Nous pour un moment ou la vie liquide à l’Odéon
Immergés dans une somptueuse scénographie envahie d’eau, les personnages du Norvégien Arne Lygre passent leur temps à rechercher la compagnie des autres en ayant peur de l’extérieur. Un spectacle glacé comme les icebergs de Norvège et à l’élégance fébrile, signé Stéphane Braunschweig.
Silhouettes sur un lac
Les personnages d’Arne Lygre n’ont pas de nom. Ami, ennemi, relation, personne sont leurs seuls attributs pour cet auteur qui travaille selon des images mentales et les relations qu’entretiennent les individus avec les autres. Dans la belle scénographie de Stéphane Braunschweig, Virginie Colemyn et Chloé Réjon traversent l’étendue d’eau noire du plateau pour venir s’assoir prudemment sur une chaise en fer blanc. Les mots « personne » et « amie » s’impriment sur le bleu piscine de la paroi murale qui sert de décor, le spectateur est donc informé de leur relation, tandis que s’ébauche une conversation impressionniste entre les deux femmes. Un mari qui s’en est allé, l’amie qui devient sa nouvelle maîtresse, les sentiments contradictoires de compassion, de haine, de tristesse ou de regret émaillent les échanges, quand survient une autre personne.
Sur l’échiquier de la vie
Le comédien Jean-Pierre Vidal vient prendre place sur une chaise identique, et les comédiennes basculent soudainement dans un autre personnage. Anne Cantineau, Pierric Plathier, Glenn Marausse ou Cécile Coustillac seront aussi les partenaires de ces échanges mouvants sur l’eau, qui s’efforcent d’affirmer leur amour, leur amitié, leur vérité tout en paraissant se dérober à l’image que l’autre a de lui-même. Comme pour mieux brouiller les pistes, l’auteur mélange parfois le discours direct à l’indirect, et la distanciation à la Duras provoque une suspension de la perception du spectateur. Qui parle ? Pourquoi une telle insistance ? Est ce par les mots seuls qu’on existe vraiment ? Ou les mots ne sont-ils qu’une parure, une carapace pour mieux se cacher ?
Accidents de route
Ce qu’on comprend finalement, derrière le blanc clinique des chaises et le noir abyssal de l’eau qui envahit la scène, est que tous ces êtres ont traversé des traumatismes, ruptures, viols, accidents de vie, maltraitance, et que derrière leurs phrases, leur mystère, leur franchise provocantes, leur détour, se cache une souffrance qui les fait dériver vers un ailleurs un peu schizophrène, un refuge entre le réel et le rêve. A ce jeu entre retenue et impulsion, tous les comédiens sont remarquables. Entre froideur et magnétisme, un voyage surprenant qui ne peut laisser indifférent.
Hélène Kuttner
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