Le TAO Dance Theater ou l’avant-garde intemporelle, de « 2 » à « 9 »
1 Des corps qui bougent tels des roseaux, des vagues ou encore du vent… Et pourtant ils incarnent le désir d’un monde porté par une idée contemporaine de la beauté : Le TAO Dance Theatre est de nouveau l’invité du Théâtre de la Ville et présente à La Villette deux pièces plus que singulières.
2 La Chine a beau convoiter le statut de première économie mondiale, on compte toujours sur les doigts d’une main ses chorégraphes contemporains capables de se distinguer sur la scène internationale.
3 Comment rebondir sur l’histoire culturelle et politique de l’Empire du Milieu dans une écriture chorégraphique personnelle et innovante ? Voilà un sacré défi pour une nation aujourd’hui encore déchirée entre individualisme et communisme.
4 C’est à cet endroit exactement que se situe la réussite de Tao Ye et de sa compagnie, le TAO Dance Theatre. Ses créations soufflent d’une âme éternelle comme animées par l’esprit du symbole du yin et du yang. Mais leur design est aussi avant-gardiste qu’intemporel, dans une épure qui semble plutôt refléter l’architecture contemporaine japonaise.
5 On décèle chez Tao Ye une forte volonté d’aller au bout d’une démarche et d’une écriture où l’individu se fond dans un ensemble harmonieux. Et plus encore. C’est le principe même d’une danse contemporaine inventée en Occident, avec sa relation intense au sol, qui se trouve ici exacerbée jusqu’à porter en elle une apesanteur remarquable, grâce à une perfection collective dans la maîtrise du corps, du poids et du mouvement. Une conception du temps, une philosophie de l’existence et de l’apprentissage où l’instant dansé ouvre à la fois sur le cosmos et sur une histoire millénaire.
6 Dans cette conception de la danse, le mouvement n’est pas le point de départ (ce qu’il est dans le ballet et pratiquement dans la danse occidentale en général), mais il découle d’une connexion intime avec soi-même, avec le groupe et avec le temps. Pour entrer dans la compagnie de Tao Ye, il faut savoir fasciner sans bouger (au sens occidental du terme). Ceux qui connaissent la compagnie de butô Sankai Juku imagineront plus facilement pourquoi on désigne ici TAO comme la version contemporaine de cette harmonie dansée avec le cosmos.
7 La volonté de Tao de lier le fondamental au conceptuel se reflète parfaitement dans la série de spectacles allant de « 2 » à « 9 ». Depuis 2011 et la création de « 2 », chaque pièce ajoute un chiffre dans le titre et un danseur sur le plateau, passant du duo à des pièces avec huit voire neuf danseurs – d’où « 8 » et « 9 ». Pourtant cette augmentation ne reflète pas une idée linéaire, mais une philosophie circulaire. C’est pourquoi Tao considère que la boucle est désormais bouclée et nous présente les deux derniers volets de sa série, avec une différence notable par rapport aux programmes précédents.
8 Avant la création de « 9 », Tao Ye avait présenté une série de pièces linéaires, construites sur des principes d’ordre et de géométrie, vérifiable dans « 8 ». Et soudain, la rupture se produit au sein d’un même programme. Car « 9 » fait basculer la série vers une dissolution, voire une explosion des structures spatiales et géométriques inlassablement renouvelées. Et pourtant, cela va sans dire, la cohésion du groupe ne se dément jamais. Comme s’il voulait nous rappeler que dans un monde qui se fissure de plus en plus, il faut de toute urgence mettre l’accent sur ce que les humains partagent en termes de valeurs et de sensibilité.
9 Les spectacles du TAO Dance Theatre élèvent la voix tout en accentuant le silence. Chaque mouvement n’est pas individuel mais collectif et c’est pourquoi ils n’ont pas besoin de la parole pour s’entendre. Et ça se voit, ça se ressent, au plus profond du soi du spectateur. Impossible de regarder un spectacle du TAO sans se projeter dans le corps collectif, sa souplesse et l’étirement du temps qu’il produit pour se prolonger jusque dans la salle. Inutile de dire que leur corps collectif est basé sur la souplesse mentale et ne se définit jamais en opposition ou dans la haine de l’autre. On sort de leurs spectacles comme on sort d’une séance de yoga: Apaisé et en lévitation, sans décrocher du réel.
10 Thomas Hahn
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