Hip hop, Baroque, Maroc : les voyages dansés de Mourad Merzouki
En cette fin d’année, le recordman de la danse urbaine investit Paris avec Folia, une fresque joyeuse où le hip hop déclare son amour au ballet et à la musique baroque. En même temps, la 7e édition de son festival Kalypso se déroule en région parisienne, où Merzouki reprend son voyage marocain, Danser Casa.
Les temps sont révolus où la danse hip hop avait à souffrir d’un manque de reconnaissance artistique. Révolus depuis longtemps. Heureusement. La danse dans son ensemble en profite largement puisque les chorégraphes de danses urbaines ont enrichi et dynamisé le paysage chorégraphique comme nuls autres. Ils s’épanouissent, se diversifient et ne cessent d’investir de nouveaux territoires. Depuis trois décennies, Mourad Merzouki est leur pionnier principal, et ce surtout depuis qu’il créa sa compagnie, Käfig, et plus tard, le spectacle Récital, aujourd‘hui un classique du hip hop d’auteur et l’une des pièces les plus jouées de l’histoire de la danse, tous genres confondus.
Les B-Boys portés par Vivaldi
Folia est sa création la plus récente. Où il nous prouve qu’il sait toujours être là où on ne l’attendait pas. À savoir, aujourd’hui, en occupant la place du grand spectacle féerique et enchanteur pour les fêtes de fin d’année. Au programme : quarante-sept représentations au 13e Art, l’un des théâtres les plus récents de Paris, jouées en continu jusqu’au 31 décembre. Voilà qui lance Merzouki sur l’orbite de la plus longue séquence de représentations parisiennes, jamais vue pour un spectacle de danse. Évidemment, il s’agit d’un pari. Mais Folia réunit trois arts des plus populaires : la danse urbaine, la danse classique et la musique baroque.
Sur le plateau, huit musiciens partagent leur joie et leur énergie avec quatorze danseurs hip hop et deux danseuses classiques, sur des tarentelles napolitaines baroques et des œuvres de Vivaldi. « Les danseurs nous donnent leur énergie et nous leur donnons la nôtre », confirme Franck-Emmanuel Comte, le chef d‘orchestre et directeur de l‘ensemble Le Concert de l’Hostel Dieu qui collabore ici avec Merzouki et les danseurs. Tout forme ici un ensemble harmonieux: Les costumes, librement inspirés de l‘époque baroque, les décors chauds et oniriques, la danse et la musique. Cette fresque apporte du rêve et du bonheur, de la chaleur et de l’ouverture, par un dialogue festif et très inspiré entre des mondes apparemment opposés.
Danser Casa : Retrouvailles
La danse hip hop sait échanger avec tous les arts et tous les univers. Mourad Merzouki n’est pas le seul à avoir ouvert des voies vers d’autres musiques et disciplines artistiques. Et son ancien compagnon Kader Attou a également fait danser sa compagnie Accrorap sur des musiques classiques, indiennes et tant d’autres. C’est par ailleurs Accrorap que Merzouki, Attou et d’autres amis d’enfance avaient créé il y a trente ans. Depuis un peu plus de vingt ans, Merzouki dirige sa propre compagnie, et chacun des deux a pris la direction d’un Centre Chorégraphique National (Attou à La Rochelle, Merzouki à Créteil).
En 2017, les deux se sont retrouvés dans un projet partagé, avec de jeunes danseurs hip hop marocains. Danser Casa, créé en 2018, est une porte ouverte aux B-Boys de Casablanca et autres métropoles marocaines à parler de leur quotidien et de leurs rêves. Cette vie, c’est entendu, n’est pas tous les jours facile, au contraire. Mais Danser Casa donne à ces danseurs une possibilité inespérée de s’exprimer et de se professionnaliser, de participer à une belle aventure artistique et humaine… Au résultat, cette pièce est empreinte de liberté, de joie, d’ouverture et d’optimisme, portée par l’énergie individuelle et un esprit collectif qui se transmettent au spectateur.
Pour les vingt ans de Käfig, Mourad Merzouki avait par ailleurs créé Cartes Blanches, une pièce également au programme du festival Kalypso, pièce où l’on voit revenir à lui des personnalités qui ont traversé et écrit l’histoire de la compagnie. Ces interprètes d’exception se retrouvent dans un salon, comme pour échanger leurs souvenirs. Et ils ne se privent pas de cette occasion, avec une poésie et une douceur, une virtuosité et une maturité qui forcent l’admiration. Dans leur ensemble, ces trois pièces de Merzouki (avec Kader Attou pour Danser Casa) montrent comment la danse hip hop sait investir le rêve, la recherche, la rencontre et le regard sur son histoire. C’est tout simplement réjouissant.
Thomas Hahn
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