Rencontre avec Zahia Ziouani : Cheffe parmi les chefs
Zahia Ziouani est une cheffe d’orchestre franco-algérienne, à force de travail et de détermination, elle a su se faire un nom dans un métier encore aujourd’hui très masculin. Elle nous parle aujourd’hui de son parcours.
Qu’est-ce qui t’a en premier lieu attiré dans le métier de chef d’orchestre ?
Mes parents n’étaient pas musiciens cependant ils étaient très mélomanes, j’ai grandi en écoutant Mozart et Beethoven. J’étais inscrite au conservatoire de Pantin. J’ai commencé par la guitare, puis j’ai compris que ce n’était pas un instrument présent dans les orchestres. J’ai donc entrepris la pratique d’un second instrument: l’alto, pour pouvoir intégrer l’orchestre. L’alto y a une place privilégiée, au centre et devant le chef. J’étais fascinée par ce dernier, qui donnait les indications et une certaine énergie que les musiciens lui rendaient. Ce métier était un rêve d’enfant.
Comment as-tu débuté dans le métier ?
Quand j’ai compris ce que je voulais faire, j’en ai parlé autour de moi, notamment à mes professeurs, bienveillants, qui ne manquaient pas de me rappeler que j’étais une femme, et que le métier de chef d’orchestre n’était pas un métier de femme, ils me conseillaient de plutôt me concentrer sur mes études. J’ai continué à en “rêver secrètement”. Je n’ai pas voulu abandonner. J’ai toujours eu le modèle de ma mère et de ma grand-mère qui sont des femmes combatives. J’ai continué de tenter de m’informer sur le métier et d’essayer de le découvrir par tous les moyens. J’ai assisté aux masterclass de Sergiu Celibidache. J’ai pu rencontrer son assistant, qui m’a présenté au maestro quelque temps après. J’avais seize ans et j’étais très intimidée. Il m’a dit que j’étais douée mais m’a expliqué que d’après lui les femmes manquaient de persévérance. Et il m’avait même dit : “les femmes n’ont jamais tenu plus de quinze jours dans ma classe”. Il est décédé lorsque j’avais 18 ans. Moi, je ne voyais toujours pas de femmes dans le métier. J’ai alors décidé de me lancer et j’ai créé Divertimento.
En tant que femme, est-ce encore difficile de se frayer une place dans le métier ?
C’était le cas il y a vingt ans et ça l‘est toujours aujourd’hui. Les orchestres institutionnels ne sont malheureusement pas dirigés par des femmes. Et le peu de femmes cheffes d’orchestre que nous sommes, nous avons toutes dû créer nos propres orchestres pour pouvoir exister. Donc j’ai le mien, mais je suis aussi chef d’orchestre invitée. Seulement, je n’aurais pas cette carrière si j’avais uniquement compté sur ces invitations. Notre expérience se voit brîmée. Si on ne créé par notre orchestre l’on n’a pas les mêmes clés en main que les hommes. Et ce n’est pas chose facile, le projet doit être viable. Pour Divertimento, ça a mis 20 ans.
Tu t’es montrée fortement impliquée dans la problématique d’accès à la culture pour tous les publics, notamment ceux des quartiers populaires. Que représente cette lutte pour toi ?
