“Celui qui tombe” : Yoann Bourgeois défie la gravité
Le spectacle phare de Yoann Bourgeois revient sur le devant de la scène, au Centquatre-Paris, dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville. Le chorégraphe circassien y fait tourner une énorme plateforme suspendue, déstabilisant six danseurs par la force centrifuge. Un véritable thriller chorégraphique et circassien. Avec force et poésie, il rappelle certains drames de notre époque.
Yoann Bourgeois pense tous ses spectacles en visant l’envol et la légèreté, face à la gravité. Dans Celui qui tombe, le co-directeur du Centre Chorégraphique National de Grenoble met en scène trois femmes et trois hommes, tel un échantillon de l’humanité ou des survivants d’un cataclysme. Sur une énorme plateforme, suspendue et mobile, ils tentent de tenir debout, de s’accrocher, de ne pas sombrer. Leur radeau tourne de plus en plus vite, jusqu’à ce que le défi devienne intenable. Sur leur petit carré de 6 mètres sur 6, la force centrifuge est d’une puissance diabolique.
Ce carré suspendu peut s’incliner, monter ou descendre, trembler ou tourner à grande vitesse. S’il paraît léger, il pèse pourtant 1 800 kg et est équipé d’un moteur à grande puissance. La menace va au-delà du visible. “Nous venons de passer de 55 % de la capacité du moteur à 57 %”, déclara Bourgeois après la première. Depuis ce soir en 2015, cette construction inouïe a beaucoup tourné, dans tous les sens du terme.
Le carré tourbillonnant avec son groupe de passagers paraît aujourd’hui comme la version XXL de certains des fameux “dispositifs” de Bourgeois qui investissent les espaces les plus fabuleux, jusqu’au Panthéon. Le Centquatre-Paris n’est pas en reste, même pas en ce qui concerne sa portée symbolique. Avant, on y fabriquait des cercueils. Aujourd’hui, on y crée de l’art. Mais il est vrai que, avec sa mise en scène d’une lutte pour la survie, Celui qui tombe y prendra un sens dramatique supplémentaire.
Le pas de six tourbillonnant est secoué par des forces capables d’atteindre la puissance d’une tempête, d’un naufrage ou d’un tremblement de terre. Pour résister, il faut accomplir une vraie performance physique et sociale et, au passage, circassienne. Yoann Bourgeois aime tester les limites physiques des protagonistes qui, dans cette épreuve centrifuge, risquent de se faire éjecter du plateau. L’entraide est la seule chance de survie.
Bourgeois joue ici avec les images du cirque à l’ancienne, avec le frisson créé chez le spectateur par le danger physique mis en scène sous le chapiteau. Il est un innovateur de l’art de la piste particulièrement habile et érudit, capable d’en inverser tous les codes. Mais il est possible qu’il ne croyait pas viser aussi juste et que ce spectacle résonne aujourd’hui avec plus de force encore. Car, depuis 2015, beaucoup de personnes fuyant la misère et la guerre ont trouvé la mort dans les vagues de la Méditerranée. Voyons donc quelles sortes de vagues Celui qui tombe déclenche en 2020 !
Thomas Hahn
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