“Kadoc” au Rond-Point, la folle absurdité du travail
Écrite par Rémi de Vos, la pièce est emportée vers une turbulence foutraque dont Jean-Michel Ribes a le secret. Servi par des comédiens talentueux et campé dans une scénographie pétaradante, ce dézingage du monde du travail est tout en drôlerie percutante.
Trois couples se croisent sur le plateau à deux niveaux, celui-ci permettant d’assister à des scènes sur le lieu de travail ou à domicile dans une fluidité qu’offre un escalier. Les uns et les autres vont le monter ou le descendre, non sans l’utiliser à des fins comiques et judicieuses, les unes y allant d’un savoureux déhanchement, les autres y imposant leur sens de la domination marche après marche. Les hommes de ces couples travaillent tous trois dans la même entreprise. Mais les rapports hiérarchiques, les rêves d’augmentation de salaire, le stress et le surmenage, bref le lot du monde de l’entreprise rejaillit à haute dose dans la vie privée. L’auteur, qui a déjà plusieurs fois abordé ce thème d’écriture, notamment avec Débrayage, y revient cette fois sous l’angle clairement absurde et déjanté, porté jusqu’à la crise de nerfs.
L’observation piquante de Rémi de Vos a cette particularité de mêler savamment les réalités de l’entreprise à celles de la vie du couple, les deux plans s’alimentant, s’influençant et s’exacerbant. Il fallait pour cela trois couples bien distincts et hauts en couleur, ce qui est grandement réussi grâce à une formidable distribution. Le couple dont le mari est le chef de bureau vit un enfer à domicile du fait de la fragilité nerveuse de l’épouse qui enchaîne les insultes scatologiques et les chouineries d’une enfant. Jacques Bonnaffé et Marie-Armelle Deguy incarnent irrésistiblement ce duo qui déclenche rire sur rire. Les époux Schmertz, plus jeunes et formés par Caroline Arrouas et Yannik Landrein, suscitent à merveille un comique de compassion tant ils sont dépassés par le monde cruel du travail. Et le troisième couple, avec Anne-Lise Heimburger et Gilles Gaston-Dreyfus, est extraordinaire de carriérisme grotesque et assumé, qu’enrobe avec piment, malice et sex-appeal la comédienne.
Le monde du travail, avec ses codes de compétition et de pression, peut rendre fou et faire perdre les notions d’humanité élémentaire. La pièce en est une démonstration impeccable. Elle prend au fur et à mesure de son avancée un aspect comique de plus en plus accentué. Le démarrage propose un mode un peu lent puis la machine s’emballe et le final, après une montée rythmique, déclenche des rires francs. La ligne d’ensemble est à l’image de cet univers cruel, on ne s’en méfie pas et quand on est pris dans la machine il n’y a pas d’autre issue que l’humour outrancier et absurde, qui va jusqu’à baisser au sens propre son pantalon et tutti quanti. Avec cette équipe complète de talent, chaque détail de jeu, de costume, de scénographie et de situation est mené rondement et alertement pour un public qui pourra rire et se défouler sans compter.
Émilie Darlier-Bournat
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