“Forums” au Vieux-Colombier, la vulgate contemporaine
Le spectacle est un condensé des échanges qui s’exercent chaque jour virtuellement. Les conversations qui ont lieu par le biais d’Internet sont répercutées sur le plateau par une équipe de sept comédiens, interrogeant ainsi la réalité individuelle qui se dissimule derrière chaque internaute.
La mise en scène est de Jeanne Herry, réalisatrice pour la télévision et le cinéma, dont le film Pupille sur le thème de l’adoption est sorti en 2018. Observatrice attentive de son époque, avec Forums elle se concentre sur le langage et la communication immatériels véhiculés par les foisonnements de sites. Les personnes qui conversent de cette manière se cachent derrière des pseudonymes parfois fantaisistes ou plus ou moins indicateurs de leur singularité. Selon l’orientation des forums, elles viennent parler de soucis d’ordre pratique, de difficultés plus personnelles parfois graves, elles sollicitent aussi des réponses ou viennent en aide à d’autres internautes, le champ des thématiques étant illimité. Les apports technologiques facilitent les conversations, ils libèrent la parole grâce à la rapidité, à la dissimulation physique et à l’aspect direct du propos sans les conventions habituelles de l’écrit. Mais inversement, l’absence de lien réel, la possibilité évidente du mensonge, l’abandon de toute formule de politesse ou bienséance posent d’autres questions.
Désireuse d’ausculter ces multiples facettes de la communication contemporaine, Jeanne Herry opte pour une mise en scène où se succèdent des dizaines d’internautes dans des séquences à durée variable, montrant des solidarités réelles qui s’instaurent tout autant que des déchaînements d’agressivité ou de grossièreté. Les uns souffrent de solitude, les autres sont en famille mais ont besoin de ces échappatoires pour se livrer à des fantasmes enfouis. Pour garder l’exactitude des propos, les émoticones censés apparaître sont parfois énoncés par le comédien ou la comédienne, et les fautes d’expression sont à elles seules les reflets de la personne qui existe derrière la machine. L’apport théâtral provient du fait que l’on peut visualiser chaque internaute tandis qu’il poste un message, dans quel contexte, dans quelle humeur, en quelle présence. L’écart peut être grand entre ce qui s’écrit dans le forum et la réalité du moment tandis que s’exprime l’internaute. Les propos s’en trouvent parfois reçus différemment, la détresse des uns est accentuée, l’ennui est souligné, les appels à l’aide ou la volonté de créer des solidarités prennent une autre dimension.
L’ensemble qui s’étire sur deux heures donne une juste représentation de ces modes d’échange, sans toutefois nous surprendre par un angle spécifique. La tonalité d’un réalisme objectif a trouvé son tempo et les comédiens s’y glissent avec talent, reste le poids d’un aspect répétitif de ces communications que l’on connaît déjà. Le public rit cependant quelquefois, grâce à des situations cocasses et des dialogues ici écrits par un trio d’auteurs qui témoignent de l’aspect déconcertant des forums.
Émilie Darlier-Bournat
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