La Vie de Galilée : Philippe Torreton remet la Terre en place
Dans La Vie de Galilée, Bertolt Brecht raconte la vie tumultueuse du savant italien du XVIIe siècle et ses difficultés à transmettre la réalité de ses découvertes dans une époque encore gagnée par l’obscurantisme religieux. Philippe Torreton s’empare de ce rôle et en donne une interprétation magistrale dans la mise en scène éclairée de Claudia Stavisky à La Scala.
Abolir le ciel
Il en fallait, du courage, pour persévérer envers et contre tout, au tout début du XVIIe siècle, en 1609, pour remettre en question l’entière construction de la galaxie établie par Aristote et Ptolémée dans laquelle la Terre était au centre du monde et les autre planètes suspendues à la voute céleste comme des orbes de cristal. Comment ? Grâce au perfectionnement d’une lunette qui était utilisée comme un jouet, importée de Hollande, pour grossir jusqu’à trente fois la voûte céleste. Il découvre ainsi, avec la patience d’un génial chercheur, que la galaxie est constituée d’un amas d’étoiles qui ne tournent pas autour de la Terre, avec des liaisons de cristal, mais qu’elles obéissent toutes à une mécanique de satellite particulière dont le soleil, comme l’a découvert Copernic, est bien le centre. Comment expliquer aux hommes que notre planète n’est plus le centre du monde et qu’il en existe plein d’autres ? Comment convaincre l’Église que ces découvertes sont révolutionnaires, quand c’est Dieu lui-même qui a tout façonné et que le système est immuable depuis la première Bible ? Difficile en plus d’en livrer des preuves.
Un héros hugolien
De cette histoire passionnante qui fait de la science un enjeu majeur de la société, Bertolt Brecht compose un feuilleton épique, didactique et vivant avec une brochette de personnages qui vont des paysans aux plus hauts dignitaires du Vatican. Le combat de Brecht – le texte est écrit en 1938 au Danemark – est celui d’un auteur engagé dont le personnage, un bon vivant, est un scientifique, un humaniste, plongé dans son époque et soucieux des autres. Un homme qui sauve sa peau, aussi, en reniant devant les menaces de la torture ses théories. L’héliocentrisme ne pourra donc être enseigné dans des pays de culture catholique. Heureusement, dans la pièce, son jeune élève, Andreas, sauve les écrits et les fait publier en Hollande. Philippe Torreton s’est fait pour l’occasion une tête à la Victor Hugo, barbe grise et grands yeux enflammés. Habillé d’une blouse de lin ocre (décor et costumes de Lili Kendaka), l’acteur irradie tout simplement dans un rôle énorme qu’il habite de sa générosité, de son énergie et de sa pédagogie à toute épreuve. Infatigable sur la scène durant près de trois heures, il explique, démontre, s’énerve, fulmine et se révolte.
Décor unique pour un théâtre d’idées
L’espace est un haut cabinet de sciences, aux murs épais et sombres, troué d’une fenêtre en forme de meurtrière où règne en maître exigeant et absolu Galilée-Torreton. Il y a là son jeune élève Andreas, incarné par le formidable Matthias Distephano, puis plus tard par Benjamin Jungers toujours épatant. Nano Garcia incarne sa mère, Madame Sarti, avec beaucoup de justesse, et Marie Torreton (la fille de l’acteur) la fille du physicien. Il y a au centre de la scène une grande table, le cœur des expériences que Galilée ne fait qu’avec des pommes ou de l’eau. Tous les comédiens, de Michel Hermon qui joue le Grand Inquisiteur à Guy-Pierre Couleau, que l’on retrouve avec plaisir dans le rôle du Doge, en passant par Gabin Bastard, Frédéric Borie, Alexandre Carrière ou Maxime Coggio, sont épatants d’engagement et de clarté. La mise en scène de Claudia Stavisky est destinée à tous les publics, par l’intermédiaire d’un théâtre d’acteurs qui raconte le monde avec une simplicité lumineuse et puissante.
Hélène Kuttner
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