Why ? aux Bouffes du Nord, le théâtre en question via Meyerhold
A 94 ans, Peter Brook cosigne avec Marie-Hélène Estienne un hommage au théâtre et à un de ses défenseurs les plus engagés, le russe Meyerhold. En une heure, deux actrices et un acteur s’interrogent sur le pourquoi du théâtre et sa fonction puis honorent ce metteur en scène qui révolutionna le dispositif scénique dans une optique que Peter Brook lui-même a repris et développée.
Les trois acteurs sur le plateau sont vêtus de noir, baskets de même ou blanches, sans maquillage, dans un espace quasi vide, qui fait écho au célèbre essai de Peter Brook L’espace vide. Il n’y a au centre qu’un grand tapis qui est de temps en temps déplacé comme pour cadrer une action puis deux portants qui servent tour à tour de fenêtres ou de portes. Sans décor ni apprêt des comédiens, le minimalisme est de rigueur et les deux auteurs qui ont également signé la mise en scène illustrent leur idée du théâtre que Peter Brook a défendue et soutenue tout au long de sa carrière.
Il est d’abord question de Dieu et de sa création. Le trio se demande avec humour si le théâtre n’a pas été inventé parce que l’homme étant là, l’ennui venait avec. On entend derrière ce questionnement des origines toute l’importance, la nécessité même du théâtre pour l’humanité. Les notions de représentation pour comprendre le monde, de mise en jeu de la politique et de pouvoir scénique sont rappelées avec vigueur et légèreté. Le jeu des trois acteurs est dépouillé, sans aucun recours à un accessoire et encore moins à une vidéo, et pourtant la magie se produit, jusqu’à la cocasse anecdote de l’ivrogne qui peine à trouver la serrure de sa porte. Une intervention de quelques spectateurs est proposée ça et là, toujours au service du propos central, à savoir pourquoi se consacrer au théâtre, pourquoi endosser avec passion des vies autres que la sienne, et comment se rôder à des techniques qui font jaillir les pleurs ou les larmes ?
Tel un petit voyage à travers les piliers de la passion théâtrale, Why ? égrène des convictions et l’on sourit autant que l’on est ému. Car ce manifeste modeste rend présent l’art de Peter Brook comme s’il était aussi neuf et jeune qu’il y a des décennies. Et finalement, plus sombre mais tout autant dans un esprit d’hommage, la deuxième partie est consacrée à Vsevolod Meyerhold. Né en 1874 en Russie, celui-ci est mort en 1940, exécuté par la police de Staline. Il a débarrassé le théâtre de ses codes académiques au profit d’un théâtre populaire et dépourvu d’artifice mais il a payé de sa vie son idée d’un nouveau théâtre. Par cette évocation d’une grande simplicité, Peter Brook et sa complice célèbrent son art de la mise en scène et ses méthodes de jeu, se mettant dans ses pas et écrivant ainsi une forme de manifeste théâtral, dont atteste le grand et magnifique parcours de Peter Brook.
Emilie Darlier-Bournat
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