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Rencontre avec Lucie Albrecht, illustratrice et autrice de bande dessinée

© Lucie Albrecht

Si vous ne la connaissez pas encore, voici l’occasion de la découvrir. Cette jeune femme aborde la vie avec finesse. De ses illustrations délicates à sa première bande dessinée Bruits de couloir, Lucie nous fait découvrir un univers bien à elle qui ne vous laissera pas indifférent. 

Qu’est-ce qui fait ce que vous êtes aujourd’hui ? Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je savais très jeune que je voulais faire un métier artistique. J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui m’a encouragée à m’exprimer de la sorte. J’ai fait de la danse, de la musique, de la gymnastique, et je dessinais tout le temps. Au début, je faisais principalement du dessin réaliste en essayant de refaire le portrait des acteurs des Frères Scott, ou de mes chanteurs préférés.

J’ai passé mes années de lycée en internat pour suivre une formation d’arts appliqués. Après mon bac STD2A, je voulais faire de l’illustration, mais je n’ai pas été prise alors je suis partie en design graphique à l’ENSAA, puis j’ai retenté ma chance pour l’illustration. J’ai bien fait puisque cette année-là, j’ai été prise. Ces deux années en Diplôme des métiers d’arts avec option illustration ont été une vraie révélation, j’ai ensuite continué avec une formation en bande dessinée. Les intervenants qui nous donnaient cours étaient pour la plupart des auteurs de bd, après cela, je sentais qu’il était temps, même si je ne savais pas du tout dans quoi je m’embarquais, je voulais me lancer.

À travers vos illustrations, vous apparaissez très concernée par les questions du quotidien. Pourquoi avoir choisi cet art pour vous exprimer ? 

J’ai toujours été attirée par les histoires du quotidien, ce qui se passe dans la vraie vie me touche personnellement. J’adore l’idée qu’on puisse s’identifier facilement à un personnage ou une situation et qu’on puisse mettre en valeur une situation banale. Dans les histoires du quotidien, tu peux jouer avec les petits détails qui vont parler à tout le monde. 

Si ça ne tenait qu’à moi, je ferais vingt choses en même temps. Il y a un moment où je pensais pouvoir développer mon activité d’illustratrice en parallèle de la photographie. Mais on ne s’investit jamais à 100 % dans deux activités en même temps, ça devient anxiogène. Aujourd’hui, j’ai choisi de me concentrer sur l’illustration et la bande dessinée mais je prends toujours plaisir à m’exprimer dans d’autres domaines artistiques.

© Lucie Albrecht

Qu’est-ce qui vous inspire pour vos illustrations ? 

J’ai envie de dire tout. Musiques, films, expos, livres, une discussion avec une amie, un trajet en métro… Il y a trois ans, j’ai réalisé une série d’illustrations sur la télé-réalité. Ça m’est sûrement venu à l’esprit après avoir regardé “La villa des cœurs brisés” avec mes colocs. (Pas de jugement). Je pense que c’est un peu le problème avec nos métiers, c’est très difficile de déconnecter. Quoi qu’on fasse, on est constamment en train de penser et de réfléchir à un projet ou une illustration. Quand c’est un travail de commande, la démarche est un peu différente. Pour le visuel, c’est vrai que je m’inspire beaucoup des compositions de bandes dessinées, j’aime bien glisser du texte, des cases, faire des zooms sur certaines choses. 

Je suis, d’un point de vu général, très attirée par le rapport entre les gens, la société et tout ce qui a un rapport à la féminité et au corps humain. Les parties du corps sont assez significatives de nos actions et de nos émotions. On peut facilement s’en servir pour faire passer un message ou parler d’un sujet plus abstrait.

Qu’est-ce qui vous touche ? 

Tout ce qui concerne l’humain et qui raconte une histoire. Ce qui me touche, ce sont les détails dans le réel et les histoires qu’ils racontent. J’aime beaucoup interpréter les choses et y donner un sens. J’ai envie qu’on me montre des choses invisibles au premier coup d’œil. Qu’on me fasse rentrer dans l’intime et qu’on me raconte une histoire, un secret.

Avec la BD Bruits de couloir, vous présentez de manière très prenante la vie et les tourments d’adolescentes de 17 ans. Vous y abordez également le harcèlement sur les réseaux sociaux, un sujet qui touche la nouvelle génération. Qu’est-ce qui vous a amené à faire cette bande dessinée ?

