La Biennale PACT(E) au Carreau du Temple. Taysir Batniji invite à « dévorer » la Déclaration des droits de l’Homme
Un artiste/une entreprise. La Biennale PACT(E) rend compte des projets menés depuis 2008 dans le cadre de résidences d’artistes en entreprises. Focus sur l’intervention de Taysir Batniji avec le maître chocolatier Jacques Genin, une réflexion sur la fragilité et la relativité des droits de l’Homme.
Certaines évidences deviennent des paradoxes lorsqu’on glisse du monde des nobles idées à la réalité des faits. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen fait partie de ces « vérités » admises par toutes les démocraties mais son application peut être mise à rude épreuve. « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (article 3), « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes » (article 4), ou encore, l’article 13, objet et sujet de l’œuvre que Taysir Batniji présente à la Biennale PACT(E) :
« Toute personne a le droit de circuler et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
En théorie donc. Car comment comprendre et expliquer la levée de boucliers qui se multiplie dans toute l’Europe et sur le continent américain pour nier cet article et rejeter de toute part ces êtres humains contraints à un nomadisme avilissant sous la pression de crises économiques, de persécutions ou de conflits. Face à la masse des déplacés – le dernier rapport du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) comptabilise pour 2018 un triste record de 70,8 millions de personnes dans le monde –, les frontières deviennent des murs infranchissables.
L’homme ne vit pas seulement de pain
Taysir Batniji réactive une œuvre créée en 2007, L’homme ne vit pas seulement de pain : l’article 13 moulé en lettres de chocolat qu’il livre au public dans tous les sens du terme, à la réflexion, à la vue. À lui de décider, en conscience, s’il reste spectateur face au texte ou acteur, dévorant le texte réduit à sa matérialité. Réfléchi ou cannibale ?
Lors de la première présentation, il n’était pas du tout question d’ingérer cette œuvre en chocolat, mais face à la réaction du public, l’œuvre a évolué conceptuellement. « J’étais mécontent que les gens puissent manger les lettres, ce que j’ai essayé d’empêcher au début, mais à la fin du vernissage, le texte avait disparu. Après coup, j’ai accepté, c’était la manière dont les gens se sont approprié le texte » explique Taysir. « On va utiliser le même protocole : présenter l’œuvre sur une table et laisser les gens décider de manger ou de respecter cet article de loi. »
L’œuvre avait été également transposée en savon en 2013, mais « que ce soit le chocolat ou le savon, nous sommes face à des matières fragiles destinées à disparaître, plus ou moins rapidement ! Cela reflète la fragilité de ces lois et le non respect de leur application relative selon les contextes et les endroits. »
Point de départ, une histoire personnelle
Le travail de Taysir est une sorte de synecdoque, c’est-à-dire que le point de départ est son histoire personnelle sur laquelle il s’appuie pour traiter d’une histoire humaine contemporaine plus globale. Palestinien, il ne peut plus circuler librement et ne peut plus rejoindre Gaza depuis 2006. « La situation mondiale a empiré. Les flux de migrants ne cessent d’augmenter, les drames en Méditerranée se multiplient et la liberté de déplacement n’est pas donnée à tout le monde. Pour certains, cela se passe dans la douleur, la souffrance, voir dans l’impossibilité. Aujourd’hui, avec la montée des populismes en Europe, on empêche les migrants de circuler et on punit mêmes ceux qui les aident. Je suis Palestinien, mais mon travail ne se limite pas à ce rapport à mon pays. Je suis aussi impliqué sur la scène artistique française et internationale. »
Est-ce que l’art peut éveiller les conscience ?
« Il ne faut pas s’attendre à ce que l’art résolve tous les problèmes. Il ne propose ni solution, ni clés, mais pose des questions, suscite des débats, défait des idées reçues et éveille les consciences. »
Stéphanie Pioda
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