Neuf mouvements pour une cavale, la ruralité au TCI
Le spectacle narre la fuite d’un éleveur en Saône-et-Loire, alors que gendarmes et contrôleurs sanitaires lui ont donné l’injonction de tuer une partie de son cheptel. Avec la mort de ce paysan, c’est tout un univers dont l’auteur veut montrer la lente disparition, voire le lent assassinat, opéré selon lui par un système politico-économique.
L’idée de Guillaume Cayet, auteur de Neuf mouvements pour une cavale, est née d’un fait divers survenu le 20 mai 2017. Ce jour-là, Jérôme Laronze est abattu dans le dos par des gendarmes alors qu’il est sur son tracteur et tourne dans les environs de sa ferme, refusant de se soumettre à l’ordre de tuer ses bêtes. Le thème est donc celui de la répression policière non pas dans les banlieues ou dans les zones dites sensibles comme c’est souvent le cas, mais en milieu rural. Le propos, s’il a été traité au cinéma, est peu présent sur les plateaux de théâtre et c’est clairement un engagement contre « l’Europe des marchés » que la metteure en scène Aurélia Lüscher partage avec l’auteur.

© le désordre des choses
Le refus d’obtempérer de Jérôme Laronze a duré neuf jours. Neuf jours durant lesquels il reste seul dans son tracteur, assumant de désobéir à un ordre. Pour cette prise de position, il a payé de sa vie. Ce sont les étapes capitales de ce drame qui sont auscultées dans le spectacle par la sœur de l’éleveur, interprétée par Fleur Sulmont, dont le jeu déterminé et soutenu atteint les spectateurs. Le monologue est découpé en neuf séquences indiquées par une simple inscription sur l’écran noir. C’est avec un choix minimaliste et en réalité dominé par l’immobilisme, que l’on suit l’éleveur à travers la voix de sa sœur. Le plateau est nu, hormis un tabouret, et seuls quelques témoignages en voix off viennent interrompre le monologue. Le spectacle est à rebours du mouvement et de la cavale, il donne les clés, il transmet, il informe, il donne voix à un paysan dont l’histoire tragique est bien celle d’un de nos contemporains, broyé silencieusement par les règlements administratifs et leurs exécutants.
Les législations européennes, les obligations de mises aux normes, les techniques de puçage des animaux, les inspections sanitaires, les ordres de labellisation, innombrables sont aujourd’hui les carcans que l’auteur nomme “l’agro-business”. Le monde agricole devenu une industrie se voit encadré par un verrouillage bureaucratique relayé par les forces de l’ordre. On est bien loin des vaches, ici les Limousines, et de l’image idyllique du monde champêtre. C’est cette brutalité que le spectacle donne à saisir et qui impose avec des mots justes, nets, sans pathos, une prise de conscience de l’ampleur de cette catastrophe écologique et humaine. Pour inscrire son propos dans une notion politique plus large qui concerne tous les citoyens, l’auteur imbrique la désobéissance de Jérôme Laronze à l’histoire d’Antigone, et il cale ce tragique faits divers sur une énumération de noms connus, tels que Malik ou Wissam, morts “pour s’être opposés à un ordre politique”.
Emilie Darlier-Bournat
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