Cette bande dessinée découle d’un projet que j’ai fait pendant ma formation en bande dessinée. Le premier projet de l’année était de réaliser un petit fanzine autobiographique sur l’amitié. J’ai décidé de parler de mes années à l’internat. C’est là que j’ai découvert la pièce sonore d’Emmanuelle Tornero intitulé Le Couloir, sur Arte Radio. Elle a enregistré des discussions de filles dans un internat. J’ai trouvé l’expérience sonore vraiment géniale et des images me sont venues en tête. L’internat, c’était vraiment une ambiance particulière et un bon terrain de jeu pour raconter une histoire. Bruits de couloir est né. Au début, je voulais parler du quotidien d’adolescentes, j’ai créé des personnages et des situations. Je voulais mettre en avant tous les questionnements de l’adolescence, le rapport au corps, à la sexualité, les amitiés toxiques. Tout ça dans l’ambiance de l’internat qui est un peu à l’image de l’état d’esprit adolescent. C’est un lieu sans adultes, ni parents, les filles se font leur éducation entre elles. La norme, c’est ce que les autres te racontent. Tu te sens faussement libre puisque tu es dans un endroit qui est très contrôlé et organisé. Il y a une heure pour tout, un mélange entre intimité et promiscuité. À l’image de l’adolescence, où tu n’es plus une enfant mais tu n’es pas encore une adulte.

© Lucie Albrecht

La notion du harcèlement scolaire s’est greffée plus tard. Je voulais aborder ce thème subtilement, en créant un personnage principal ambivalent. Quelqu’un que l’on déteste mais pour qui on a de la compassion. Je voulais que le lecteur se questionne, avec le point de vue du bourreau. Parce que la vie n’est pas toujours toute noire ou toute blanche. Dans mon histoire, Priscilla, qui a été harcelée dans son ancien lycée, utilise cette position de bourreau pour contrôler les autres et se protéger. Elle anticipe finalement ce qu’il pourrait se reproduire, en faisant des autres filles ses victimes.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont présents partout, tout le temps. La limite entre privé et public est aussi floue que celle entre l’enfance et la vie d’adulte à l’adolescence. Il y a toute cette notion de slut-shaming que je trouvais intéressant de développer. Une fille ne doit pas être trop prude mais ne doit pas en faire trop. Et c’est cette idée que Priscilla va utiliser contre les autres filles. Quand j’ai construit les personnages, ce n’était pas imaginable ou crédible de les faire vivre sans téléphone portable et qu’elles ne s’en servent pas pour accéder aux réseaux sociaux.

Quel impact attendez-vous de votre bande dessinée sur ses lecteurs ?

J’aime me dire que ça résonne différemment chez chaque lecteur. En dédicace, j’ai pu rencontrer des personnes assez différentes, de sexes et d’âges variés, je ne m’y attendais pas. Et c’était intéressant de voir que certaines filles avaient retrouvé l’ambiance de l’internat, que d’autres s’étaient reconnues dans le harcèlement, identifiées à un personnage en particulier, attachées à une histoire d’amour, ou que certaines étaient plus intriguées par les réseaux sociaux ou le graphisme. C’est toujours un plaisir d’avoir l’avis de chacun et de découvrir leur propre interprétation. 

© Lucie Albrecht

Avant la sortie du livre, j’ai réalisé une exposition des planches originales au Point Éphémère. L’idée était d’immerger le spectateur dans le livre, l’histoire et l’ambiance de l’internat. L’impact sur les lecteurs pouvait se faire visuellement, de manière sonore et par immersion. J’avais réalisé une grande fresque d’une chambre d’internat. On avait également disposé un lit, sur lequel on pouvait s’asseoir et écouter la pièce sonore Le Couloir, d’Emmanuelle Tornero. J’avais intégré de la réalité augmentée pour accentuer cette notion de réseaux sociaux et d’informations qui tournent très vite. D’ailleurs, les animations fonctionnent toujours dans le livre. Au début, je voulais créer quelque chose qui permette au lecteur de s’imaginer lui-même être acteur de ce harcèlement. Comme s’il envoyait lui-même la photo aux autres. On a réfléchi à une conversation WhatsApp ou quelque chose en bluetooth qui prendrait le contrôle du téléphone du spectateur. Malheureusement, la réalisation était un peu plus compliquée que mes ambitions. 

La période de confinement que nous vivons actuellement a-t-elle reconsidéré la vision que vous vous faites de vos créations ?  

Je n’ai pas vécu ce confinement comme un gros changement professionnel. J’ai l’habitude de travailler en freelance, et l’avantage c’est que je peux travailler de n’importe où. Actuellement, je travaille sur mon nouveau projet de bande dessinée qui, si tout se passe comme prévu, sortira courant 2021. Je ne dirais pas que ça a changé ma vision par rapport à mes créations, mais je vis cette période de flottement comme une opportunité de préparer la suite. Le confinement c’est un peu le pédiluve avant le grand bassin. Une période pour se débarrasser des futilités, se concentrer sur l’essentiel et être prêt à plonger quand la vie reprendra son rythme. 

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Propos recueillis par Marie Coindeau-Mattei 

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