A.I.L.O : “Une expérience de l’ombre à la lumière”
Ses installations, faites de matériaux élémentaires et de l’interaction entre lumière et obscurité, nous fascinent autant qu’elles troublent nos sens. Rencontre avec Anna-Eva Berge, plasticienne talentueuse à l’origine de A.I.L.O (Atelier d’Immersion Lumineuse et Obscure).
Quel est votre rapport à l’art, votre parcours artistique ?
Mon parcours est plutôt atypique, j’ai d’abord été comédienne pendant plus de dix ans et, suite à un événement bouleversant, j’ai ressenti le besoin de m’isoler, de former ma propre bulle artistique. De laquelle je ne suis d’ailleurs jamais sortie ! J’ai alors commencé à suivre différentes formations en autodidacte ; je m’exerçais au modelage, à la mosaïque, à la sculpture et c’est de cette façon que ma technique a évolué. Très vite, je me suis intéressée aux matériaux composites, à l’association entre les surfaces qui captent la lumière et celles qui l’occultent.
Dans vos œuvres, vous accordez une importance particulière à l’espace et à la présence du spectateur ?
Oui, en 2012 j’ai réalisé mon première projet en extérieur, cela me permettait d’être plus directement en lien avec le public, de désacraliser l’exposition qui sépare l’œuvre de son visiteur. Quand je suis à l’atelier, j’essaye, avant tout, de me positionner en tant que spectatrice ; je réfléchis aux processus optiques qui pourraient perturber ma vision du réel et ma stabilité. C’est extrêmement encourageant de constater, qu’ensuite, mes impressions sont partagées avec le public !
Avec vos productions, vous cherchez donc à déconnecter le spectateur de sa réalité, à provoquer une distorsion du réel ?
Je pars de l’idée que le quotidien peut être parfois éprouvant, du simple fait qu’il implique une routine monotone. Avec mes installations, j’ai envie de susciter des émotions puissantes, de partager cette bouffée d’adrénaline que moi-même je ressens lorsque je crée.
Êtes-vous, en quelques sortes, dans la lignée des surréalistes ?
Ce n’est sûrement pas volontaire… Je me renseigne toujours après coup ; je me sens plus proche du mouvement de l’art cinétique et, si je ne cesse de me référer à ce qui a été déjà fait, cela a un côté assez écrasant. J’essaye de me fier à mes propres inspirations, aux sentiments qui me traversent, je pense qu’il faut rester humble dans son travail ! L’unique intérêt de continuer c’est de savoir que ce sont mes émotions personnelles qui, seules, composent mon œuvre. C’est d’abord une affaire d’instinct, de ressenti, que je veux transmettre aux spectateurs. C’est souvent pour cela que je n’utilise pas de textes explicatifs.
Vous jouez souvent avec des aspects contradictoires, la lumière et l’obscurité, l’invisible et le palpable, pourquoi cela ?
Oui, mon travail se fonde sur la contradiction. Les mondes de l’ombre et de la lumière sont, certes, opposés mais se retrouvent finalement très complémentaires. Il y a également le rapport de dualité entre des matériaux tels que l’acier, très opaque, et le verre, plus translucide. En travaillant sur les volumes et sur la géométrie de l’espace, je cherche à faire apparaître des lignes infinies. Cela revient à provoquer des émotions contrastées, avec le miroir, qui par sa fragilité, effraie, et l’acier, qui par sa force, impressionne. Chacun des matériaux accompagnent différemment le faisceau lumineux, je suis en perpétuelle réflexion !
C’est pour cette raison que vous utilisez principalement des surfaces réfléchissantes ?
Oui, notamment le miroir mais aussi le PVC, l’aluminium, l’inox… L’idée que la lumière n’existe que parce que tel matériau reçoit tel faisceau de lumière me fascine ; il y a comme une sorte d’aura qui se dégage des surfaces réfléchissantes. En jouant sur cette recherche là, sur l’identité spécifique de chaque matériau, je me sens plus grande. Le miroir, dans l’œuvre Diffraction, saccade la vision, dans Composer, il donne une sensation de vertige.
Vous vous adaptez constamment aux lieux qui accueillent vos sculptures ?
Effectivement, la position du vidéo projecteur est toujours reconsidérée puisqu’elle détermine la direction des faisceaux de lumière. Qu’il s’agisse d’une chapelle ou d’un centre d’art, chaque espace a son empreinte et incite au renouvellent de mes créations. Un événement est l’occasion d’un dialogue nouveau entre espace et lumière.
Constatez-vous que vos techniques évoluent dans le sens du numérique ?
Oui mais cela reste dans la continuité de mon projet artistique. Fabrice Leroux, mon collaborateur, m’apporte beaucoup en termes de vidéo-mapping et de projections numériques ; il conçoit également les univers sonores. Chaque artiste contribue de sa sensibilité et cela enrichit particulièrement mon travail.
Finalement, est-ce que les contraintes de confinement favorisent votre créativité ou la refrènent ?
C’est davantage frustrant ! Plusieurs projets, à l’exemple du programme Culture Santé auquel je participais, ont subitement été interrompus. Je suis habituée à être isolée pour créer mais, en ces temps de crise, j’ai du mal à faire ma promotion sur les réseaux, je préfère me projeter au-delà !
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Propos recueillis par Jade Vigreux
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