« Iolanta/Casse-Noisette » : on pleure de bonheur
Quelle formidable reprise que ce duo opéra-ballet, associant deux œuvres phares de Tchaïkovski, « Iolanta » et « Casse-Noisette » emboîtés ici comme un rêve d’une jeune fille dédoublée par le metteur en scène Dmitri Tcherniakov. Une musique à faire pleurer, des interprètes en or, trois chorégraphes contemporains, bref, une soirée de pur romantisme dans la plus belle langue qui soit chantée, le russe.
« Je veux une musique qui arrache des larmes à tout le monde »
Cette phrase est dans une lettre qu’écrit le compositeur à son frère Modest, qui se charge du livret de l’opéra. En 1892, il fallait surpasser Richard Wagner qui faisait fureur à Paris en divertissant le public pour les fêtes de fin d’année de l’empire. Les deux oeuvres étaient montées en diptyque, « Iolanta » et son acte unique ne durant qu’une heure dix, mais c’est « Casse-Noisette » qui fut ensuite popularisé en ballet, éclipsant « Iolanta ». Merci donc à Dmitri Tcherniakov de rendre à cet opéra superbe sa vraie place en donnant chair à cette histoire féérique mais d’une puissance, d’une profondeur psychique étonnante. Iolanta est une jeune fille aveugle qui vit recluse dans un palais, entourée de ses parents et de ses serviteurs. C’est la fille du Roi René, qui par bonté veut l’empêcher de réaliser qu’elle est aveugle. Mais, alors qu’un médecin est appelé pour envisager de la soigner, il réalise que c’est justement en prenant conscience de son handicap qu’elle aura la volonté de guérir. Dans un salon au blanc crémeux, douillet comme un cocon, Valentina Nafornitā est bouleversante dans le rôle titre, hagarde et souriante comme une madone à la démarche aérienne, immatérielle. Son incarnation dramatique, sa voix sourde, plus puissante, modulant la surprise, le cri, est tout à fait saisissante, alors qu’on avait admiré il y trois ans dans ce rôle la merveilleuse Sonya Yoncheva. Pour incarner Vaudémont transi d’amour, Dmytro Popov, visage bienveillant et belle voix de ténor, chaleureuse et projetée, est parfait, aux côtés du Robert jovial d’Arthur Ruciński. Altier à la basse profonde, Ain Anger fait un parfait Roi René et sous la baguette du chef Tomás Hanus, tous les interprètes sont remarquables.
Un ballet pour trois chorégraphes
Sidi Larbi Cherkaoui, Edouard Lock et Arthur Pita se sont réparti les deux actes de « Casse-Noisette», dont les différents tableaux s’animent par des ambiances différentes, contrastées, passant du rêve au cauchemar. Iolanta offre donc le relais à son double, Marie, à qui Marine Ganio prête sa silhouette de gamine menue et vive, grands yeux noirs et corps élastique. C’est une fête d’anniversaire et toute la famille et les amis se lancent dans le tempo endiablé d’une comédie musicale avec glissages et culbutes envolées (Arthur Pita) dans des costumes et décors des années 50 aux couleurs chaudes. Le rythme est au burlesque, à l’humour, et la musique du compositeur brille par ses cuivres, originale et colorée par le « célesta » qui sonne comme une cloche, Puis, c’est la bascule dans la forêt sombre (Edouard Lock) où Marie et Vaudémont se retrouvent seuls face à des ombres malveillantes et cruelles dans une nuit noire. Le froid, la neige constituent un paysage effrayant et fantastique, les personnages se dédoublent, sont saisis de mouvements mécaniques comme des marionnettes. Jérémy-Loup Quer campe un Vaudémont protecteur et habité.
Entre rêve et réel
Dans l’acte II, Marie se retrouve ensuite seule, dans une immense pièce emplie de jouets géants, animaux protecteurs et intrigants, une atmosphère à la Disney mais sans son amoureux. Que d’épreuves pour une Alice sans Pays de merveilles, condamnée à une série d’épreuves avant de retrouver son amour. Le pas de deux final, signé Sidi Larbi Cherkaoui, est d’une beauté dévastatrice. Les deux amoureux se retrouvent, s’accrochent et se noient l’un dans l’autre, enchaînement au classique acrobatique, qui casse les lignes, fait saigner l’équilibre pour mieux le retrouver. Les deux danseurs sont magnifiques dans leur jeunesse et leur virtuosité. Et si tout cela n’était qu’un rêve qui nous captive avec nos yeux d’enfants ?
Hélène Kuttner
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