, la ville la plus propice à ce type de paysage urbain, et le fait de peindre ou de coller en ce qui me concerne dans des endroits comme Marseille, ça me donnait l’impression d’ajouter une touche organique au milieu de la dureté du support ou de la ville.
Comment décrirais-tu ton style, ta technique ? D’où viennent tes inspirations ?
Je crois que je ne sais plus depuis le temps et son évolution… Je crois que le style est indissociable de la technique. Je travaille au pochoir, c’est la seule chose dont je suis sûr. Mais ce n’est qu’un médium et qui, en plus, a très peu évolué en 30 ans d’histoire. Personnellement j’essaie d’en repousser ses limites dès que je peux, de chercher de nouvelles approches. Ceci n’est possible qu’en travaillant en atelier. Dès le début, le multi layer m’a vite saoulé et j’ai opté pour la découpe façon trait. Très tôt, j’ai aussi commencé à me servir des deux côtés du layer, ça me permettait un remplissage façon tampon avec plus de matière que l’aplat traditionnel. Je trouvais le rendu du pochoir très statique et cette nouvelle manière de faire adoucissait donc un peu le contenu. J’ai continué en atelier à développer des tricks comme ça. Le dernier en date c’est l’ajout de rouille par contact sur des parties précises du visuel. La recherche de supports m’a emmené assez rapidement vers la récupération d’affiches, les couvertures de livres entoilés. Bref, mon style c’est peut-être cette recherche-là. Sur le médium pochoir, mais aussi sur le visuel. Récupérer des images d’un photographe et faire un copier/coller n’est pas pour moi. J’ai un gros boulot de prépa, de sketch, avant la découpe. Puis comme je suis un peintre qui s’inscrit dans son temps, je raconte le monde qui m’entoure. Les gens, la jungle urbaine, la vie, le temps qui passe… le carnaval perpétuel dans lequel on vit, la “société du spectacle” comme l’a décrite un peu Guy Debord. Voilà mes inspirations.
Quant à l’extérieur c’est plus simple, je fais un travail d’affiche peinte en atelier ce qui me permet d’abord de faire un repérage en extérieur et d’adapter mon visuel à l’endroit où il va être collé. La forme n’est pas suffisante il faut que le fond s’y ajoute. Il m’arrive même de ne pas coller si je ne le sens pas…
Donc voilà, pour résumer, ma technique c’est le pochoir au service du collage. J’aime le support papier et encore plus dans la rue pour son côté éphémère. C’est primordial car je ne veux pas laisser une trace longtemps. C’est comme une métaphore de la vie. Sur toile avec des compositions mélangeant pochoir et récup d’affiches dans la rue ou chez JC Decaux.
Quelles sont les influences ?
Mes influences ont évolué depuis le temps, mais celui qui tient le cap haut la main depuis le début c’est Ernest Pignon Ernest. Juste, touchant, efficace. Il y a aussi toute l’iconographie punk/alternative, les fanzines, les pochettes de groupes, les affiches de concert… tu vois tout le truc. Raymond Petibon si je ne devais en citer qu’un. Et depuis le temps, j’ai appris à aller voir partout où il y avait des gens qui cherchaient des nouvelles façons d’aborder la peinture. Je peux craquer sur un tag énergique ou une peinture monumentale à la Katarina Grosse.
Tout au long de l’histoire, l’art et la politique ont été étroitement liés en raison de la position cruciale de l’art dans l’identité culturelle d’une société. Est-ce que tu utilises tes pratiques pour générer des messages ?
Oui on peut dire ça, même si cet angle-là me semble un peu orgueilleux. Personnellement, je n’arrive pas à la cheville d’un gars qui a peint et risqué sa vie dans un pays pendant le printemps arabe. Mais je ne fais pas de la déco non plus. J’essaie d’allier un visuel qui tend à l’universalité – avec la figure animale qui renvoie tout le monde à une iconologie universelle – avec un message en filigrane. C’est pour attirer l’attention du spectateur et pas pour qu’il se prenne le message en frontal. Si j’arrive à l’accrocher deux minutes et qu’il prend le temps alors le message devrait apparaitre. Stimuler la prise de conscience ou le débat dans l’espace public, c’est une manière de se le réapproprier.
Pourrais-tu nous parler un peu de tes derniers projets, quelles sont les commandes ?
Je suis dans une phase de réflexion en ce moment, donc de travail en atelier. Je suis sur l’après d’une session « rouille ». Très intéressante à maitriser sur papier, mais qui demande à être développée. J’ai des envies d’évolution alors je me laisse un peu de temps. D’ici la fin de l’année il devrait y avoir une expo en Suisse, mais il va falloir compter avec l’après Covid… je pense que des galeries vont fermer et qu’il va falloir imaginer de nouvelles façons de diffuser notre production. En attendant c’est bientôt la belle saison pour juste kiffer d’être en extérieur à peindre.
Quelle est la place de l’art urbain à Marseille, comment vois-tu son évolution ?
L’art urbain est riche sur Marseille même si on en n’entend peu parler. Le plus simple c’est de se promener autour de deux quartiers plutôt touristiques pour voir des créations. Car c’est une ville qui ne permet pas de se déplacer facilement. Alors que des belles pièces sont visibles sur toute la ville. Il y a peu de galeries pour faire la part belle aux artistes locaux et c’est un peu dommage. Les programmations restent toujours sur un street art assez normé en fait qui finit par épuiser son discours je trouve. Pour montrer l’étendue de la scène on a monté avec une équipe de copains un M.U.R à Marseille dans les quartiers Nord : Le Mur du Fond. Depuis, on a évolué dans la programmation en allant chercher des artistes à la marge du mouvement et en provoquant des cross over de techniques lors de résidences. Ceci est rendu possible par le lieu dans lequel on se trouve, la Cité des Arts de la rue. Quant à son évolution, je pense qu’elle est pareil que sur le reste du pays j’ai envie de dire. Constante et dans un bon état d’esprit.
Des projets en préparation ou en cours de réflexion, des envies ?
Des projets j’en ai plein, il me faudrait plus qu’une vie pour réussir à tout finaliser ! Me remettre à la sculpture, peindre différemment. Moins, mais mieux.
Découvrez le travail de Stéphane Moscato sur son site Internet
Propos recueillis par Eleftheria Kasoura
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