L’œuvre-source d’Anne Teresa de Keersmaeker, par la nouvelle génération de Rosas
Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich est une œuvre on ne peut plus centrale de la danse du XXe siècle. Anne Teresa De Keersmaeker y jette les bases de toute son œuvre. Un retour aux sources, un passage obligé, une pièce qui n’a pas pris une ride, transmise à une nouvelle génération.
Pendant 36 ans, la chorégraphe bruxelloise n’a cessé de danser elle-même ce solo, d’évoluer avec lui et de faire évoluer son interprétation. Étudiante à New York, Anne Teresa de Keersmaeker a vingt ans (on est en 1982) quand elle crée un solo qu’elle interprète elle-même sur Violin Phase de Steve Reich, le Pape américain de la musique répétitive.
La danse savante d’une petite fille
Ici, et dans les duos qui l’accompagnent, elle transpose en danse le principe musical de Reich, avec ses lignes répétitives et les petites variations qui créent des structures en perpétuelle redéfinition. Quand De Keersmaeker applique ce principe à la danse, le mouvement génère un art de l’abstraction où la forme parle par elle-même, où l’apparente simplicité des structures contraste avec la forte énergie cinétique et mentale. Ce contraste crée l’émotion, des sensations les plus fines à une sensation de rébellion.
Le vocabulaire qui construit les différentes parties de la soirée est proche d’actions du quotidien comme marcher, courir, ou sautiller. La chorégraphe dit elle-même de son propre solo sur Violin Phase, que cette danse ressemble aux mouvements d’une petite fille. Mais l’esprit enfantin n’empêche en rien qu’il s’agit d’une danse savante. Dans sa rotation et ses mouvements pendulaires, la danseuse dessine avec ses pieds une rosette dans un sol couvert de sable. Les traces évoquent une rosette et ce dessin a donné le nom de la compagnie, aujourd’hui célèbre dans le monde entier : Rosas.
Une œuvre-étoile (fixe)
Depuis quelques années, De Keersmaeker a entrepris la transmission de ses grandes pièces des années 1980 et 1990 à une nouvelle génération d’interprètes. De cette série, on a pu dernièrement se régaler avec A Love Supreme, sur la musique de John Coltrane. Mais dans chaque pièce de la Bruxelloise, ancienne comme Rosas danst Rosas ou récente comme 3 Abschied ou Zeitigung, on retrouve le rapport à la musique, à la fois instinctif, organique et très organisé et systématique, qui crée la dynamique intérieure de ses créations.
Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich est aujourd’hui, comme Rosas danst Rosas et A Love Supreme, dansé par un groupe désormais rompu à l’exercice de la réinterprétation sous l’égide de la chorégraphe. Le mouvement circulaire dans Violin Phase apparaît aujourd’hui telle une étoile fixe, au centre d’un univers cohérent et toujours en expansion. Le retour aux sources et aux racines de l’art de cette chorégraphe d’exception est un passage obligé.
Thomas Hahn
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