J’ai grandi à Pantin dans un quartier populaire, mes parents sont immigrés d’Algérie. Mes parents ont beaucoup investi en termes d’éducation, il étaient très curieux et sensibles à l’éducation. En obtenant les diplômes que je voulais, le métier que je souhaitais, j’ai réalisé que l’éducation et l’accès à la culture étaient fondamentaux. Avec Divertimento, je me suis demandé ce que je voulais faire, au-delà du simple fait de diriger. Et je me suis dit que tous les parents ne pouvaient pas forcément donner accès à la culture pour leurs enfants, et ce pour de diverses raisons. Je me suis dit que, s’ils ne pouvaient pas le faire, moi, je pourrais essayer. Les orchestres jouent toujours aux mêmes endroits, théâtre des Champs-Élysées, Philharmonie, Opéra… Ils ne se battent pas pour jouer à Stains ou dans n’importe quel autre quartier populaire. Je me suis dit, autant investir dans des endroits où ce serait vraiment utile. J’ai commencé par la Seine-Saint-Denis car c’est un endroit que je connais, puis l’on a pu se développer en Ile-de-France, et finalement, d’autres régions. Mais, je vais aussi jouer à la Philharmonie, je ne vois et ne fais pas de différence entre ces lieux, et j’aimerais que ce soit le cas pour tout le monde, c’est le message que j’aimerais faire passer. Mon engagement est de jouer de la musique symphonique sur tous les territoires, sans distinctions.
Peux-tu nous parler de l’orchestre que tu diriges, Divertimento ?
Quand Divertimento a été créé, je voulais que ça ait un sens et que ce soit utile. Amener les jeunes à être sensibilisés, à être impliqués. La notion de transmission pédagogique est importante. Il y a trois objectifs principaux à Divertimento : jouer de la musique sur tous les territoires, montrer et valoriser toutes les cultures du monde, et favoriser la place des femmes de façon équitable, s’engager pour qu’elles soient plus nombreuses dans la culture. Souvent les orchestres ne proposent qu’un seul type de musique, il n’y a que très peu de diversité. Je me suis moi-même beaucoup interrogée sur le mélange de cultures, en tant que Franco-Algérienne ayant une double culture. Beaucoup de compositeurs se sont inspirés de cultures d’autres pays, tout est influence, et on ne le sait pas assez. Le patrimoine de la France et de l’Europe s’est construit grâce à d’autres cultures du monde. Donc on peut entendre ce métissage chez Divertimento. J’ai aussi pour objectif de favoriser la place des femmes. Il y a parité dans l’orchestre. J’essaye par ailleurs de faire jouer plus d’œuvres de compositrices, souvent mises de côté. La place de la femme est aussi très fragile dans la société aujourd’hui. Beaucoup de femmes élèvent seules leurs enfants. Il est important qu’elle puissent avoir plus accès à la culture car elles ont une place prépondérante dans l’éducation des enfants.
Compte tenu de la conjoncture actuelle comment envisages-tu les mois à venir par rapport à tous tes projets dans le domaine du monde culturel ?
Moi qui ait beaucoup axé le projet sur le collectif et le partage, j’essaye de garder le lien avec mes élèves ; videos, ressources pédagogiques, faire en sorte que la musique reste présente dans leurs vies. Il y a quelque chose d’important qui a lieu avec cette pandémie, les plus grandes inégalités sont mises à nues. À Stains par exemple, les gens meurent plus, car c’est un territoire dense et très peuplé. Il y a bon nombre de caissiers, de livreurs, de personnes sans cesse exposées. Et, il se trouve que la France vient de se rendre compte que ces personnes existent. Cela me conforte dans ce choix d’avoir été présente sur ces territoires, quand les autres les ont toujours délaissés. Il faut trouver un moyen d’être en lien avec ce public.
Ton parcours est impressionnant, et, en tant que femme, racisée, issue de banlieue, tu es aujourd’hui un exemple pour beaucoup de jeunes filles, qui n’osent peut-être pas se manifester pour de diverses raisons. Quel conseil ou message pourrais-tu leur faire parvenir ?
Croire en soi. C’est facile à dire, tout au long de ma vie il y a eu beaucoup plus de gens qui ne croyaient pas en moi que l’inverse. Toute ma vie on m’a demandé de laisser ma place. Il ne faut pas laisser les autres décider pour nous, il faut se faire confiance, se fixer un objectif et tout faire pour y arriver. J’ai toujours beaucoup travaillé et je continue. Ce n’est que par le travail que ça marche. Lorsque l’on travaille on est rarement déçus.
Propos recueillis par Soraya Assae Evezo’o
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